Chapitre 5

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Ce matin-là, Stuart quitta tôt la maison, il devait se rendre à Charleston pour quelques jours afin de rencontrer un client. Il avait prévu de s'arrêter chez ses parents au retour et d'y passer la nuit. Hope lui avait affirmé qu'elle n'avait aucun problème avec ça. Elle profiterait de sa solitude pour écrire à sa famille et à son amie Charlotte qu'elle avait un peu délaissée au profit de ses activités à l'hôpital.

Les Stanton avaient également quitté la ville pour aller passer quelques jours à New York. Ils devaient acheter des fournitures médicales et Mary avait prévu de retrouver l'une de ses cousines. Ils avaient besoin de quelques jours de répit.

Hope s'offrit le luxe de trainer au lit et d'y prendre son petit déjeuner.

Elle demanda à Patsy, la jeune esclave, de lui apporter le journal que son mari n'avait pas eu le temps de lire et de lui préparer un bain.

Elle appréciait le calme qui régnait dans la maison et se surprit à se dire qu'elle était pour la première fois de sa vie complètement libre. Elle avait toujours vécu avec quelqu'un, d'abord ses parents et Stuart ensuite.

Elle ne se sentait pas du tout désœuvrée et éprouvait une certaine excitation à profiter de la maison seule. Elle avait hâte de pouvoir lire tranquillement les nouvelles. Stuart ne l’avait jamais clairement dit, mais elle savait qu’il pensait qu’une femme n’avait aucune raison de s’intéresser à la presse. Il était peu enclin à lui passer le journal lorsqu’il l’avait terminé, cherchant des excuses pour l’éviter. Il changeait toujours de sujet lorsqu’elle s’enquérait de ce qu’il avait lu. Il ne comprenait pas sa soif de connaissance. Il était vite exaspéré lorsqu’elle lisait par-dessus son épaule. Hope ne pouvait s’empêcher de penser que son attitude contrastait avec l’image qu’il donnait au début de leur histoire. Mais elle chassait ses pensées dérangeantes refusant de laisser le doute s’insinuer dans son mariage.

C’est donc avec un plaisir non déguisé qu’elle ouvrit le journal. Après avoir rapidement passé les nouvelles économiques et les potins, un article retint, son attention. Il s'agissait d'une manifestation organisée par des femmes dans le Nord contre l'esclavagisme. L’auteur ne cachait pas son mépris et il concluait en vantant la bonne éducation des femmes du sud qui ne perdaient pas de temps à se mêler à des questions politiques qu’elles ne maitrisaient pas.

Hope sourit devant le courage de ses femmes qui se battaient pour les autres et aussi pour leurs propres libertés. Une de ses cousines en Angleterre, faisant fi des traditions familiales, avait milité pour le suffrage des femmes. Hope était convaincue que si elle n'avait pas épousé Stuart elle aurait rejoint le mouvement. Elle était farouchement indépendante.

Cette pensée la perturba et elle eut un instant l'impression de ne pas avoir choisi sa voie.

Était-elle vraiment destinée à devenir juste une épouse et une mère ?

Elle continua à tourna les pages pour arriver aux nouvelles internationales. Même si elle se plaisait beaucoup ici en Géorgie, l'Angleterre lui manquait. Elle avait envie de voir ses parents. Leur dernière lettre l'avait laissée songeuse. Elle sentait bien que sa mère lui cachait certains éléments. Elle craignait que l'arrivée de l'hiver détériore encore sa santé. Elle se promit de leur écrire une longue lettre dès qu'elle aurait pris son bain.

