Chapitre 6

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Hope et Stuart n’abordèrent pas ce qui s’était passé cette nuit-là.

Les jours qui suivirent, Stuart fit amende honorable. Il se montra gentil et prévenant. Il lui apporta des fleurs. Pour lui plaire, il invita les Stanton à dîner et se montra le plus charmant des hôtes.

Il la complimenta sur les changements qu’elle avait opérés dans la maison. Il se dégagea du temps dans son horaire et l’emmena se promener. Elle retrouva le Stuart qu’il avait séduite et de qui elle était tombée amoureuse.

Mais il ne s’excusa jamais.

Hope souffrait de quelques contusions bénignes, mais son âme était marquée au fer rouge. Une profonde peur lui enserrait le cœur comme un étau. Ce n’était pas tant son mari qu’elle craignait, mais un choix qu’elle n’était plus certaine d’avoir complètement mesuré. Elle ne pouvait pas accepter cette idée, elle mit donc toute son énergie à la combattre.

Elle lui trouva toutes sortes d’excuses ; il avait probablement traversé des moments difficiles en compagnie de sa famille ; les affaires n’étaient pas toujours faciles et induisaient chez de nombreux hommes des tensions et des préoccupations que les femmes ne pouvaient pas comprendre. C’est ce que lui avait expliqué le Docteur Wilson quand il était venu examiner sa tête qui la faisait souffrir suite à sa chute. C’est Stuart qui l’avait mandaté. Il était évidemment inconcevable de demander à leur ami le docteur Stanton de venir.

Stuart avait expliqué au vieux médecin, un ami de la famille de longue date que sa tendre épouse avait perdu l’équilibre et avait chuté. Il en avait également profité pour lui faire part de son inquiétude de ne pas avoir encore d’héritier. Le Docteur Wilson préconisa beaucoup de repos. Il se montra rassurant et lui rappela la chance qu’elle avait d’avoir un mari si prévenant. Stuart la persuada qu’elle devait absolument se ménager pour préparer son corps à la maternité et faire ainsi de lui le plus heureux des hommes. Il lui demanda de passer moins de temps avec les Stanton.

Hope décida qu’elle ferait tout son possible pour que son mariage réussisse.

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Depuis que Hope voyait moins les Stanton, ses journées lui paraissaient interminables. Elle prenait son petit déjeuner avec son mari, faisait le point sur les différentes tâches que les esclaves devaient accomplir. Pour la distraire, Stuart lui avait offert de nombreux livres. C’était, pensait-il, un moyen de la garder occupée à la maison.

Hope était plongée dans l’Odyssée D’Homère, qu’elle avait déjà lu à plusieurs reprises, lorsqu’elle fut interrompue par Patsy qui lui apportait son thé de l’après-midi. La jeune esclave rasait les murs depuis l’accès de rage de son maitre ; la pauvre enfant, bien qu’habituée à la violence, semblait terrorisée. Hope en était attristée et en concevait une forme de culpabilité.

Le livre posé sur les genoux, elle observait Patsy lui verser le thé dans la fine tasse de porcelaine représentant des oiseaux dans un cadre bucolique. La jeune fille disposa ensuite sur la table une assiette de délicieux scones dont l’odeur embaumait la pièce.

Hope ferma les yeux brièvement et fut transposée dans le manoir familial. Elle avait 6 ans et dans la grande bibliothèque, elle tentait de déchiffrer les premières pages d’un livre. Son père fumait la pipe à côté d’elle et l’encourageait, lui promettant de déguster des scones dès qu’elle aurait réussi.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle sut exactement ce qu’elle allait faire de son temps libre. Elle sourit à Patsy et l’invita à s’approcher.

La jeune esclave eut un mouvement de recul et jeta un regard inquiet en direction de la porte. Hope perçut de la peur dans son regard ; elle se leva et ferma la porte.

- Ne t’inquiète pas, Patsy. Ella est partie au marché et Jackson l’accompagne. Nous sommes seules.

Puis elle attira Patsy sur le sofa. Elle la rassura avec un sourire et lui dit en pointant une lettre.

- Voici le A. C’est la première lettre de l’alphabet qui en compte 26.

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Londres, le 15 décembre 1855

Ma chère Hope,

J’ai une grande nouvelle à t’annoncer : Je vais me marier ! Oui, tu as bien lu, qui l’eut cru ?

Je suis désolée de ne pas t’avoir parlé de Edward plus tôt, mais j’avais si peur de me bercer d’illusions que je ne voulais rien dire. Je ne pensais pas qu’un homme veuille s’embarrasser d’une femme impotente et stérile.

