Chapitre 18 : La promenade dans les jardins

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Je fus étonnée de voir à quel point Misrord avait travaillé dure pour connaître tous les habitants de la forteresse. Il sut exactement quelle quantité distribuer pour que ce soit équitable dans chaque foyer. Cela me rappelait qu’à cette période Bruder préférait me laisser investir son bureau pendant qu’il partait à la chasse indifférent à la pauvreté de certaines familles. Je faisais alors le maximum pour remettre de l’orde dans les affaires d’état, modifiant des lois et des décisions absurdes dont lui seul était maitre. J’en héritais toujours de sa violence quand il le découvrait mais je n’hésitais jamais à recommencer pour mon peuple. Cependant, je savais que cette année était différente, nous avions déjà fait le tri des traités dans un commun accord avec Misrord et certains représentants d’agriculteur. Je ne le faisais plus dans le secret. Le soulagement que j’y ressentais fit échos avec l’allègement que celui-ci représentait. Aucune peur, c’était le sentiment qui naissait en moi.

Misrord avait par ailleurs des gestes de rapprochements qui laissaient transparaitre une certaine timidité. Il semblait fasciné par mes mouvements, mes paroles et tout ce qui se dégageait de moi. Je n’étais pas vraiment gênée par ses attentions plutôt troublée car cela faisait naitre un capharnaüm en moi. Il semblait cependant heureux, quand je me tournais vers lui sans réel intention et cela semblait lui suffire. Il souriait et comme le dernier mois qui était passé, je voyais une image de lui totalement différente de celle qui avait ouvert la porte de la chambre en avril.

Pour ma part, je ne savais plus bien quoi ressentir. Quand il m’avait demandé d’apporter la lettre à Atala en prenant du temps pour nous, je ne m’y attendais pas. J’en avais qu’une simple attente. Lillemord nous avait laissées et j’ai pu, seule, la conduire au écurie. Ce temps nous a permis de soigner nos différents et Atala a pu comprendre la situation. Je me doutais juste que Lillemord lui avait parler de chose à taire car à de nombreux instants avant nos adieux, elle se retenait d’ouvrir la bouche. Pourtant, elle a su ne rien me dévoiler et je l’ai regardé partir sur le dos de mon étalon. En retournant auprès de Misrord, je sentais une nouvelle excitation monter en moi. L’homme m’avait clairement exprimé l’idée de reformer le conseil pour le jugement de Wighlem et cela supposait le retour de mon frère.

« Nous avons enfin réussi à récolter tout ce dont nous avons besoin. Je suis content que la guerre n’ai pas trop endommager les récoltes et que nous puissions en vendre aux clans alentours.

— Ce qui m’importe le plus c’est de savoir mon peuple enfin en sécurité et entre de bonnes mains.

— Je saluerai toujours ta loyauté envers lui mais je commence à vouloir que tu t’investisse dans ta propre vie. Je veux que tu sois heureuse.

— Mon peuple est ma vie désormais. »

Il fit une grimace à cette remarque puis contournant le bureau. Il me reprit la main. Sans que je puisse vraiment en décider autrement, je me mis à serrer un peu plus fort la sienne quand elle se mit parfaitement dans le creux de la mienne. Je dus enfin admettre qu’elle m’avait manquée, me faisant par ailleurs violence pour ne pas exprimer mes pensées. Je devais garder un visage neutre.

« Je parlais de prendre du temps pour toi et pour te recentrer sur toi-même. Je m’en veux de ne pas t’avoir laisser ce temps. J’étais perdu dans ma rage envers votre espèce et je n’acceptais pas nos différences. Là où nous nous soignons dans la communauté, vous êtes plutôt à réclamer un petit comité. Madaigh m’en a informé après votre crise hier et puisque l’apparition de votre soeur ne nous à pas retarder dans notre journée. Il est encore tôt pour que je vous propose une promenade dans vos jardins. »

Il me regardais dans les yeux avec une véritable supplication. Depuis quand avait-il autant baissé ses barrières avec moi ? Je lui souris attendrie et me retient de rire, à cette instant il ressemblait vraiment à un chiot demandant une promenade. Je me mis sur la pointe des pieds pour passer dans ses cheveux noirs une main maternelle. Cela faisait depuis notre union que je voulais connaitre la texture de sa chevelure qui semblait absorber toute lumière. Je ne fus pas surprise qu’elle soit douce entre mes doigts comme l’était son pelage de loup.

