Chapitre 19

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Les retrouvailles furent émouvantes. Hope et Mary Stanton tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Le fort lien qui les unissait n’avait pas faibli en l’absence de la jeune femme. Mary regarda son amie longtemps, attristée, par les nombreuses épreuves qui avaient marqué autant son âme et que ses traits.

Hope raconta brièvement à son amie les événements qui avaient marqué son existence depuis la dernière fois qu’elles s’étaient vues. Elle ne s’attarda pas sur les détails et très rapidement, elle lui demanda son aide.

- Ma chère Mary, je dois absolument quitter la Géorgie et je n’ai que vous vers qui me tourner. Patsy et moi ne sommes pas en sécurité.

La carapace dont elle s’était entourée depuis la mort de Jones se fissura et elle éclata en sanglots. Dans les bras bienveillants de son amie, elle craqua et finit par lui révéler la mort du régisseur, la façon dont Patsy et elle avaient attaché une lourde pierre au cadavre et l’avaient jeté dans la rivière.

- Seigneur, vous risquez la potence mon enfant ! ne put s’empêcher de dire Mary Stanton devant sa confession.

Hope pâlit et hocha de la tête d’un signe d’assentiment. Mary la serra plus fort dans ses bras et la berça comme un tout petit enfant.

- Ne vous inquiétez pas, Hope, nous allons vous aider. Lui murmura t’elle à l’oreille.

Mary Stanton avait conscience de la gravité de la situation ; sa jeune amie s’était mise dans une position délicate et elle n’avait que peu d’options possibles. Il était hors de question de retourner en Angleterre. Elle devait disparaitre et refaire sa vie loin d’ici. Il fallait élaborer un plan et rapidement.

Elle fit servir du thé à la jeune femme et réussit à la convaincre de s’allonger. Elle souhaitait que son mari l’examine car elle avait très mauvaise mine et ses côtes la faisaient souffrir.

******************

Hope s’était assoupie, mais des chuchotements la tirèrent de son sommeil. Les Stanton étaient en grande conversation avec un homme que Hope ne parvenait pas à identifier à travers ses paupières mi-closes. A sa manière de parler, elle pouvait deviner qu’il s’agissait d’un homme de couleur. L’individu paraissait agité et avait de plus en plus de difficultés à chuchoter.

- Mais, enfin, vous n’y pensez pas ! Ce réseau n’est pas adapté pour cacher une blanche comme elle. Et nous ne pourrons pas garantir sa sécurité… Et cela nous mettrait tous en danger.

- Joshua, vous n’êtes qu’un couard ! l’interrompit Madame Stanton le visage rouge de colère et d’indignation. Vous

- Il suffit, ma chère ! coupa le Docteur Stanton. Joshua a quelques réticences, mais nous allons nous arranger. La mission du chemin de fer est d’aider ceux qui en ont besoin.

L’homme remarqua que Hope s’était réveillée et les observait, il en informa les Stanton d’un mouvement de tête dans sa direction.

- Oh Hope, ma chère, vous voilà réveillée, lui dit gentiment le Docteur Stanton.

Cet homme qui mesurait presque 1.90 n’était que bonté et bienveillance. Il s’approcha d’elle et l’aida à se relever et lui dit

- Ne vous préoccupez pas Hope, nous allons vous mettre en sécurité toute les deux.

Hope ne savait pas comment, mais elle ne posa pas de questions, elle avait confiance en ses amis. De plus, le Docteur Stanton ne souhaitait visiblement pas s’étendre sur le sujet. Sa participation à un réseau clandestin devait demeurer confidentielle et Hope n’avait pas besoin d’en connaitre tous les aboutissements.

La situation des deux femmes fut réglée en deux jours ; elles ne disposaient pas de plus de temps.

Hope et Patsy rejoindraient le chemin de fer clandestin.

Mary Stanton avait pris le temps d’expliquer à sa jeune amie de quoi il en retournait. C’était un réseau composé de points de rencontre, de routes secrètes, de moyens de transport et de lieux d’accueil protégés et d’assistance apportée par des sympathisants de la cause abolitionniste qui permettait aux esclaves de fuir vers le Nord.

