Chapitre 18

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La maison était très calme depuis le départ des Hamilton et Hope goûtait à cette quiétude. Elle prenait ses repas seule et mangeait léger, ce qui donnait un peu de répit à la cuisinière et à tous ceux qui travaillaient au service de la famille.

Stuart n’avait pas cédé devant sa mère et les esclaves étaient aux champs. Néanmoins, dans un esprit chrétien, selon ses propres dires, il avait accepté que les horaires de travail soient allégés. Bien qu’il n’y ait pas eu le traditionnel lait de poule, Madame Hamilton étant déjà partie, il y eut une distribution de rations supplémentaires. Mais nettement plus maigres que les années précédentes. L’attitude du maitre vis-à-vis de ses esclaves avait changé ; les événements à la scierie étaient comme marqués au fer rouge dans la mémoire de Stuart et l’amertume qu’il en conservait ne faisait qu’accentuer le côté sombre de sa personnalité.

Le jour de Noël, Hope souhaita se rendre au cimetière pour se recueillir sur la tombe de sa fille. Elle décida de s’y rendre à cheval, ça faisait des mois qu’elle ne n’était pas montée. D’abord, par ce qu’elle était enceinte et ensuite parce qu’elle avait perdu goût à la vie.

ll faisait doux, les rayons du soleil lui chauffaient agréablement la peau et elle fit un détour par le jardin pour cueillir des fleurs qu’elle déposerait sur la tombe de la petite Alicia. Enferrée dans son chagrin, Hope avait jusqu’ici refusé de voir la sépulture de son enfant, c’était un rappel inutile de sa perte incommensurable. Mais, en ce jour qui célébrait la naissance du Christ, elle se devait de prier pour tous ceux qu’elle avait déjà perdus.

Elle resta de longues heures, assise à côté de la pierre tombale de son bébé. Elle pleura toutes les larmes de son corps, pour son enfant, ses parents, son mariage et finalement elle-même. Elle réalisa, à cet instant, qu’elle s’était égarée sur le chemin de la vie. Elle devait absolument reprendre sa destinée en main. Elle se jura de tout mettre en œuvre pour y parvenir. A présent, plus rien ne la retenait ici, elle pourrait rentrer en Angleterre, retrouver son père. Elle était sûre que Stuart ne se donnerait pas la peine d’aller la chercher. Il lui suffisait de retourner à Savannah et de demander l’aide des Stanton.

Pourquoi n’y avait-elle pas songé plus tôt ? Hope dit adieu à sa fille bien aimée et quitta le cimetière familial le cœur plus léger. Elle imaginait déjà ses retrouvailles avec son père. Bien sûr pour se faire, il faudrait qu’elle se rende à Aberdeen, chez sa tante Mildred.

Hope ne comprenait pas comment son père avait pu choisir de passer la fin de sa vie auprès de cette vieille chouette. Elle ne l’avait que rarement rencontrée, mais elle gardait le souvenir d’une veille fille aigrie qui ne s’adressait à elle que pour lui faire des reproches. Rien ne trouvait grâce à ses yeux, ses cheveux, ses habits, son éducation indigne d’une jeune fille, même son accent anglais lui déplaisait.

Elle imaginait aussi les bavardages que son retour provoquerait. Peut-être devrait-elle s’annoncer veuve ?

Profondément plongée dans ses pensées, elle n’entendit d’abord rien. Ce n’est que lorsqu’il y eut un second cri étouffé que Hope réalisa qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. Puis, clairement, elle entendit des hurlements. Elle souleva ses jupes et remonta en selle et se dirigea le plus vite possible en direction de la rivière d’où provenaient les bruits d’une lutte.

Lorsqu’elle déboucha sur la berge, la violence de la scène qu’elle découvrit la paralysa. Allongée sur le sol, la robe déchirée, sa peau d’ébène luisant de transpiration se débattait Patsy de toute son âme. Hope mit quelques secondes à comprendre ce qui était en train de se dérouler. Au-dessus d’elle, un homme, blanc, le pantalon baissé tentait de prendre la jeune femme de force tout en l’étranglant pour vaincre sa résistance.