« Pourquoi pas. Cela me sortira pour une fois. Le soleil ne se couchera pas tout de suite ça nous laisse du temps. » Ma voix était toute douce, elle se perdait dans mon souffle qui m’abandonnait happés par la présence massive de mon mari. Comme ces sensations étaient-elles restées tues ?

Pour m’éloigner de tout cela je reculais, me défis de son regard de glace et me retournais pour engager la marche vers la sortit de la pièce. Mais il m’en empêcha, ses deux bras gigantesques vinrent s’enrouler autour de mes épaules pour serrer mon corps contre le sien. Nos formes se retrouvèrent pressées l’une contre l’autre, parfaitement symétriques et emboitables. Cette réalité me terrorisa soudain, la proximité de nos corps ne m’était plus tendre mais simplement dangereuse, je n’avais pas décidé de me retrouver là et la peur d’être de nouveau utilisée monta en moi. Je retrouvais mes vieux démon, les ombres qui se dessinaient sur mon corps. En fermant violemment mes yeux je ne pu que me concentrer sur elles et puis sur cette voix qui se fraya un chemin dans mes tourmentes.

« Je ne ferais rien, je voulais juste te sentir près de moi. Me rappeler ce que cela faisait. Avoir ton odeur près de moi. »

Il me lâcha en gardant néanmoins ma mains dans la sienne. Il attendit que ma respiration se calme puis doucement comme avec une jument blessée, il me guida dans les couloirs de ce châteaux que je devais connaitre par-coeur.

Sur le chemin, en me rappelant la voix suave de l’homme à mes côtés, je ressentis un profond trouble. Mon coeur battait fort rendant ma respiration plus rapide. Si Misrord l’avait sentis il ne laissa rien transparaître et continuait à marcher vers la sortie du château. Il souriait simplement me serrant un peu plus la main quand je ralentissait. Tout cela me donnait l’impression d’avoir couru sur une longue distance.

Quand l’on sortit enfin, l’air frais de fin de journée me fis le plus grand bien. Je pris le temps de m’habituer à la lumière, regardant l’herbe verte et grasse avant de lever les yeux vers Misrord qui s’était arrêté.

« Tu es essoufflée, je n’avais pas pris conscience que j’allais trop vite pour que tu me suives désolé.

— Ce n’est rien. » Lui dis-je avec le sourire. « J’étais impatiente de sortir aussi. »

Je n’était pas la seule à exprimer cette idée, il ne l’avait pas dit à voix haute mais j’avais la sensation qu’il avait le même avis. On se regarda tous les deux semblant comprendre puis d’un coup le sourire du loup se fit éclatant.

Je vis alors une facette de lui proche de celui de mon rêve. Souriant, joueur, espiègle, il s’avança dans l’herbe et je le suivis fascinée. Ses pas étaient allongés mais je parvenait à le suivre trottinant malgré moi comme une enfant entrainée dans un jeu.

Cela me fit du bien, de me sentir jeune de nouveau. Je revoyais la vie d’une tout autre façon et je me demandais si la joie de Misrord n’était pas contagieuse. Il m’allégeait le coeur et je compris qu’il avait raison. J’avais besoin de prendre du temps, Misrord contrôlait ma vie de façon à réduire les charges qui me pesaient. Cela ne me plut pas spécialement mais ça me permettait de vivre un peu. Seule, je ne faisait que vivre sans fin avec mes démons, sa présence m’en détournait sans que ne les oublie, ce dont j’étais incapable.

