Chapitre 7

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Il fut impossible d’éviter la famille de Stuart pour les fêtes de Noël. D’ailleurs, ce dernier ne chercha pas d’excuses et il fit part de leur prochain départ pour Oak Shadow à Hope sans lui laisser le choix. Il lui expliqua qu’ils resteraient jusqu’à la nouvelle année car la famille Hamilton organisait un grand bal tous les ans à cette occasion.

C’est le cœur lourd que la jeune femme fit préparer ses bagages pour les deux plus longues semaines de sa vie.

Contre toute attente, le trajet s’effectua dans une ambiance légère et joyeuse. Stuart était d’excellente humeur ; il adorait les fêtes de Noël et il était intarissable sur les nombreuses anecdotes qui avaient jalonné son enfance. Il raconta à Hope que sa mère avait l’habitude de cuisiner elle-même la traditionnelle bouillie à la vanille, ainsi que du nougat et des macarons. Son visage était métamorphosé, on aurait dit un petit garçon. Il lui décrivit ensuite le grand sapin de Noël qui trônait dans le salon. Les Hamilton étaient parmi les premiers à avoir cédé à cette tradition venue d’Allemagne.

La période qui séparait Noël du Nouvel An était un moment particulier pour tous, comme le constata Hope très rapidement. En effet, la majeure partie des esclaves bénéficiait d’un congé ; la seule tâche qui leur incombait était celle de nourrir les bêtes. Ceux qui avaient de la famille éloignée étaient même autorisés à leur rendre visite.

La vie sur la plantation tournait au ralenti. Les femmes de la famille Hamilton prêtaient main forte aux esclaves qui étaient restés à la maison pour la cuisine.

Madame Hamilton avait coutume de préparer, le matin de Noël, du lait de poule qu’elle servait à ses esclaves, tandis que son mari distribuait les rations de Noël. Hope les observait à distance, enorgueillis de leur propre indulgence et si fiers de leur rôle de bienfaiteurs charitables.

Hope ne ressentait que mépris et dédain pour ses beaux-parents, malgré les efforts qu’ils avaient fait envers elle depuis son arrivée. Ils l’avaient accueillie plus chaleureusement que lors de sa première visite et avaient cherché à la mettre à son aise. Elle leur en avait su gré, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que leur attitude suintait l’hypocrisie. Elle les évitait autant qu’elle pouvait.

Heureusement, elle avait une meilleure relation avec son beau-frère et ses belles sœurs qui semblaient l’apprécier sincèrement. Elle passait beaucoup de temps avec ses dernières, au salon à jouer aux cartes. Juliette, pleine d’entrain, la faisait rire avec ses nombreuses facéties. L’adolescente trépignait d’impatience pour le bal de la Nouvelle année. Ses parents avaient fait venir de Paris un nouveau trousseau pour son entrée officielle dans la société

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Hope observait, fréquemment à la dérobée, Bettany et la petite Helen qui portait une version anglicisée du prénom de sa grand-mère. Hope n’avait que très peu côtoyé d’enfants en bas âge et elle éprouvait un certain mélange de curiosité et de crainte face à ce petit être complètement dépendant des adultes qui l’entouraient.

La première fois que Bettany la lui mit dans les bras, elle n’osa plus bouger de peur de la faire tomber ou de la casser ; ce qui ne manqua pas de faire froncer les sourcils d’un air réprobateur à sa belle-mère.

Le séjour se déroulait mieux que prévu, chacun ayant mis ses rancunes de côté. Stuart était plus détendu, il avait retrouvé son côté taquin et charmant. Il ne cessait de l’entourer d’attention et de tendresse. Il ne passait que peu de temps avec ses parents et préférait emmener Hope faire de longues balades à cheval. Ils firent plusieurs visites de courtoisie aux plantations voisines pour qu’il puisse lui présenter ses amis. Hope eut vraiment l’impression, pour la première fois depuis son arrivée en Géorgie d’être partie prenante de la vie de son mari. Son cœur commençait à cicatriser. Elle sentait que Stuart regagnait sa confiance. Il n’avait plus eu d’accès de colère et se tenait éloigné du whisky.

