Misrord prit une voix profonde pour commencer son récit, en un souffle qui m’hypnotisa. Je l’écoutais attentivement commencer à fredonner des paroles : 

« Aux confins des temps d’argent,

Quand Ciel et Terre, amant encore

Tenaient serment, les Géants des mondes

Repoussaient l’immonde déraison

Et puisaient force

Et puissance du juste Wulfgard.

C’est l’enfant des fées et des dragons,

Mort en combattant les infamants dieux

Emplis d’orgueil.

Rayonnant de sa noble cause, en

Un dernier tourment, Wulfgard

Offrit de son sang des lieux chatoyant

Dignes des grands Géants pour y vivre

Paisiblement en clan.

Protège de la providence de leur père,

Les géants prirent le nom de Guardian

Et guidèrent les âmes errantes vers

Le monde blanc. »

Sa voix chantait ces vers dans un rythme étrange mais envoûtant. Puis sans me laisser interrompre sa longue litanie, il m’expliqua ce qu’il venait de faire : « Ceci est le chant des anciens, la première chanson qui nous fut transmise. Les autres légendes sont plus difficiles à transmettre sous cette forme car nous les apprenons sous le chant du loup. Je vais donc simplement te la raconter normalement. » Il fit une pause puis reprit de nouveau de cette voix profonde.

Par une force que je ne sus expliquer, je fus poussée à m’assoir à ses pieds comme je le faisais pour écouter ma mère et mon père les soirs où comme ici, ils me contaient nos légendes.

Étonné de mon brusque excès de confiance, il ne se découragea pas et commença son récit : « Le peuple Loup n’était pas le plus vieux des peuples Guardians ni le plus puissant mais il avait fini par s’imposer dans son territoire par la force de ma mère, notre chef. Cette terre qui jamais ne pouvait être foulée par les êtres immondes se trouvaient entre les Mille Montagnes du Grand Nord. Nous vivons en paix depuis de nombreuses années. Je naquis et vécus mes premières vies pendant cette période. Mais c’est à l’arrivée de la Comète que tout changea. » Il fit de nouveau une pause et ferma les yeux pour prendre une grande inspiration. Contrairement à ce qu’il venait de me dire, il reprit en chantant de ces notes étranges :

« Sous le firmament, Elathée, l’élégante

Reçut son jugement, elle serait abandonnée

A une vie d’errance sur la terre des vivants

Ainsi commence le récit de sa légende.

Vint le chef Serpent

Qui l’accueillit de nombreuses cérémonies.

Enchantée de sa beauté de diamant,

Les géants prirent son apparence fine

Et nue pour la séduire.

Transi d’amour à sa vue, Serpent écrivit

Des chants qui par leur éloquence

Atterrirent dans l’oreille du chef Panthère

Aux cinq lies.

Il voulut voir la belle et la garder

Enfermée dans son antre pour lui,

Offrir la gloire d’une descendance.

Naissance survient plusieurs mois

Après le chagrin.

Ses enfants gardèrent de leurs parents

La grandeur des Guardians et le physique

Humain dont ils prirent l’habitude

De porter pour

Plaire à leur mère mais celle-ci

Enchaînée à son passée de douleurs

Rêvait d’une revanche à ses tourments.

En l’absence de Panthère, l’élégante Elathée

Partie au vent.

Revenant de la chasse, Panthère s’effondra

Sous ses yeux de pierre, le corps tant aimé

Était sans vie du tranchant de la lame de fer

Pleurant son cœur brisé,

Panthère et les amants portèrent la dernière

Cérémonie, enterrant dans la tradition sacrée

Des anciens, les cendres blanches de la belle.

Voilà comment cet instrument de malheur

Surgit pour annihiler notre espèce. »

J’avais le souffle coupé par la puissance des mots qu’il prononçait. Sûrement sans m’en rendre compte certains étaient prononcés dans la même langue que son nom. Leur compréhension était impossible pour l’humain mais j’y parvenais par un bien étrange effet. Il souffla et termina son récit : « C’est ainsi que les hommes commencèrent à arriver, nées du tempérament d’Elathée. J’ai pu la rencontrer, cette pécheresse, quand j’étais enfant. Elle semblait te ressembler, en tout cas dans mes souvenirs et elle envoûtait tout ce qui l’entourait. Mon père s’est battu pour elle comme chaque chef des clans avant lui. Il a perdu évidemment. Les cinq lies, ornent le corps du guerrier le plus puissant du clan, elles ne sont données qu’à un seul membre pendant toute l’existence de son peuple. Il ne l’était pas, alors il refoula sa colère sur ma mère et je le punis car il en fut de mon devoir. Élathée a jeté le malheur sur le monde en appelant la vermine que vous êtes à fouler notre sol mais elle a aussi brisé mon clan et j’ai dû affronter ma chair pour survivre. Les troubles causés par la destruction de notre monde sain et la haine de mon père m’ont poussé à prendre les derniers compagnons qui me restaient et à partir chercher de nouvelle terre. Quitte à tuer pour cela. Je vois ma quête comme juste mais de votre point de vue elle doit être infecte. »

Je le vis serrer les poings de rage et de là où j’étais, j’observais son regard assombri par la haine. Alors comprenant mieux ce qu’il voulait dire, je posais ma main tremblante sur la sienne et le rassurai d’une voix douce :

« Tu as tord, je ne sais ce que ressent une âme qui a perdue son foyer mais saches que maintenant je le vois. Mes souffrances ont été les tiennent et celles de tes ancêtres. Pardonne moi…

— Non c’est à moi de te pardonner alors que je sais ce que perdre un être chers signifie, mon âme vengeresse n’a su secourir les tiens. Vous êtes maintenant ma dame et vous m’avez juré fidélité. Votre sang suivra-t-elle vos paroles ? Qu’importe… »

Je ne sus ce que ces mots signifièrent mais mon cœur me poussa à répondre par l’affirmative. Mes yeux plongés dans les siens pouvaient discerner les tempêtes que son passé avait fait surgir. Ses iris de glaces s’étaient assombries de nuages noirs qui ne partiront sûrement jamais, les miens aussi ne laisseront jamais la pluie apaiser mes blessures.