Le questionnaire

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Combien de temps ce questionnaire interminable allait-il encore durer ? Quels aspects de son identité, de sa personnalité, de son histoire n’avaient-ils pas encore été abordés ? Ses doutes sur ce rendez-vous étaient revenus en force, l'incitant de plus en plus à partir. Et ce fichu bouton ne faisait venir personne !

Quelques heures ou une éternité plus tôt, il avait enfin été accueilli par l’hôtesse idéale telle qu'il l'imaginait, grande, mince et brune, au sourire impeccable. Elle apportait enfin un peu de chaleur humaine, mais semblait paradoxalement déplacée dans cette étrange agence qui jusque-là, en avait cruellement manqué. La suite cependant allait éveiller sa curiosité, mais pas pour les bonnes raisons. Au lieu de l'accueillir à son bureau, l’hôtesse le fit entrer dans une pièce sans fenêtre plongée dans la pénombre, protégée par un badge, nue comme le reste des locaux à l’exception de deux choses incongrues : accrochée au mur, une grande photo de coucher de soleil aussi anonyme que possible ; et sous la photo, un terminal de saisie qui semblait obsolète depuis plusieurs générations.

En l’invitant à s’installer devant ce terminal, l’hôtesse commença à lui poser quelques questions :

« Que savez-vous du Club ?
— C’est un ami qui m’a inscrit sur votre liste. Il m’a dit que vos méthodes étaient très différentes des autres agences.
— C’est bien ça. Est-ce que vous en avez déjà essayées ?
— Non, seulement des sites de rencontre.
— Qu’en avez-vous pensé ? »

Il hésita, un peu surpris par ces interrogations. Celle qu’il avait prise pour une simple hôtesse avait sans doute plus de responsabilités.

« J’ai du mal à m’y faire. On y rencontre souvent des personnes qui ne sont intéressées que par une seule chose. Je les comprends, mais ce n’est pas ce que je recherche.
— Que recherchez-vous ? »

Nouvelle hésitation.

« Une vraie rencontre, quelqu’un dont j’ai envie de découvrir l’univers et qui aurait envie de découvrir le mien. Je voudrais une vraie relation, un peu de bonheur, pas seulement du plaisir… »

Elle lança une application de saisie qui semblait appartenir à la préhistoire de l’informatique. Même les antiques systèmes de son employeur, qui étaient maintenus en l’état faute d’ingénieur sachant les mettre à jour, n’étaient pas aussi austères.

« Le Club aimerait connaître votre profil. Ce système va vous poser toute une série de questions très personnelles. Vous n’êtes pas obligé de répondre à toutes, mais bien sûr plus vous serez précis, plus nous pourrons vous accompagner. Êtes-vous prêt ?
— Je ne suis pas obligé de répondre à toutes ?
— C’est vous qui choisirez…
— Ok alors, allons-y !
— Une dernière chose, les rubriques sont très nombreuses. Voulez-vous quelque chose avant, un café ou un rafraîchissement ?
— Non ça va aller, merci.
— Très bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez m’appeler en appuyant sur ce bouton. »

Elle était ressortie, le laissant seul face au terminal. Au début il avait eu à faire à des questions attendues auxquelles il avait répondu volontiers : son état civil, sa situation personnelle, son orientation, ses goûts, loisirs, etc. Tout ce qu’il avait déjà livré de lui au Club, c’était ce qu’il voulait bien laisser paraître sur les réseaux sociaux. Mais les thèmes abordés devenaient plus indiscrets, le poussant à se livrer davantage, au point qu’il avait maintenant l’impression de devoir se déshabiller en public. Il avait commencé à sauter une question, puis plusieurs, mais n’en voyait toujours pas la fin. Au contraire, celles qu’il ignorait revenaient plus loin formulées différemment, l’obligeant à en refuser toujours plus.

Il regrettait maintenant de ne pas avoir accepté de rafraîchissement. Il voulut appeler l’hôtesse, ou assistante, ou autre, mais il avait beau appuyer sur le bouton rien ne se passait, aucune lumière ne s’allumait et personne ne venait. De plus en plus énervé, il avait complètement cessé de répondre au questionnaire, validant les rubriques à la chaîne sans plus rien saisir. Peut-être son manque de réponses allait-il attirer l’attention de quelqu’un ? Mais alors que rien ne bougeait et qu'il était réellement sur le point de partir, l’assistante réapparut enfin sur le seuil d’une porte qu’il n’avait pas remarqué au fond de la pièce.

« Avez-vous terminé ?
— Non… je n’aurais jamais cru que ce soit si long !
— Je vous l’avais dit, les questions sont très nombreuses mais vous n’êtes pas obligé de répondre à toutes.
— Oui mais si je ne réponds pas elles reviennent… C’est bien fait votre système, on se sent obligé de tout dire ! »

L'assistante esquissa un sourire, dont il ne pouvait dire s’il était complice ou moqueur. Tout en lui parlant elle tournait la tête de temps en temps, comme pour écouter les remarques d’une personne qu’il ne voyait pas dans la pièce d’à côté.

« Très bien, si vous avez l’impression d’avoir fait le tour, je vais l’indiquer au système qui retiendra seulement les réponses complétées. Je vous invite maintenant à rencontrer votre accompagnateur. »

Elle lui fit signe de passer dans la pièce d’à côté en s’effaçant pour le laisser passer. Trois heures après, le véritable entretien allait enfin pouvoir commencer…

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