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Le matin du 31 décembre, la maison était en effervescence. Tous les esclaves de maison, revenus de leurs congés, étaient à pied d’œuvre pour préparer le grand bal qui devait avoir lieu le soir même. La maitresse de maison donnait les ordres et contrôlait ce que chacun faisait.

Il était de coutume que les habitants de Oak Shadow désertent la propriété en cette journée, laissant Madame Hamilton seule aux commandes, ce qui semblait lui convenir parfaitement. Les hommes avaient un rendez-vous en ville. Bettany avait prévu de rendre visite à ses parents avec son bébé et Juliette passait l’après-midi chez une amie. Les deux jeunes femmes avaient gentiment proposé à Hope de les accompagner, mais cette dernière avait décliné. Elle aspirait à un peu de calme et à retrouver une certaine autonomie. Elle avait prétexté un début de migraine pour que Stuart accepte de la laisser seule.

Hope souhaitant éviter la présence de sa belle-mère, en profita pour s’éclipser et partir se promener. Elle n’avait pas vraiment encore eu la chance de pouvoir visiter la plantation comme elle aurait aimé. Stuart lui avait fait le tour du propriétaire de manière sommaire afin qu’elle ne soit pas en contact avec la réalité de l’esclavage qu’il savait la heurter.

Elle s’éloigna de la maison d’un pas léger, comme délestée d’un fardeau. L’air était doux et le soleil de fin décembre réchauffait timidement son visage. Hope se dit qu’elle aurait dû emmener son ombrelle, les bords de son chapeau ne la couvrant pas suffisamment ; elle craignait que ses taches de rousseur ne soient encore plus prononcées.

Sa belle-mère serait ravie que son teint de rousse soit aussi ostentatoire lors de sa présentation officielle au bal. Ne lui avait-elle pas déjà conseillé un bain au lait d’ânesse dans le but de les atténuer. A cette pensée, Hope fut prise d’un irrésistible fou rire. Elle riait à gorge déployée, seule au milieu du chemin. Elle ne pouvait chasser l’image de Hélène Hamilton, les lèvres pincées, le visage sévère et le regard désapprobateur. Elle l’entendait lui faire la morale sur la bienséance. Ses parents n’avaient jamais attaché autant d’importance à son apparence, peut-être à cause d’une forme de nonchalance, un privilège de la noblesse ?

L’attitude rigide de cette femme contrastait tellement avec son sentiment de liberté qu’elle ne pouvait qu’en rire. D’un geste de défi, elle ôta son chapeau et continua sa promenade.

Hope ralentit lorsqu’elle arriva un groupe de petites cabanes et elle identifia sans peine ce qui était le quartier des esclaves. Les maisons en bois étaient désertes, la plupart des esclaves n’étant pas encore revenue. Chacune avait un petit potager qui permettait de produire des légumes pour compléter les rations qui étaient parfois, pour ne pas dire souvent, maigres. C’est Patsy qui le lui avait expliqué.

Hope ressentit un pincement au creux du ventre ; elle avait espéré que les esclaves de Oak Shadowmangeaient à leur faim et n’étaient pas astreint à cultiver leur jardin après de longues heures de travail. Elle se promit d’en toucher un mot à Stuart.

Un timide toussotement tira Hope de ses pensées ; elle se retourna vivement pour découvrir derrière elle une fillette d’environ 6 ans qui lui fit un sourire édenté. Hope fut surprise de sa présence au milieu du quartier déserté. L’enfant lui fit un signe de la main l’invitant à la suivre. Hope n’hésita que quelques secondes puis, curieuse de découvrir une nouvelle facette de la vie de ses gens, lui emboita le pas. Elles sillonnèrent plusieurs minutes le long des cases toutes identiques les unes aux autres.