Hope sauta de sa jument et s’approcha, cherchant du regard ce qui pourrait l’aider à sauver Patsy lorsque son pied buta contre un objet : un fouet. Sans réfléchir, elle se baissa pour le ramasser, le déroula et du plus profond de ses tripes asséna un violent coup sur le dos de l’homme. Ce dernier poussa un hurlement de douleur et de surprise. Il repoussa brusquement Patsy qui roula plus loin dans l’herbe en gémissant et se retourna prêt à en découdre. Un sourire malveillant lui étira les lèvres à la vue de Hope tremblante de rage.

- Tiens, tiens ! Mais c’est cette chère Madame Hamilton dit-il en se relevant.

Hope manqua lâcher le fouet de surprise et recula devant l’expression cruelle de Taylor Jones. Très vite, elle chercha à se ressaisir.

- Jones, comment osez-vous vous comporter ainsi ! Je vous ferai pendre ! lui cria t’elle. Je vous interdis de vous approcher de moi ! ajouta t’elle devant la mine menaçante du régisseur.

Ce dernier attrapa le fouet et attira d’un geste sec la jeune femme à lui. Il avait l’haleine fétide et une forte odeur de male en rut se dégageait de lui. Il se serrait contre elle et lui maintenait les bras le long du corps. Hope avait beau se débattre, elle ne faisait pas le poids contre lui. Il la projeta violemment au sol et lui lança un regard de convoitise.

- Pourquoi forniquer avec une esclave, quand on peut avoir sa maitresse. Ricana t’il

Sans prévenir, il s’abattit sur elle et lui donna un baiser, forçant le passage de ses lèvres avec sa langue. Sa barbe rugueuse lui irritait la peau fine de son visage et son souffle aviné lui provoquait un haut-le-cœur. Hope ne cessait de lutter et de gigoter sous son assaillant. Elle lui mordit la langue et eut la satisfaction de le voir se reculer. Mais aussitôt, il lui asséna une gifle, puis une autre tout en l’insultant. Il l’attrapa par les cheveux et entreprit de soulever ses jupons.

Cet homme allait la violer et elle n’avait aucune issue. Elle criait et se débattait comme une furie, en vain. Elle sentait ses mains s’insinuer sous les volants de ses jupes et lui meurtrir l’intérieur des cuisses.

Soudain, Jones se redressa en poussant un cri d’animal blessé. Il se détourna de Hope en jurant pour découvrir Patsy une grosse branche à la main. La pauvre fille avait le visage en sang et de nombreuses écorchures sur les jambes. Le bustier de sa robe était déchiré et sa poitrine portait des traces de morsure. Elle avait le regard hagard et vacillait sur ses jambes.

Hope ressentit une profonde gratitude envers la jeune esclave qui aurait pu fuir, mais qui courageusement lui portait secours. Néanmoins, aucune d’elles n’était tirée d’affaire.

Jones ramassa le fouet que Hope avait lâché et le fit claquer en l’air en guise d’avertissement. Son plaisir était manifeste. Puis sans un mot, il fouetta Patsy au visage. Un premier coup, puis un second sur le bras avec lequel elle tentait de se protéger. Un second et les coups se mirent à pleuvoir. Le bruit du fouet se mêlant aux hurlements de douleur et aux rires du régisseur.

Hope était désespérée, elle devait venir en aide à Patsy. Elle chercha rapidement des yeux un moyen de se défendre et d’arrêter ce fou. Lorsqu’elle remarqua que Jones avait laissé son fusil adosser à un chêne. Elle s’en empara, l’arma, visa et lui tira dans le dos. Le coup fit un bruit assourdissant et Jones s’écroula.

**********************

Il était tard quand Hope et Patsy arrivèrent à Savannah. Personne ne les attendait. Hope n’avait pas voulu donner l’impression qu’elle fuyait et elle avait tenté d’éviter tout comportement suspect.

Jackson et Ella ne cachèrent pas leur surprise en voyant les deux femmes arriver et leur étonnement se transforma en stupeur devant le visage méconnaissable de Patsy. Cependant les esclaves savaient qu’ils ne devaient poser aucune question.

Hope avait annoncé la veille au soir, à Samuel, qu’elle irait attendre son époux à Savannah et qu’elle souhaitait que tout soit prêt pour son départ. En l’absence de Stuart et de sa mère, elle était la seule maitresse à Oak Shadow. Et la seule personne qui aurait pu s’opposer à son départ, Jones, n’était plus en état de donner son avis. Ce sentiment d’indépendance lui donna du courage. Elle allait reprendre sa vie en main. Enfin, si elle échappait à la corde ne put-elle s’empêcher de penser.

