Chapitre 17

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L’automne fit place à l’hiver sans même que Hope ne le remarqua. Son corps avait récupéré, mais son esprit semblait éteint. Elle avait perdu le goût de la vie. Elle fuyait la compagnie de tous. Elle n’avait même plus jamais émis le désir de retourner à Savannah. Elle n’avait jamais écrit à son père pour lui annoncer la mort de son enfant, ni même sa naissance d’ailleurs et prenait des jours pour répondre aux missives inquiètes de ses amis, les Stanton. Elle n’écrivait plus à Charlotte non plus, cette dernière lui ayant envoyé un faire part pour la naissance de son fils Arthur. Le cœur amer, Hope ne pouvait s’empêcher de blâmer le Seigneur qui donnait un fils en bonne santé à une infirme et lui avait repris sa fille. Hope avait honte de ses pensées indignes et préférait donc couper les liens qui les unissaient.

Elle ne sortait que très peu de la maison et consacrait la plupart de son temps à lire dans la bibliothèque, un endroit où elle savait ne jamais croiser son mari, peu porté sur la lecture. Hope l’évitait autant que possible. Leur mariage était mort et enterré. Hope ne ressentait plus aucun amour et ne pouvait plus supporter sa vue.
Les premiers temps, après le décès de la fillette, il avait vainement tenté de la rejoindre dans le lit conjugal, mais elle poussait de tels hurlements qu’elle réveillait toute la maisonnée. Elle semblait comme possédée, animée par une rage terrible. C’est finalement Madame Hamilton qui exhorta son fils à se montrer patient et à laisser sa femme faire son deuil.

Stuart ne se montra pas ravi de la situation. L’attitude de sa femme l’humiliait et il se sentait dépossédé de ses prérogatives. Il buvait toujours plus et était agressif envers tout le monde. Les esclaves rasaient les murs en sa présence et seule la présence de sa mère l’obligeait à une certaine retenue.

Stuart passait beaucoup de temps à Savannah ou à Charleston où il avait renoué avec ses anciennes habitudes. Hope n’avait aucun doute que son mari avait retrouvé sa place dans le lit de la belle Ashley, pour autant qu’il n’en soit jamais sorti. Mais ça n’avait plus aucune importance pour elle.

A la mi-décembre, il fut décidé que pour la première fois depuis la construction de la plantation, on ne fêterait pas Noël à Oak Shadow. Personne n’avait le cœur à célébrer la naissance du Christ dans une maison que la vie, elle-même, semblait avoir désertée.

Madame Hamilton annonça sa décision lors d’un rare dîner où tous les membres de la famille étaient présents. Dans la mesure du possible, Hope évitait de prendre ses repas avec son mari. Mais, il était rentré plus tôt que prévu et les avait rejointes et Hope ne pouvait se retirer sans blesser sa belle-mère qu’elle avait, en dépit de leurs différends, appris à apprécier.

- Mes enfants, déclara t’elle d’un ton empreint de tristesse. J’ai décidé qu’il n’y aurait ni fête de Noël, ni bal à Oak Shadow cette année.

Ni Hope, ni Stuart ne réagirent ; les réjouissances de fin d’année leur importaient peu.

- J’ai pensé, continua t’elle, que nous pourrions tous rendre visite à Juliette. En notre absence, nous pourrions maintenir les congés de Noël de la plupart de nos gens…

Nos gens, voilà une expression que Hope abhorrait. Elle trouvait hypocrite et faussement bienveillant de nommer ainsi des être humains qui n’étaient rien d’autres que des possessions, comme le grand vaisselier en face d’elle. Elle se mordit les lèvres pour réprimer la réflexion qui avait manqué lui échapper. Soudain, elle réalisa que c’était la première fois depuis son accouchement que son caractère reprenait le dessus, comme une lointaine réminiscence de qui elle avait été.

- … et ce voyage pourrait être bénéfique à tous, termina Madame Hamilton, inconsciente des pensées de sa belle-fille.

- Mère, l’interrompit Stuart, je ne pourrai me joindre à vous car j’ai prévu de partir pour Charleston.

- Charleston ? répéta Madame Hamilton d’un ton interrogatif. Au nom du ciel, pour quelles raisons devriez-vous rendre là-bas ?

Stuart eu, l’espace d’un éclair, l’air embarrassé, mais il se reprit très vite et lui répondit.

- Pour affaire, évidemment !

Hope baissa la tête pour masquer un rictus sardonique. Hope n’était pas dupe sur les « affaires » qu’il devait traiter là-bas.

D’humeur caustique, elle demanda innocemment à son mari :

- N’est ce pas Madame Munroe qui séjourne également à Charleston à cette période de l’année ?

Hope n’avait plus adressé la parole à Stuart depuis des semaines. Il se retourna, effaré vers elle et elle eut la satisfaction de le voir se décomposer tout en passant du blanc au rouge en quelques secondes. Il saisit brusquement son verre qu’il vida d’un trait pour se redonner une contenance.

- Je l’ignore, ma chère, finit-il par répondre sèchement le regard fuyant.

- Et vous, Hope, reprit Madame Hamilton, cherchant à dissiper le malaise qui s’était installé, m’accompagnerez-vous ?

- Je ne préfère pas, je crains que ma santé ne soit trop fragile pour faire le voyage. Elle n’avait aucunement l’intention d’accompagner sa belle-mère.

Madame Hamilton eu un bref instant de panique à l’idée de laisser Hope seule, mais son fils la rassura avant même qu’elle n’ait eu le temps de l’exprimer.

- Ne vous inquiétez pas, Mère. John restera à Oak Shadow pour s’assurer que tout ira bien. D’ailleurs je ne pense pas donner congé à tous les esclaves cette année. Je crois que ces congés leur donnent un sentiment de liberté dont ils pourraient prendre goût.