Elles progressèrent vers la partie qui se situait plus au sud à la lisière des champs de coton qui s’étendaient à perte de vue. Elles croisèrent la route de plusieurs esclaves qui étaient restés à la plantation, certains lui lancèrent des regards curieux d’autres affichèrent une mine plus hostile. Sa présence ne passait pas inaperçue et elle en ressentit un léger malaise.

Cette dernière semaine de l’année était très particulière pour les esclaves. Ce temps leur appartenait et ils pouvaient en disposer à leur gré. Ils pouvaient vivre entre eux loin des hommes blancs qui les martyrisaient le reste de l’année. Hope regretta d’être venue se promener là et d’avoir suivie la fillette.

La petite s’arrêta brusquement. Un jeune esclave, à l’air bagarreur leur barrait le chemin.

- Elle n’a rien à faire ici, Betty? dit-il en pointant Hope d’un doigt accusateur et en crachant par terre en signe de désapprobation.

Il était grand et fort, son visage était déformé par une rage froide. Il portait un pantalon en toile et était torse nu. Sa peau noire luisait au soleil. Il tenait un bâton à la main.

Hope le regardait fascinée, oubliant même la peur qu’elle aurait dû ressentir face à la situation délicate dans laquelle elle se trouvait. Elle n’avait que peu vu d’esclaves des champs. Le manque de vêtement qu’il portait lui donnait un côté primitif, ce qui était l’effet recherché de la part de ses maîtres. N’était-il pas plus simple d’oublier l’humain en lui donnant un aspect sauvage ?

Une voix fluette lui répondit calmement :

- Mimba veut la voir.

Le visage de l’homme se transforma, il se détendit et perdit son agressivité. Il s’écarta pour les laisser passer.

Betty se retourna vers Hope et lui dit :

- Venez maîtresse, ne vous inquiétez pas, vous n’avez rien à craindre. Isahia n’est pas méchant juste idiot.

Puis, elle ajouta à l’attention de ce dernier :

- Tu pourrais recevoir le fouet pour te comporter comme ça devant la maîtresse.

Il pâlit et déguerpit sans demander son reste.

Hope regardait la fillette ébahie par son audace et sa maturité. Elle voulut l’interroger et demander des explications sur la scène qui venait de se dérouler, mais l’enfant avait accéléré le pas et très rapidement pointa une case du doigt et dit simplement :

- C’est là !

Elle partit en courant dans la direction opposée pressée de pouvoir profiter de ses dernières heures de répit avant le dur retour au travail des champs.

Une vieille femme, appuyée sur une canne s’avança dans l’embrasure de la porte et s’inclina avec respect. Elle sortit en tremblotant à l’extérieur de la case et d’une voix ferme qui contrastait avec son apparence dit :

- Maitresse, pardonnez-moi de ne pas vous faire entrer dans ma maison, elle n’est pas digne d’une dame. Mais nous pouvons nous asseoir là, ajouta t’elle en désignant un banc en bois sous un arbre.

Hope avait juste eu le temps de jeter un coup d’œil à l’intérieur de la masure dont une forte odeur s’échappait et elle fut reconnaissante de prendre place sur le banc.

La vieille esclave resta silencieuse plusieurs minutes, elle dévisageait sa visiteuse.

- Vous n’êtes pas comme les autres femmes blanches. Finit-elle par dire.

Hope ne sut que répondre, elle choisit de se taire et de laisser la vielle femme lui expliquer la raison de sa visite. Elle n’avait pas imaginé en partant se balader la tournure des événements.

- Je m’appelle Mimba. J’ai eu douze enfants et vingt-trois petits-enfants. dit-elle fièrement.

Elle marqua une pause et après un long soupir reprit :

- Vous avez en déjà rencontré deux. Betty et Joseph. Et ses yeux se remplirent de larmes.

**************************

Après sa promenade, Hope monta directement dans sa chambre pour s’allonger. Elle demanda à Samuel de prévenir sa belle-mère qu’elle souhaitait se reposer avant le bal et ne déjeunerait pas. Elle n’avait aucune envie de se retrouver en tête à tête avec elle.

