L'entretien, 1ère partie

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« Bonjour Pierre, je m’appelle Maxime Granier, je serai votre accompagnateur dans le Club. Laissez-moi vous dire que nous sommes très impatients de vous faire faire vos premiers pas chez nous ! »

L’homme qui s’adressait à lui avec une pointe d’accent anglais avait la quarantaine bien mise et une bonhomie toute professionnelle. Il aurait été d’ailleurs plus à sa place dans sa propre branche, l’assurance, que comme conseiller dans une agence matrimoniale. Pardon, accompagnateur. Il trônait derrière un bureau vide, à l’exception d’un terminal aussi démodé que celui du questionnaire et d’un téléphone plus récent. La pièce suivait le style dépouillé et anachronique de l’agence. Le mobilier y était réduit à l’essentiel : devant lui le bureau ; à sa droite, à côté de la porte donnant sur la pièce du questionnaire, une photo de montagne surplombant un meuble de dossiers, dont le dessus était désespérément vide ; à sa gauche, une porte répondant à celle de droite par laquelle l’assistante de Granier avait disparu, non sans avoir refermé vivement une armoire contenant apparemment une grosse machine à café et quelques bouteilles vides ; le reste du mur était percé d’une fenêtre protégée par des stores vénitiens en position basse. La pièce était éclairée par la fenêtre du fond qui donnait sur la cour de l’immeuble. Elle dégageait une forte odeur de propre, comme si tout venait juste d’être nettoyé avec un soin obsessionnel. Il n’avait jamais mis les pieds dans une agence matrimoniale, mais s’il était sûr d’une chose c’est qu’elles ne ressemblaient pas à ça.

« Vous vous demandez peut-être pourquoi le questionnaire était si long ?
— Je ne sais pas, je ne suis jamais allé dans aucune agence. J’imagine que vous me demandez tout ça pour pouvoir… mais il ne termina pas sa phrase, réalisant qu’il ne savait pas comment aborder la situation.
— Détendez-vous Pierre, je vais tout vous expliquer. Vous voyez, le Club n’est pas une agence traditionnelle et vous n’êtes pas notre client mais notre partenaire. Vous êtes ici pour prendre un chemin très important, un chemin qui peut changer votre vie, que nous allons vous aider à parcourir. Tout ce que vous avez répondu va nous permettre de comprendre qui vous êtes, ce qui vous a amené chez nous et comment nous pouvons vous accompagner au mieux. Notre volonté c’est de vous aider à créer les conditions de la rencontre que vous espérez afin que vous puissiez vivre ce moment magique.
— Pardon ?
— Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ?
— Vous n’organisez pas de rencontres ?
— Non cela ne se passe pas comme ça chez nous. Mais ce que nous faisons est bien mieux ! » Il s’interrompit pour pianoter sur son clavier, puis tourna l’écran vers Pierre. « Voici une présentation qui va vous permettre de comprendre nos méthodes. Elle dure cinq minutes. Je vous laisse la regarder sans vous interrompre, nous reprendrons après. »

Pierre se cala dans son siège pour regarder la présentation, pendant que son interlocuteur allait et venait d’une pièce à l’autre. Il s’agissait d’un reportage en anglais sur les méthodes scientifiques du Club, qui s’appuyaient sur les recherches d’un jeune professeur dont le nom n’était apparu que très brièvement. La voix des intervenants était couverte par celle d’une traductrice dont l’interprétation très sommaire n’aidait pas à comprendre le contenu. Il parvint cependant à en déduire qu’il s’agissait d’expériences sur les effets de certains signaux externes sur le corps ou l’esprit. On y soumettait de jeunes volontaires, bardés d’un assortiment ahurissant de capteurs bricolés, à toutes sortes de stimuli, visuels, sonores ou encore olfactifs. Le but était de provoquer des réponses bien spécifiques, allant de simples réactions à des changements plus profonds. Ces réponses étaient mesurées et enregistrées sur des ordinateurs aussi vieux que ceux de l’agence.

Les séquences avaient été tournées dans un laboratoire de l’Université de Californie. Elles n’étaient pas datées mais semblaient avoir au moins vingt ans, d’après le style général et certaines technologies obsolètes. Ce qui était peut-être à la pointe du progrès au moment du tournage n’était plus du tout impressionnant avec le temps, l’effet étant même l’inverse de celui recherché.

Il se demandait pourquoi le Club faisait sa communication avec une vidéo si vieille lorsqu’il commença à remarquer un détail troublant qui était peut-être un élément de réponse. Chaque séquence où le chercheur s’entretenait avec un cadre de l’agence était systématiquement tournée en champ-contrechamp, les interlocuteurs n’apparaissant jamais ensemble à l’image. Plus il s’attardait sur ce détail, plus il avait l’impression que certaines d’entre elles étaient en réalité un montage de deux scènes différentes. Il en venait à douter que le chercheur n’ait jamais travaillé pour le Club, et soupçonnait maintenant ce dernier de chercher à mettre en avant une collaboration fictive. Il regarda la fin de la présentation sans exprimer ses doutes mais il était désormais sur ses gardes.

« Alors qu’en pensez-vous ? lui demanda Maxime quand il eut fini.
— Je ne sais pas quoi en penser… Je ne vois pas du tout le rapport avec une agence matrimoniale !
— Je vous l’ai dit, nous ne sommes pas une agence comme les autres.
— Pourquoi faites-vous ces recherches ?
— Nous les utilisons pour créer en chaque personne les conditions de la rencontre. Les partenaires que nous accompagnons ont suivi le même parcours et nous ont permis de perfectionner nos méthodes. Celle que nous vous proposons aujourd’hui est en quelque sorte un ajustement qui doit vous permettre de rencontrer plus facilement des personnes qui vous correspondent.
— Vous allez me changer et après je vais rencontrer la personne idéale ?
— C’est un peu ça.
— Et comment comptez-vous me la faire rencontrer, avec un fichier de contacts ?
— Nous ne vous ferons rencontrer personne, cela se passera naturellement si vous vous mettez dans les bonnes dispositions.
— Donc tout ce que vous faites c’est "ajuster" vos clients ?
— Nos partenaires…
— D’accord, vous leur faites quoi à vos partenaires, vous les envoyez dans un laboratoire ? dit-il désignant d’un mouvement de tête la pièce cachée derrière les stores.
— Vous n’aurez pas besoin de vous déplacer, nous allons vous donner les moyens de vous transformer chez vous.
— De me transformer ? J’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’un lavage de cerveau !
— Je comprends votre réaction mais voyez ça plutôt comme une méthode d’amélioration personnelle. Pendant que nous parlons notre système est en train d’analyser toutes vos réponses pour vous proposer une méthode parfaitement adaptée à votre situation.
— Une méthode ? Sous quelle forme ? »

Maxime ne répondit pas tout de suite mais se leva pour aller interpeller son assistante dans la pièce voisine. « Hélène, le kit de Pierre est-il prêt ? … Très bien, apportez-le-nous s’il vous plait. » S’étant rassis, il fixa Pierre droit dans les yeux avec une expression censée lui inspirer la confiance. Son assistante entra dans la pièce et lui tendit une boîte, qu’il posa devant lui dans un geste théâtral en ajoutant :

« Sous cette forme-là ! »

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