4.

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Une demi-heure plus tard, je garai la voiture sur le parking privé devant le siège de la startup AgWonko, qui se trouvait à l'autre bout de la ville.

  • Tu connais bien ce Lanssana Agbo ? me demanda Dawilé, tandis que nous montions les marches qui menaient à l'entrée du bâtiment.
  • Je l'ai croisé il y a quelques mois, lors du vernissage d'une expo d'une amie de Tamara, qui nous y avait invitées. Lanssana était présent et Tamara me l'avait présenté brièvement. Mais j'étais en civil, donc je ne sais pas s'il va se rappeler de moi.
  • Qui pourrait oublier un visage pareil ?

Je fronçai légèrement les sourcils, tout en fixant mon coéquipier pour lui signifier aimablement de se calmer. Je finis par esquisser un sourire, tout en poussant la lourde porte vitrée qui servait d'entrée principale.

Le hall de la startup était assez joli, lumineux et avec des pots de plantes vertes un peu partout. De nombreuses affiches et réalisations imprimées, qu'avaient sûrement supervisés Tamara, Lanssana et leur équipe de designers au fil des ans, étaient accrochées sur les murs.

Derrière une table, à l'accueil, se trouvait une jeune secrétaire dans un tailleur avec des imprimés wax bleus et jaunes, visiblement occupée à visionner des vidéos sur un réseau social. Apparemment, elle ne nous avait pas entendu entrer.

  • Bonjour, madame, déclarai-je brusquement.

Elle sursauta en nous voyant derrière la table.

  • Euh... Oui, euh...Bonjour, je... je peux vous aider ? balbutia-t-elle tout en réduisant discrètement la fenêtre sur le bureau de son écran d'ordinateur.
  • Je suis le Capitaine Mensah et voici le Lieutenant Koma.

Je sortis ma carte de police et Dawilé en fit autant.

  • Nous voudrions parler à Mr Agbo. C'est important.
  • Euh... C'est que... Mr Agbo est en réunion en ce moment avec des investisseurs pour un contrat assez important et...
  • Madame, je n'aime pas me répéter, tonnai-je en durcissant ma voix, déjà grave. Nous pouvons très bien aussi débarquer dans la salle de réunion. Avec les investisseurs présents, je doute que cela soit avantageux pour les affaires de Mr Agbo.
  • Attendez, je vais le chercher !
  • Bien.

La secrétaire s'engouffra dans un couloir sur sa gauche et revint cinq minutes plus tard avec Lanssana.

Il était le genre d'homme que Tamara idéalisait de son vivant. La quarantaine, très élancé et élégant, avec le physique caractéristique d'une gravure de mode dans les magazines en papier glacé. Il était l'archétype du fils à papa.

  • J'espère que c'est important, grommela-t-il en réajustant sa cravate en soie pourpre sur une chemise immaculée, qui contrastait impeccablement avec son costard bleu nuit.
  • Apparemment, vous n'êtes pas au courant de la situation, lui rétorquai-je, les yeux plissés.
  • Quelle situation ?
  • Mr Agbo, pouvons-nous vous parler en privé ? lui demandai-je, en remarquant que la secrétaire, qui feignait de lire un document fictif, semblait davantage concentrée sur notre conversation.
  • J'ai suspendu une réunion de la première importance et mon temps est précieux, madame la policière et...
  • Capitaine. Et je vous prierai de baisser d'un ton, Mr Agbo. Je tiens à vous préciser que ce qui nous amène ici est de la première importance, également. Nous pouvons aussi faire en sorte que vous nous accompagniez de ce pas à notre poste de police, si vous préférez.
  • Allons dans le bureau que je partage avec Tamara, nous y serons plus tranquille, proposa-t-il sur un ton curieusement plus conciliant.

La pièce était vaste, avec deux tables de travail, de part et d'autre de la pièce. Du matériel artistique, ainsi qu'un agenda et un ordinateur portable dernier cri se trouvaient sur le bureau de Tamara.

  • Prenez place, dit-il en nous montrant de la main les deux chaises en face de son bureau. Il me semble... il me semble vous avoir déjà vu, Capitaine, ajouta-t-il en me dévisageant.
  • En effet, Tamara nous avait présentés l'année dernière, lors du vernissage de Leyla Pawssi.
  • Je me rappelle maintenant ! Mais je ne savais pas que vous étiez dans la police !
  • Je comprends. Mr Agbo, êtes-vous... au courant du meurtre de Tamara ?