Elle avait besoin de se retrouver seule car elle était bouleversée par sa rencontre avec Mimba.

La vieille femme l’avait remerciée d’avoir accompagnée son petit-fils jusqu’à la fin, elle lui était profondément reconnaissante d’avoir apaisé et rassuré le jeune garçon. Hope avait été très surprise que les détails de la mort de Joseph soient parvenus jusqu’à sa famille car elle était totalement ignorante du réseau de solidarité que les esclaves avaient tissé entre eux.

Les deux femmes avaient beaucoup discuté, créant un lien qui dépassait les règles entre blancs et noirs.

Mimba était la doyenne des esclaves de la plantation Oak Shadow. Elle avait été achetée, quand elle était une toute jeune fille par le père de Madame Hamilton et offerte en mariage au couple. Elle avait longtemps travaillé à la maison comme cuisinière. Elle avait vu naître et grandir les enfants Hamilton. Elle avait même joué le rôle de nourrice pour Harry car elle avait eu son dernier enfant la même année. Lorsqu’elle devint trop âgée pour effectuer les tâches domestiques, Madame Hamilton qui s’était attachée à elle, lui avait offert de passer sa retraite à la plantation. A présent, elle cultivait un petit jardin de plantes et des dons de guérisseuse qu’elle mettait à profit pour aider les autres.

Mimba avait une profonde affection pour Madame et ses enfants et n’avait à aucun moment émis le moindre commentaire ou jugement sur eux. Au contraire, elle parlait de manière très respectueuse. Hope admirait sa grandeur d’âme.

Mimba lui raconta de nombreuses anecdotes sur l’enfance de Stuart. Elle lui révéla que c’était un petit garçon très turbulent qui avait donné du fil à retordre à ses parents.

Elle avait tu les drames qui avaient jalonné sa vie, elle avait pudiquement dit que certains de ses enfants étaient restés avec elle à Oak Shadow, n’explicitant pas où étaient les autres. Ils avaient probablement été vendus, avait deviné Hope en songeant à la fin tragique de Joseph sur la plantation des Dickins.

Hope fut prise d’une profonde mélancolie et d’une grande fatigue. La vie de Mimba lui paraissait tellement triste et injuste.

La condition des esclaves la bouleversait. Elle eut soudain envie de rentrer chez elle, en Angleterre et de fuir ce monde qui lui était étranger et hostile.

Hope s’allongea sur le lit, une grosse boule lui bloquait la gorge. Elle tenta de déglutir et éclata en sanglots. Elle pleura longtemps et finit par sombrer dans un sommeil agité.

- Hope, réveillez-vous !

La jeune femme se redressa d’un bond dans le lit, le cœur battant la chamade, le front couvert de sueur et les joues baignées de larmes. Stuart était assis à ses côtés l’air inquiet, une main sur son épaule.

- Etes-vous souffrante ? Vous criiez dans votre sommeil.

Son rêve avait paru si réel. Elle était enfermée dans la case de Mimba avec Betty et Joseph. La petite pièce était ravagée par les flammes. L’air devenait irrespirable. Il n’y avait pas d’issue de secours. Hope essayait de toutes ses forces d’ouvrir la porte, qui était fermée à clé. Elle criait à l’aide et soudain, elle aperçut Stuart qui tranquillement prenait le thé avec sa mère tout en la regardant brûler. Elle était en train de suffoquer quand elle s’était réveillée.

Son visage était chaud et sa tête lui donnait de terribles lancées. Elle ne pouvait bien entendu pas raconter son horrible cauchemar à son mari. Elle se ressaisit, lui prit tendrement la main et le rassura :

- Oh Stuart, vous êtes rentré. Ce n’est rien, j’ai juste fait un mauvais rêve.

- Tant mieux. dit-il.

Stuart parut rasséréné et ajouta :

- Il est tard, il vous faut vous préparer. Mère souhaiterait que nous soyons à ses côtés pour accueillir nos invités.

Hope se leva et appela la jeune Bonnie pour qu’elle l’aide à se préparer.

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