On s’arrêta de courir en arrivant au petit jardin du château. Il me prit alors la main en la plaçant dans le creux de son bras. Le soleil était haut dans le ciel mais amorçait déjà sa descente. Une légère brise secouait les tiges des fleurs médicinales. Leurs multiples couleurs créaient une ambiance merveilleuse.

Misrord marchait à mon rythme, réduisant la cadence de ses pas. Cette attention qui lui donnait une démarche maladroite me fit rire mais je me retenais de le montrer, pouffant de temps en temps quand il trébuchait.

« Tu t’occupez de ce jardin ? » Sa question sortait un peu de nul part mais je comprenais qu’elle était là pour briser le silence, bien qu’il faisait preuve d’une réelle curiosité.

Je regardais un instant l’homme avant de secouer la tête. « Non, c’était plutôt une création de ma mère et de mes ancêtres. Elle a pourtant essayé de me passer son savoir mais je n’étais bonne qu’à tuer les plantes. Comme mon père, j’étais douée avec les questions stratégiques et sociales, je suis une fille de l’intérieur. »

Les souvenirs des heures passées avec ma mère qui râlait sur le fait que que je ne connaissais rien à la délicatesse des fleures, me firent sourire. Misrord me regarda une lueur étrange dans les yeux, sa main gauche se reposa sur la mienne. Il la caressait doucement en souriant avec moi.

« Et ta soeur ?

— Ma soeur ? C’est une touche à tout, douée dans tout ce qu’elle entreprend. Dans la même trempe que ma mère, elle est aussi douce avec des plantes qu’avec ses lames et ne se gêne pas de se confronter à un homme avec une trop forte virilité. Elle s’est calmée avec le temps surement grâce à la présence constante de notre frère ainé. »

Mes paroles se font plus maternelles, j’aime ma famille plus que tout. On partageait beaucoup avant mon mariage, passant nos journées ensemble à se chamailler ou à se disputer.

« Et pour le tien de frère ? » Lui demandai-je cherchant à en savoir plus sur lui après le rêve que j’ai fait cette nuit.

« Mon frère est un être gentil et dévoué. Il a toujours été le plus fragile entre lui et moi. Ma mère ne lui en voulait pas et elle n’en faisait que le chérir encore plus. Je le protégeais et le protègeraient également jusqu’à la fin car il est tout ce qui me reste d’elle.

— Tu parles de ta mère ? » Misrord ne me répondit pas mais je voyais à sa tête qu’en parler le touchai, il ne voulait pas m’en dire plus. Je n’osai pas lui en demander plus, comprenant ses sentiments à cet égard. J’avais moi aussi perdue tant de monde que je me recueillis avec lui dans un silence qui ne dura pas longtemps : « En tout cas, Lillemord est quelqu’un de nature joueur et protecteur. Il n’est pas destiné à être chef mais il est un bon second, j’espère que tu t’en rend compte ? » Le doute plana un instant avant de répondre par l’affirmative. Je devais reconnaitre que Misrord était doué pour placer les personnes au bon endroit.

« Dit m’en plus sur toi. » Misrord s’était arrêté, il me regardait en face, ma main avait glissée dans la sienne. Son regard perçant, se plongea dans les miens à la recherche de réponse. Je retrouvais le plaisir que je ressentis ce matin quand nos âme se parlaient à travers se contacte. Je comprenais maintenant pourquoi ceux-ci me faisait penser à des yeux de loups. Il se superposaient à ceux de mon rêves, surement différent mais ma conscience me trompait, j’en avais que faire, ce souvenir était magnifique.

« Que veux-tu que je te dise sur moi ? » M’autorisais-je à lui demander, accédant à sa requête. Il fit une moue pour réfléchir à sa réponse. Je devais avancer pas à pas pour ne pas être submerger.