Sans laisser le temps à sa mère de protester, il se leva et prit congé emportant avec lui la bouteille de whisky entamée. Les deux femmes finirent leur repas en silence, une pensive quant à la nouvelle gestion de la plantation, l’autre inquiète à l’idée de rester seule avec le nouveau régisseur.

*********************

Absorbée dans la lecture du dernier roman de Georges Sand, Hope ne réalisa pas tout de suite la présence de Patsy dans la grande bibliothèque. Ce n’est que lorsque cette dernière toussota qu’elle leva les yeux du livre.

- Oh Patsy, s’exclama t’elle surprise. Je ne t’avais pas entendue entrer. Ce roman est très prenant ajouta-t’elle. Puis elle ajouta, à voix basse avec un sourire complice, quel dommage qu’il soit en français, je ne pourrai pas te le prêter.

Hope, malgré les récents drames, avait toujours mis un point d’honneur à aider Patsy à améliorer ses compétences en lecture et la jeune esclave tentait même d’écrire quelques mots depuis peu. Elle n’avait pas encore eu le temps de le montrer à sa maitresse.

- Madame, l’interrompit Patsy d’un air embarrassé, je crois que vous devriez parler au Maitre.

- Et pourquoi donc demanda Hope, en proie à une sourde inquiétude.

Il devait se passer des événements fort peu coutumiers pour que Patsy lui présente cette requête. La jeune esclave semblait tergiverser et n’osait pas s’exprimer.

- Parle ! l’exhorta Hope

- Il prévoit d’installer Monsieur Jones dans la maison lors de son absence.

Hope manqua s’étouffer. Il était hors de question que ce serpent de régisseur dorme sous le même toit qu’elle. Elle n’avait aucune confiance en lui, cet homme lui faisait froid dans le dos et elle lui trouvait le regard sournois. Patsy semblait partager son opinion à sa mine défaite.

La jeune femme posa son livre sur le guéridon, se leva pour affronter son mari. Elle n’avait plus peur et semblait revenir à la vie après un long sommeil.

Elle trouva Stuart dans le salon, un verre de whisky à la main pour changer, en compagnie du principal intéressé, Taylor Jones qui semblait à son aise confortablement installé dans un fauteuil. Sa présence détonnait dans l’élégant salon des Hamilton. Il était très grand et fort. C’était un homme habitué à vivre et travailler dehors. Il avait les cheveux blonds qu’il portait en catogan.
Les deux hommes étaient en grande conversation et ne lui prêtèrent pas tout de suite attention. C’est Jones qui l’aperçut le premier, il la regarda longuement et sans vergogne, une lueur lubrique brillait au fond des yeux. Hope tressaillit avant de le fusiller du regard. Quel malotrus ! Comment osait-il la regarder ainsi, en présence de son époux de surcroit !

Stuart dut sentir sa présence car il se retourna et ne put cacher son étonnement de la voir là.

- Hope, que faites-vous ici ?

Elle se fit violence pour ne pas lui répondre sèchement qu’elle vivait là. Elle choisit une approche plus douce. Il est bien connu qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre se dit-elle. Elle avait récemment découvert cette expression qui lui plaisait beaucoup. L’ennemi du moment était Jones et elle avait besoin que son mari se montre coopératif. Elle eut soudain une idée brillante. Elle jeta un coup d’œil à la pendule, le moment était parfaitement choisi et elle allait très rapidement bénéficier d’une alliée inattendue.

- Je souhaitais connaitre les détails de votre voyage dit-elle. Peut-être devrais-je vous accompagner finalement.

Stuart pâlit et son verre lui échappa des mains se brisant en mille morceaux tandis que le whiskey laissait une tâche sombre sur le tapis. Il poussa un juron à faire frémir une dame. Aussitôt une esclave se précipita pour réparer les dégâts. Cet interlude lui permit de reprendre ses esprits.

Il s’approcha de sa femme et lui prit tendrement la main. Hope prit sur elle pour ne pas la lui arracher, elle ne supportait plus son contact.

- Ma chère, rien ne m’aurait fait plus plaisir, mais je pense que vous aviez raison, le voyage serait trop éprouvant pour votre santé. Il vous faut reprendre des forces.

Quel fourbe, pensa t’elle. Dites plutôt que ma présence contrecarrerait vos projets avec la belle Ashley.

- Mais ne vous inquiétez pas, ajouta t’il. Vous serez en sécurité ici, avec Jones qui a toute ma confiance.

Hope dissimula difficilement une grimace. Elle tendit l’oreille et entendit des pas dans les escaliers.

- Jones ? ici ? que voulez-vous dire ?

- Oui, ma chère, j’ai pensé que Jones pourrait s’installer à la maison durant mon absence pour…

Stuart n’eut pas le temps de finir sa phrase que son épouse laissa échapper un cri étouffé et l’interrompit en haussant le ton pour bien se faire entendre.

- Ici ? Avec moi ? Vous n’y pensez pas ? C’est totalement inconvenant.

- Qu’entends-je, Stuart ? s’exclama Madame Hamilton qui venait de les rejoindre dans le salon. Elle s’approcha de Hope et la prit par le bras Oh ma chère enfant, prenez un siège, vous êtes toute pâle et sur le point de défaillir.

Madame Hamilton ordonna à son fils de l’aider à installer sa femme sur la méridienne et lui demanda sèchement de prendre congé de leur régisseur qui n’avait nullement sa place dans la maison. Ce dernier, humilié d’être remis à sa place et chassé de la sorte les quitta. Lorsqu’il sortit, il jeta un regard chargé de haine à Hope.

Elle venait de se faire un ennemi et malgré sa victoire de ce soir, elle devrait être sur ses gardes.

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