Les fugitifs voyageaient de nuit et parcouraient une vingtaine de kilomètres qui séparait chaque « station de gare ». Ces stations étaient des lieux isolés, des granges ou des maisons éloignées des routes. Pendant qu'ils se reposaient, un message était envoyé à la prochaine station afin d'avertir le chef de gare que les fugitifs étaient en route

Pour réduire le risque d'infiltration, de nombreuses personnes associées au chemin de fer clandestin ne connaissaient que le rôle qu'elles avaient à jouer dans l'opération mais ignoraient tout du reste. Il y avait les « chefs de train » qui étaient chargés de déplacer les « passagers » de station en station.

Hope avait été très surprise des risques que les Stanton prenaient. Elle n’avait jamais su qu’ils étaient des abolitionnistes. Mary lui expliqua que c’était par l’intermédiaire d’une cousine de son époux qu’ils avaient été approchés pour apporter leur contribution. Leur parente, une quaker, était farouchement opposée à l’idée de posséder un être humain et les avait suppliés, dès leur arrivée en Géorgie de lutter contre l’esclavage. L’hôpital offrait un astucieux lieu de refuge sur le chemin de la liberté. Il y avait un fort passage qu’il était difficile de contrôler. De plus, la notoriété du docteur les plaçait au-delà de toutes suspicions.

Mary assura à Hope qu’ils mettraient tout en œuvre pour l’aider à fuir, mais elle la prévint aussi que le voyage serait long et difficile. Mary Stanton n’était pas femme à mentir et elle pensait que dire la vérité à Hope la préparerait mieux.

Il faut convenu que dans un premier temps et afin de donner le change, elles voyageraient de manière conventionnelle.

Pour brouiller les pistes, Hope prétendrait se rendre à Charleston pour rejoindre son mari. Elle informa Jackson qu’elle prendrait le train., Pour ne pas éveiller les soupçons, elle demanda à ce qu’on prépare ses malles.

Dans les faits, elle ne pouvait s’encombrer de ses affaires, elle ne choisit que deux robes, les plus simples qu’elle possédait et elle y cousit ses bijoux dans les ourlets. Elle ajouta également une grande poche intérieure à son manteau dans lequel elle cacha de l’argent.

Le matin du départ, elle dit au revoir aux domestiques et sans un regard en arrière abandonna la vie qu’elle avait toujours vécu, une vie de confort et de sécurité. Elle se rendit chez ses amis, prête à affronter l’inconnu.

Le Docteur Stanton, en tant que chef de gare du réseau lui expliqua qu’elles prendraient le train non pas pour Charleston mais jusqu’à Atlanta. Ils avaient déjà acheté les billets. Tant que Stuart n’était pas là et que le corps de Jones n’avait pas été découvert, il était inutile de se cacher, c’était un risque inutile.

Cependant, le réseau de chemin de fer dans le sud du pays n’était pas aussi développé qu’il l’était au nord. Les Sudistes voyaient le train comme un moyen de transporter le coton plus rapidement dans les villes portuaires afin de l’exporter. C’est pourquoi, les deux femmes descendraient à la gare de Madison, à une centaine de miles d’Atlanta. Depuis là, elles continueraient en calèche. L’idée était de brouiller les pistes.

Le matin du départ, Jackson insista pour accompagner les deux femmes à la gare. Le pauvre homme était mal à l’aise avec le départ de sa maitresse. Il sentait qu’elle prenait des libertés que le maitre n’apprécierait pas. Il avait vainement tenté de la décourager. Il avait même demandé à Ella, la cuisinière de lui parler, sans succès. Il essaya encore une dernière fois sur le quai:

- Maitresse, il n’était jamais parvenu à l’appeler Madame comme elle lui avait maintes fois demandé, vous devriez attendre Maitre Stuart à la maison, il n’aimerait pas vous savoir seule sur les routes…

- Jackson, le coupa Hope plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu, nous en avons déjà parlé. Je suis heureuse d’accomplir ce voyage et de faire une surprise à mon époux. Nous serons vite de retour ajouta t’elle pour le rassurer.