Lanssana perdit soudain de sa belle assurance et il pâlit soudain, en manquant de tomber de son siège.

  • Qu... Quoi ?
  • Nous avons retrouvé son corps ce matin sur la plage d'Arobo. Nous vous présentons nos sincères condoléances.

Il se secoua la tête avant de la poser entre ses mains, puis se leva d'un bond avant de nous tourner le dos, face à la baie vitrée qui occupait à elle seule un pan de mur .

  • Mr Agbo, dit Dawilé avec son bic à la main, nous savons que c'est un moment difficile, mais il est important que vous répondiez à nos questions. Quand est-ce que vous avez vu Mlle Owonko pour la dernière fois ?

Lanssana revint s'asseoir et on aurait dit qu'il avait vu un fantôme.

  • C'était... C'était hier nuit, répondit-il. Vers 20 heures. Elle m'a dit qu'elle souhaitait rentrer plus tôt pour se reposer, car elle avait des migraines. J'ai tenté de la joindre ce matin en voyant qu'elle avait du retard, mais je tombais sans arrêt sur sa messagerie.
  • Mr Agbo, un témoin dans l'affaire nous a révélé que vous vous disputiez fréquemment avec Mlle Owonko, ces derniers temps. Est-ce exact ? lui demandai-je en le regardant dans les yeux.
  • Oui... Oui, c'est vrai, mais c'était pour des broutilles ! Il y a quelques semaines de cela, je l'ai surprise un jour au restaurant, avec un autre type ! J'ai alors décidé de la suivre quand je pouvais et j'ai découvert qu'elle le retrouvait régulièrement soit dans un hôtel, soit dans une auberge discrète en dehors de la ville. J'admets que je suis d'une jalousie maladive et qu'à plusieurs reprises, je lui ai fait savoir que c'était lui ou moi ! Mais...
  • C'est vrai que c'est une situation assez stressante, opinai-je sur un ton faussement compatissant. Alors hier, vous en avez eu assez de cette situation invivable et vous vous êtes donnés rendez-vous sur la Corniche Est. Et sous le coup de la colère, je dirais une colère de trop, vous l'avez battue à mort. Et ensuite, vous avez jeté son corps du haut de la falaise !
  • Quoi ? Mais... C'est faux...! Je... Je l'aimais ! affirma-t-il avec une voix cassée. On devait se marier dans deux mois.

Il passa sa main sur son visage avant de rugir :

  • Je n'ai jamais levé la main sur elle ! Je ne l'ai pas tué !
  • Où étiez-vous entre 23 heures et 3 heures du matin, Mr Agbo ? l'interrogea Dawilé, en prenant des notes.
  • Ici, au bureau. Je suis resté jusqu'à 1 heure du matin pour préparer la réunion avec les investisseurs et je suis rentré chez moi ensuite.
  • Quelqu'un peut-il en attester ? lui demandais-je à nouveau.
  • Non, les membres de ma famille dormaient déjà. J'ai un double des clés, donc personne ne m'a vu rentrer. Mais... attendez, vous êtes réellement en train de me soupçonner ? De m'interroger ? Je connais mes droits, d'accord ? Et je vous prie désormais de vous adresser à mon avocat, nous dit-il sur un ton abrupt, tout en nous tendant une carte de visite qu'il venait de sortir de son agenda. Je dois annuler ma réunion et prendre des dispositions quant à l'avenir de notre entreprise. Je ne sais pas si je pourrai continuer sans Tamara, ajouta-t-il en baissant les yeux.
  • Nous allons prendre congé, Mr Agbo, mais vous devrez passer demain matin au poste, afin que vous nous aidiez à établir un portrait robot du présumé amant de Tamara.
  • Bien.

Je portais machinalement mon regard sur la table de travail de mon amie défunte.

  • Mr Agbo, il s'agit bien là de l'ordinateur et de l'agenda de Tamara?
  • Oui, Capitaine.
  • Nous allons devoir les récupérer et les consigner comme pièces à conviction, afin de pouvoir les analyser au poste de police.
  • Prenez ce que vous voulez, mais partez.

Sous le regard maussade de Lanssana, Dawilé sortit de sa sacoche des gants neufs et deux sacs en papier kraft. Il récupéra l'ordinateur et l'agenda qu'il plaça ensuite respectivement dans les sacs en papier.

  • Ne quittez pas la ville, Mr Agbo, lui dis-je, tandis que j'ouvrais la porte pour laisser passer Dawilé. Et veuillez rester à la disposition de la police.

Lanssana garda le silence et je refermai la porte derrière moi.

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