Edward est l’homme le plus merveilleux qui existe (je sais que tu as le même sentiment au sujet de Stuart, ça doit être ça l’amour). Nous nous sommes rencontrés peu après ton départ, c’est une relation d’affaires de mon père et il lui a rendu visite chez nous à la campagne. Dès que je l’ai vu, j’ai été sous le charme. Edward a déjà deux grands enfants qui sont en pension en Suisse. Je les ai rencontrés avec un peu d’appréhension, enfin beaucoup devrais-je dire pour être tout à fait honnête, et ils se sont montrés charmants avec moi. Leur mère est décédée quand ils étaient petits et ils semblent prêts à m’accueillir comme belle-mère. Je n’avais jamais imaginé pouvoir être aussi heureuse. J’aimerais tant que tu puisses être là.

Je suis très contente de savoir que tu te plais dans ta nouvelle vie. Ta dernière lettre m’a rassurée. Ta mère et moi étions quelque peu inquiète de la façon dont tu allais être intégrée dans la famille de Stuart. On dit que les Américains sont parfois des rustres, ne m’en veux pas de l’écrire, ça ne concerne en rien ton époux qui est charmant. C’est pourquoi, j’ai été soulagée quand tu m’as raconté comme tu avais été si bien accueillie.

Hope interrompit sa lecture et se cacha les yeux, envahie par la honte. Elle n’avait pu se résoudre à dire à ses proches qu’elle avait été traitée comme une paria. Ses parents auraient été furieux et frustrés, impuissants à soutenir et défendre leur fille. Elle avait également menti à Charlotte. Elle était incapable d’avouer qu’une partie de sa relation avec Stuart dysfonctionnait. Elle ne pouvait révéler qu’il lui avait menti ou qu’il s’était montré violent. Elle préférait l’occulter complètement et jouer la politique de l’autruche.

Hope reprit la lecture de sa lettre.

J’ai été très touchée par l’histoire de ta jeune domestique et je trouve admirable que tu lui consacres du temps. Nous savons toutes les deux à quel point l’éducation est importante et que la condition de la femme ne progressera que grâce à elle. Cependant, si tu dis que tu lui apprends à lire en cachette, c’est que tu braves une interdiction, ai-je bien compris ? Je n’ai pas non plus saisi si ton mari est au courant. Dans tous les cas, je t’encourage à poursuivre, mais sois prudente ne t’attire pas d’ennuis.

J’attends ta prochaine lettre avec impatience.

Je t’embrasse.

Ton amie Charlotte

Hope resta songeuse quelques instants. Elle se demandait si elle avait bien fait d’expliquer à Charlotte qu’elle apprenait à lire à Patsy. Car bien sûr, elle savait qu’elle jouait avec le feu. Les « nègres » devaient rester à leur place. Ils ne devaient pas apprendre à lire car l’éducation était le premier pas vers la liberté, en tous cas celle de l’esprit.

Elle n’avait évidemment rien dit à Stuart ; elle savait instinctivement qu’il désapprouverait et qu’il lui interdirait de continuer. Le verbe interdire la fit frémir. Oui, son mari était en droit de lui interdire de faire certaines activités. Mais n’était-ce pas déjà le cas ? Sous prétexte de sa santé, ne lui avait-il pas fermement recommandé de passer moins de temps avec les Stanton ? Dans une moindre mesure, elle appartenait à Stuart comme Patsy, Ella, Jackson ou tout autre esclave. Cette pensée lui était intolérable. Pourtant ce système patriarcal n’était pas différent en Angleterre, mais elle n’en ressentait pas moins une profonde injustice.

Elle aimait son époux, cependant, elle savait en son for intérieur qu’ils ne partageaient pas la même vision de la vie. Elle l’avait réalisé petit à petit à travers des détails du quotidien. Il était terriblement conformiste, ce qui contrastait avec l’image qu’il avait donnée de lui lorsqu’il lui faisait la cour. Elle tentait de ne pas y attacher trop d’importance, mais cela la déstabilisait et la décevait.

Apprendre à lire à une esclave était une forme de désobéissance civile qui était plaisante et excitante en même temps. Elle le faisait autant pour elle que pour Patsy.

Celle-ci s’était par ailleurs montrée très réticente au départ, malgré l’attrait que la lecture avait sur elle. Il a fallu à Hope des trésors de patience et de persuasion pour la convaincre de la laisser lui apprendre à lire.

Patsy était une élève très douée et rapidement, elle avait réussi à déchiffrer ses premières phrases. Hope en concevait une grande fierté.

Elles se cachaient dans la chambre à coucher pour leurs leçons, prétextant des travaux de couture ou des essayages de tenues. Patsy craignait de recevoir le fouet si le maitre ou la cuisinière s’en apercevaient.

Prise d’une impulsion, Hope se leva et jeta la lettre de Charlotte dans la cheminée et regarda le papier se consumer par le feu. Elle devait se montrer prudente.

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