Elle avait demandé à Patsy de l’attendre cachée dans le quartier des esclaves. Hope avait prévu de la prendre en chemin. Il n’était pas possible que la pauvre enfant se présente à la grande maison avec son visage tuméfié et lacéré. Le fouet avait laissé de profondes marques et on pouvait encore deviner les empreintes de Jones autour de son cou. Lorsque le cadavre serait découvert et il le serait, Hope en était certaine, il ne fallait pas faciliter l’enquête en affichant ouvertement que les deux jeunes femmes avaient été agressées.

Hope avait prétexté une chute à cheval pour justifier ses vêtements déchirés et les nombreuses ecchymoses qu’elle avait. Et seule Mimba avait vu Patsy lorsqu’elle avait pansé ses plaies. La vieille femme n’avait posé aucune question, mais avait marmonné que les deux femmes n’étaient pas en sécurité sur la plantation.

Hope savait que sa seule chance était de retourner à Savannah et d’aller chercher de l’aide auprès de ses amis, les Stanton. Et elle n’avait que peu de temps avant que Stuart ne fut mis au courant de la disparition de son régisseur et du départ précipité de son épouse.

A son arrivée à Savannah, Hope éprouva un étrange sentiment à revenir dans sa maison. Elle l’avait quittée des mois auparavant et elle avait tant perdu depuis. Elle fut replongée dans ses souvenirs. Cette demeure était le symbole de tous ses rêves à son arrivée aux États-Unis, la promesse d’un mariage heureux, d’une nouvelle vie. Alors qu’elle n’avait connu que des désillusions.

Elle fut tirée de ses pensées par Jackson qui semblait complètement dépassé par son retour impromptu. Le maitre ne les avait pas prévenus que Madame revenait, ne cessait-il répéter pour se justifier et s’excuser que la maison n’était pas prête à la recevoir.

Devant l’empressement d’Ella à changer les draps du lit conjugal, Hope ne put s’empêcher de penser que son mari ne devait pas dormir souvent seul.

La jeune femme demanda un souper léger pour pouvoir se retirer rapidement dans sa chambre et éviter le regard interrogateur des domestiques. Elle devait également réfléchir à ce qu’elle allait faire. Patsy et elle ne pouvait rester ici, elles risquaient la pendaison pour la mort de Jones. De plus, il était hors de question de reprendre la vie commune avec Stuart.

Avant de monter les escaliers, elle s’enquit auprès de Jackson :

- Jackson, quand est ce que Monsieur doit revenir ?

- Je ne suis pas certain, Maitresse, mais d’ici la fin de la semaine. Voulez-vous que je le fasse prévenir de votre arrivée ?

- Surtout pas ! répondit-elle avec empressement. Puis se reprenant, elle ajouta. J’aimerais lui faire la surprise. Je compte sur vous pour tenir votre langue.

Le vieil homme hocha de la tête et lui souhaita une bonne nuit.

Hope avait de la peine à trouver le sommeil, elle éprouvait une douleur lancinante dans les côtes qui devaient s’être fêlées lors de sa chute et dès qu’elle fermait les yeux, elle revoyait l’expression de surprise peinte à jamais sur les traits de Jones et elle entendait le bruit sourd de son corps s’effondrant sur le sol. Elle avait tué un homme, et elle allait devoir apprendre à vivre avec. Mais surtout, il lui fallait s’en aller. L’absence du régisseur devait avoir été remarquée et les gens ne tarderaient pas à faire le lien avec son propre départ. Il était peu probable que le cadavre ait déjà été découvert, mais Hope ne pouvait se permettre de prendre ce risque. Pour elle et surtout pour Patsy.

Elle avait déjà renoncé à l’idée de retourner chez elle, en Angleterre. Elle devait partir dans un endroit où Stuart ne pourrait jamais la retrouver. Elle n’avait que quelques jours avant le retour de son mari pour élaborer un plan de fuite. Et pour ça, elle allait avoir besoin d’argent et d’amis. Mais elle savait déjà sur qui compter.

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