Sa mère lui avait écrit que son père avait ralenti ses activités, il envisageait de prendre sa retraite de l'université. Il souhaitait passer plus de temps dans leur manoir à la campagne. Elle lui avait également raconté que sa cousine Emily, Hope grimaça en se souvenant de cette cousine éloignée qui avait plusieurs années de plus qu'elle, s'était mariée. Ses parents avaient été profondément soulagés car elle approchait la trentaine et ils désespéraient de lui trouver un mari acceptable. Sa mère avait décrit avec moult détails la cérémonie et la robe de la mariée.
A un instant, Hope avait eu un flash et s'était souvenue des tourments que lui avait causés Emily, une fille au physique ingrat qui respirait la méchanceté. Adolescente, elle prenait un malin plaisir à effrayer Hope et à la persécuter. Elle l'avait plusieurs fois enfermée à la cave et une fois l'avait abandonnée vers l'étang à la nuit tombée. Chaque fois, elle avait menti à leurs parents en prenant un visage innocent et en pleurant si nécessaire pour éviter de quelconques représailles. Hope plaignait le pauvre homme qui avait été assez stupide pour épouser pareille femme. Car elle doutait qu'elle ait pu devenir plus gentille avec le temps. Hope avait été heureuse qu'Emily ne puisse assister à son propre mariage car elle avait attrapé la varicelle.

Sa mère lui avait également appris que l'état de son amie Charlotte s'était amélioré, elle passait beaucoup de temps à la campagne et avait un prétendant. Cette petite cachottière n'en avait pas soufflé mot lors de sa dernière lettre. Curieusement, Hope se sentit attristée de ne pas avoir été mise dans la confidence par son amie d'enfance. Elle sentait la distance entre elles de manière plus cruelle. Elle fut saisie par le mal du pays et eut envie de rentrer pour pouvoir retrouver les êtres qui comptaient le plus pour elle.

Malgré l'amour de Stuart et l'amitié des Stanton, Hope était blessée par la réaction de sa belle-famille. Elle avait espéré trouver des parents de substitution et cela la décevait qu'ils la considèrent comme une étrangère.

Elle avait eu quelques lettres de ses belles sœurs qui l'invitaient régulièrement à venir leur rendre visite à la plantation et elle avait toujours décliné poliment.

Elle savait aussi que le fait qu'elle n'était toujours pas enceinte ne jouait pas en sa faveur.

Plongée dans sa lecture, elle ne remarqua pas tout de suite que Patsy qui débarrassait la table du petit déjeuner jetait des regards curieux par-dessus son épaule.

  • - Que regardes-tu avec autant d’intérêt ? lui demanda t’elle gentiment.

La jeune esclave parut hésiter, elle n’aurait jamais osé poser la question si le maitre avait été présent puis finit par répondre :

  • - Je me demandais ce qui était écrit dans le journal.

Hope lui sourit, amusée d’avoir eu la même curiosité et lui tendit le journal.

- Lis par toi-même. Lui répondit-elle.

Patsy, pâlit, puis rougit, s’excusa en bafouillant et sortit précipitamment de la pièce, laissant derrière elle une Hope stupéfaite. Hope se reprocha instantanément sa bêtise. Bien sûr que Patsy ne savait pas lire ; les esclaves n’avaient pas accès à l’éducation. Elle regrettait de l’avoir blessée, d’autant plus qu’elle avait remarqué dans les yeux de la jeune fille la même soif d’apprendre qu’elle avait ressentie depuis sa plus tendre enfance.

Hope quitta la salle à manger et suivit sa jeune bonne jusqu’à la cuisine sous le regard médusé de la cuisinière qui s’activait aux fourneaux. Elle allait ouvertement aborder la question quand elle remarqua l’air paniqué de la jeune fille qui la suppliait du regard de ne rien dire devant Ella, la cuisinière.

Cette dernière, inquiète s’avança pour lui demander s’il y avait un problème.

Hope pris conscience de l’incongruité de la situation. Elle n’avait rien à faire à la cuisine et sa présence mettait mal à l’aise les deux femmes. Elle leur adressa à toutes les deux un sourire rassurant et improvisa :

  • - Ella, vos pancakes étaient délicieux, je tenais à vous féliciter.

La cuisinière rougit sous le compliment et lui adressa une petite révérence.

Hope s’adressa ensuite à Patsy:

  • - Patsy, peux-tu préparer mon bain ?

Elle tourna les talons et quitta la cuisine. Les deux esclaves échangèrent un regard, leur maitresse ne ressemblait à aucune autre. Elle leur parlait de façon toujours courtoise et leur témoignait un respect auquel elles n’étaient pas habituées.