Elle lui fit un signe de la main et le chassa. Elle ne souhaitait pas attirer l’attention sur elle, si que Jackson comprenne que le train dans lequel elle allait monter n’allait pas à Charleston. Après son départ, elle s’engouffra dans le wagon, suivie par une Patsy terrifiée par ce moyen de transport qu’elle n’avait jamais pris auparavant. Hope prit place, priant pour que rien ne les empêche de partir, tandis que Patsy restait proche de la porte à l’espace réservé pour les bagages et pour les rares esclaves qui accompagnaient leurs maitres.

Hope avait eu un instant de frayeur quand elle avait aperçu plus loin sur le quai, Mélanie Perry, qu’elle avait fréquemment vue lors des soirées que Stuart et elle fréquentaient à leur arrivée en ville. Elle avait craint de devoir donner des explications, mais cette dernière, en grande conversation avec un homme qui devait être son régisseur ne le vit pas.

Lorsque le train se mit en marche et quitta la garde de Savannah, Hope poussa un long soupir de soulagement. La première partie du plan avait réussi.

Elle avait ressenti une profonde tristesse quand elle avait dit au revoir aux Stanton, une partie d’elle savait qu’elle ne les reverrait probablement plus jamais. Ils n’étaient pas venus lui dire au revoir à la gare pour ne pas paraitre trop impliqué dans sa disparition. Même si aucun d’eux n’était dupe et ne doutait pas que Stuart les accuserait.

Ils avaient été plus que des amis pour elle et elle leur en serait éternellement reconnaissante. Elle repensait à sa dernière conversation avec Mary. Cette dernière l’avait prise dans les bras comme une mère et lui avait glissé quelques paroles rassurantes à l’oreille, mais elle lui avait surtout très discrètement remis une pochette.

- Ne l’ouvrez pas tout de suite, lui chuchota-t-elle. Mais conservez-la précieusement, elle vous sera utile. Lorsque vous aurez lu ma lettre, brûlez-la ! ajoute-t-elle. Il ne faut laisser aucune trace.

- Mais… balbutia Hope

- Chut ! La coupa son amie. Tout ira bien. Nous couvrons vos arrières !

Hope n’avait pas encore pu ouvrir la pochette que Mary lui avait remise ; elle le ferait lorsqu’elle serait seule, sans personne même Patsy. En attendant, elle l’avait enfouie au fond de son sac pour la cacher, consciente du danger qu’elle pouvait représenter.
Elle appuya son front sur la vitre et ferma les yeux luttant pour ne pas pleurer. Elle ne pouvait pas se permettre de se montrer faible, le voyage qu’elle venait de démarrer serait long et parsemé d’embuches. Elle réalisa soudainement qu’elle n’avait aucune idée de la destination et ce que sa vie serait. Elle partait pour un monde totalement inconnu, loin de tous ceux qu’elle avait aimé et connu. Pire que ça, elle avait tué un homme et elle était une hors-la-loi.

Lorsque le train commença à ralentir, Hope s’arracha à ses pensées ; elle se retourna en direction de Patsy et lui fit un léger signe pour lui indiquer qu’elles allaient descendre. Elles avaient convenu que la jeune esclave sortirait en premier et que Hope attendrait le dernier instant pour la rejoindre. L’idée était de ne pas se faire remarquer pour que les passagers qui les entouraient ne se souviennent pas à quelle gare elles étaient descendues. L’une et l’autre s’était fait discrète, fuyant toute conversation.

A la gare, Patsy s’éloigna rapidement du quai et attendit Hope de l’autre côté du bâtiment principal. Elle avait abandonné les malles dans le train et prit que les deux petits sacs qui contenaient tout ce qu’elles possédaient à présent. Hope la rejoignit au moment où le train se remettait en route. Elles s’étreignirent rapidement pour se donner du courage à l’une et l’autre. Leur relation avait changé au cours des derniers jours. Elles savaient ce que chacune devait à l’autre.

Elles n’eurent pas à attendre longtemps qu’on vint les chercher. La voiture n’avait rien d’une calèche, il s’agissait d’une carriole conduite par un homme blanc au visage buriné. Ce dernier, peu bavard, ne perdit pas de temps en politesse, il souleva la capote et les enjoignit à monter d’un signe du menton, qu’il avait particulièrement pointu. Lorsqu’elles furent installées, il fit claquer sa langue et les chevaux partirent au trot.

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