« Tout mais j’ai conscience que cela fait beaucoup. Depuis ce matin, j’ai une envie puissante d’en savoir plus sur toi, ce qui te fait et te construit. Je ne comprend pas comme ce changement s’est opéré si vite. Quand j’y pense encore, hier tu gémissais de peur à mon oreille. Mais il est indéniable que quelque chose à changer. La découverte de ma forme loups peut-être, ou bien ce rêve qui me rappel de bon souvenir. Tout étant que quand tu m’as défendu face à ta soeur, j’étais fière et heureux, tu me montrais enfin que tu voulais avancer et cela me fait extrêmement plaisir. Alors, si il me faut te poser une question, je ne sais pas bien laquelle. »

Il avait cet aire innocent qu’il prenait quand il partait dans de longues explications. Je retiens mon rire et me contentais de sourire, acceptant ses paroles telles qu’il me les donnais, sans arrière pensés et craintes de représailles. Je les savais juste et venant de son coeur. Mes doigts se serrèrent un peu plus autour des siens et je lui répondis franchement, ouvrant à mon tour mon coeur.

« Tu sais, à mon réveil, je me suis sentis enfin calme et reposée. J’ai passé quatre jours ou peut-être plus à revivre en boucle ce moment douloureux de ma vie. Entendre ta voix m’a permis de ressortir la tête hors de l’eau. Je n’ai jamais ri ou espéré quoi que ce soit à cette époque de l’année. Souvent, les orages accompagnent mon chagrins et c’est seulement quand ils cessent que je remarque avoir passé plusieurs semaines sans vraiment manger, dans une inconscience continuelle. Parfois Bruder… » Ma voix se brisa lorsque j’essayais de lui raconter ce qu’il me faisait.

Impossible de lui dire à voix haute sans en souffrir intérieurement, il y mettait tellement de coeur à me rappeler ce jour. L’image d’une journée en particulier me revient, vite remplacée par une autre et encore une autre. Je savais que certaines échappaient à mon esprit, que ce n’était pas tout, loin de là. Mon état était souvent tellement lamentable que je me réveillais après qu’il soit parti de la chambre sans aucun souvenir de ce qu’il s’était passé, juste des impression qui me suivait plusieurs jours. Mon corps gardait la trace de ce qu’il s’était passé mais pas mon esprit.

Misrord me sortit de mes idées noirs, me ramenant doucement à la réalité, sa main caressait toujours la mienne. L’autre s’était posé sur ma joue et sans mouvement brusque, il l’a caressait pour en faire partir les larmes. Quand il vit que je revenais petit à petit à moi, la main sur mon visage glissa dans mon cou et d’une légère pression sur ma nuque, il me blotti contre lui.

« Lana, je suis heureux que tu t’ouvre à moi mais ne sombre pas. Ce que je ressens maintenant est horrible. J’ai l’impression de me déchirer en sentant ta peur. La force avec lequel ce sentiment s’impose à moi car il n’a jamais été aussi fort, m’inquiète. »

Je réfléchis à sa remarque, qu’entendait-il par avant ? Ressentait-il les mêmes changements que moi ? J’avais l’impression cependant que ce n’était pas encore réciproque, je voulais me rapprocher de lui mais j’avais encore en travers de la gorge ce qu’il me faisait. La distance qu’il m’obligeait de prendre avec mes enfants.

Repensant à cela, je m’écarta de lui, en gardant mon regard dans le sien. Notre contacte m’avait fait du bien, il avait calmé ma crise d’angoisse. Etait-ce la première fois ? Je ne serai plus le dire. Trop de questions sur nous m’occupaient l’esprit malgré que je ne sois pas encore prête à en chercher les réponses. Je me répétais que je devais faire un pas après l’autre vers lui mais l’idée de sombrer à pied joins était tellement tentante.

L’homme me sortit de mes pensé, sa voix avait toujours ce même timbre rude et profond : « Continuons notre promenade et raconte moi ton enfance, ce sera un sujet plus précis sur toi. » Je ne me posais pas de question préférant taire mes craintes pour continuer la soirée avec cet homme dont l’attention qu’il me portait ravivait le feu de mon âme.

Ma main se replaça dans le creux de son bras et nous nous remirent à marcher. La discussion était plus légère, on taisait la souffrance, le passé douloureux, les sentiments inconnues ou trop connus. On essayait simplement de se comprendre plus que part un simple regard.

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