*********************************

Stuart revint à la maison au bout d’une semaine, de forte méchante humeur. Il semblait préoccupé et éprouvé, ses traits étaient tirés, ses yeux cernés et sa mâchoire crispée. Il se montra distant avec Hope, n’écoutant que d’une oreille distraite ce qu’elle lui racontait.

Elle avait goûté à sa liberté, mais son mari lui avait manqué et elle avait eu hâte de le retrouver. Elle avait porté une attention particulière à sa tenue, choisissant une robe de la couleur préférée de Stuart et elle avait orné sa longue tresse de perles. Elle était impatiente de lui parler de cette semaine qu’elle avait mise à profit pour apporter quelques petits changements dans la maison. Elle pensait qu’il serait heureux de sa plus grande implication dans leur foyer.

En effet, jusque-là, elle n’avait pas pris très au sérieux ses responsabilités de maitresse de maison, trop occupée par ses activités avec le Docteur Stanton. L’absence de son mari et de ses amis lui avait permis de faire mieux connaissance de ses domestiques, d’apporter une touche de féminité dans les pièces principales en ajoutant des fleurs achetées au marché. Elle avait également décidé d’instaurer un entretien hebdomadaire avec la cuisinière et Jackson le majordome afin d’élaborer les menus et de déterminer les modalités des repas.

Elle était fière d’elle et avait ressenti qu’elle était devenue une adulte responsable. Elle avait souri lorsqu’elle avait réalisé cette ambiguïté. Elle qui rêvait d’indépendance et de liberté éprouvait de la satisfaction à faire ce que finalement la société attendait d’elle.

Cette semaine sans son époux l’avait fait mûrir.

Hope réalisa que Stuart ne l’écoutait pas, elle changea de sujet et lui demanda si son voyage s’était bien passé et comment se portait sa famille. Il ne répondit que par des monosyllabes et des hochements de tête.

  • - Stuart, est-ce que tout va bien ? lui demanda t’elle inquiète. Vous semblez préoccupé.

Il s’emporta et la rabroua vertement. Il était fatigué et peu disposé à écouter ses jacasseries. La jeune femme en resta interloquée et se sentit blessée. Elle peinait à reconnaitre son époux. Il s’excusa et l’informa qu’il était épuisé et qu’il montait se coucher.

Il sortit en trombe de la salle à manger, laissant sa femme sans voix et bousculant au passage Patsy qui apportait la soupe. Le grand plateau que la jeune esclave portait en équilibre vola et son contenu se fracassa au sol éclaboussant au passage le maitre de maison.

Cet incident sembla décupler sa fureur. Il poussa un hurlement de rage et se mit à frapper violemment Patsy qui s’était mise à genou, autant pour demander pardon que pour tenter de ramasser la porcelaine brisée en mille morceaux. La pauvre tentait vainement de se protéger des coups de bottes et de poing qui s’abattaient sur elle.

Les cris avaient attiré les autres esclaves de la maisonnée qui semblaient tétanisés devant la violence de leur maitre. Aucun d’eux ne fit le moindre geste pour intervenir.

Hope resta paralysée par le choc quelques secondes, puis se précipita vers son mari cherchant à s’interposer.

  • - Stuart, êtes-vous devenu fou ? lui cria t’elle.

Elle lui saisit le bras, mais il la repoussa si brusquement qu’elle tomba par terre et sa tête heurta le mur.

Stuart s’interrompit, il congédia brutalement les esclaves les menaçant du fouet s’ils restaient immobiles à regarder la scène. Ella attrapa prestement la pauvre Patsy et l’emmena avec elle à la cuisine. Stuart releva sa femme en la tirant sans ménagement par le bras et la conduisit à leur chambre à coucher.

A peine la porte fermée, il l’agrippa par les cheveux et lui souffla :

  • - Ne vous avisez plus jamais de vous interposer et de me parler comme ça devant nos esclaves !

Son haleine était chargée et ce n’est qu’à cet instant que Hope réalisa que son mari était ivre. Elle était terrorisée par ce déferlement de violence, elle n’osait plus bouger.

Stuart la lâcha et s’effondra sur leur lit, il s’endormit aussitôt.

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