Chapitre 11 : L’hurlement du loup

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Je me réveillai après une longue sieste. En ouvrant mes yeux irrités par mes larmes, je remarquai que je n’étais pas dans la chambre de Bruder comme je l’avait craint. La fenêtre était légèrement ouverte pour laisser la brise printanière pénétrer dans ma chambre. Les voiles de tentures blanches qui encadraient ce petit espace de lumière volaient dans une danse lascive.

Faisant le tour de la pièce du regard, je ne vis personne mais je sentais une forte odeur de fleurs et de plantes. Quelqu’un avait dû bruler des encens pour calmer mes crises de panique. Immédiatement, l’image de la souriante Ninah me vint à l’esprit. Il m’avait semblé la veille entendre Misrord lui demander de l’aide pour me soigner bien que ce soit inutile tellement cet état était ancré en moi. Doucement, je m’assis sur les édredons, ma couverture d’enfant glissant sur ma poitrine nue. Je me levais pour de bon, après un temps pour calmer les taches noires qui se formaient devant mes yeux. J’eu l’impression d’être passé sous plusieurs tonnes de poids lourds. Mon corps était endolori victime des émotions fortes qui me plombaient encore l’esprit. Je mis plusieurs minutes pour m’habiller et sortir de la chambre.

Mue par un instinct, je me mis à la recherche de l’homme qui m’avait ramenée dans cette pièce. Dans le couloir, le froid mordit mes pieds nus. Ce n’était ni douloureux, ni insupportable. Au contraire, il me rattachait à une sensation réelle et normale. Mes pieds glissaient comme guidés par un instinct mystique, sur ce sol inégal et rugueux. Je marchais jusqu’à me retrouver face à une porte entrouverte qui donnait sur une autre chambre dont le lit avait disparu.

« Beaucoup d’humains sont déjà au courant de nos véritables apparences car nous faisons confiance à leur silence mais cela n’empêche pas les rumeurs de circuler déjà entre ces murs de pierres. Tu sais que c’est le genre d’endroit où les oreilles sont partout. Si ça dépasse les frontière cela deviendra dangereux pour nous. » J’entendais Phira, essayant de parler à voix basse et je devinais que son interlocuteur devait être son chef, Misrord.

Je me mis sur mes gardes : eux deux étaient peut-être en pleine conversation mais Lillemord ne devait pas être bien loin. Il se passa peu d’instant avant que Phira ne reprenne : « Elle doit savoir. Ne te rends-tu pas compte que vous avez un lien ? »

Pour toute réponse Misrord grogna et ne répondit rien. Un bruit de fauteuil résonna dans la pièce et je compris que l’homme s’était affaissé lourdement, dépité par les remontrances de Phira.

« Je sais tout ça, elle m’a entendu cette nuit et je la soupçonne d’avoir participé à un rêve commun la nuit passée. 

— C’est rassurant. » Phira semblait enthousiaste à cette idée, quant à moi, j’étais intriguée par la conversation. Je me rapprochai doucement pour mieux écouter.

La guerrière reprit la conversation, sur un ton maternel : « Tu sais que c’est un bon signe si tu arrives à t’unir mentalement avec un humain. Tu as besoin de ce lien pour te remettre de ton passé, je te l’ai déjà dit. Montre ta vraie forme, je ne pense pas que tu l’effraieras….

— Tu penses écouter encore longtemps aux portes ? » La voix cassée du frère de Misrord surgit dans la conversation que je suivais avec attention. Lillemord était derrière moi me surplombant de toute sa hauteur et m’obligeant à me montrer dans la pièce.

Dans un geste inquiet, Misrord s’était levé attentif à comment je me portais. Phira souriait, restée confortablement installée dans un large fauteuil.

A l’instant même où je passais le pas de la porte, un hurlement de loup se fit entendre dans tout le château, le sort du destin sembla se jouer de la situation. Misrord serra les poings grommelant un « Ninah » très sonore. Lillemord retient un rire derrière moi et Phira me jeta un regard désolé. Je connaissais ce genre de bruit, habituée aux nuits de chasse dans la forêt depuis ma plus tendre enfance. Mais il était évident que celui-ci provenait des couloirs du château et n’appartenait pas à la horde de chiens de Bruder sûrement morts eux aussi, ni aux grognements de gorges des barbares. Celui-ci était bel et bien de provenance animale et ne me laissa pas indifférente créant en moi une peur naturelle qui augmenta mon rythme cardiaque.

Le silence retomba. Il fut coupé par le souffle de Misrord qui s’approcha de moi : « Tu vas bien ? » Sa question me surprit autant que son comportement. Croisant ses yeux je compris qu’il était déterminé à m’avouer des choses et à clamer mes peurs. Il me fit prendre conscience que personne ne semblait inquiet quant au bruit qui résonnait encore contre les pierres de la forteresse. Contrairement à moi pour qui ce hurlement accaparait tout mon esprit.

Répondant succinctement d’un hochement de tête à la question de mon mari, je détournais le sujet sur cet élément perturbateur : « Est-ce un hurlement de loup que je viens d’entendre ? » Ma voix tremblait légèrement. Les trois envahisseurs se tendirent en me fixant, ne sachant quoi dire. Je sentis Lillemord derrière moi faire un geste d’épaule signifiant qu’il ne devait pas gérer cette situation et il partit. Phira plongea son nez dans une tasse de boisson chaude, un geste destiné à dissimuler un sourir plus que de signifier qu’elle ne pouvait pas répondre. Misrord quant à lui, s’était éloigné de moi en faisant les cent pas. Il marmonnait dans sa barbe ne semblant pas paniqué de la situation. Leur comportement eu pour effet de calmer mes peurs jusqu’à ce qu’une masse gigantesque difficilement retenue par Lillemord s’engouffra dans la pièce.

La chambre était maintenant remplie d’une masse de poils roux qui avait la forme d’un loup aussi grand qu’un cheval. Je me reculais de crainte, jusqu’à m’effondrer dans le fauteuil quand mes genoux le heurtèrent. Ma voix était bloquée dans ma gorge, mes yeux écarquillés, mes lèvres tremblantes d’hébétude. L’animal me regarda avec interrogation, la tête penchée sur le côté ses yeux plantés dans les miens. Cet échange fit remonter dans mon dos un frisson froid qui me secoua. Pourtant les grands yeux de l’animal ne m’étaient pas inconnus, il me fallut remettre les pièces dans le bon ordre pour que tout s’éclaire. Je les reconnus immédiatement, comme étant les deux prunelles brunes de Ninah.

Ma contemplation fut interrompue par le grognement bestial de Misrord qui ordonna à tout le monde de sortir sur le champ. Ninah gémit et obéit la queue entre les jambes rendant toutes mes interrogations définitivement plus claires.

Quand la pièce fut enfin vide, Misrord fit trois fois le tour de la pièce avant de s’affaler sur le siège en face de moi et de me sortir avec un calme impressionnant : « Nous ne sommes pas humain. » Je faillis m’étrangler retenant l’éclat de rire devant cette évidence qui malgré tout me rassurait. Je repris mon calme et me remis droite pour le regarder. « Vous aussi ? Dois-je vous craindre ?

— Non. » S'empressa-t-il de répondre, il me regarda et se recula. « Vous ne devez craindre personne nous ne sommes pas… Bref vous devez comprendre. Enfin non, j’aimerai que vous compreniez que jamais je ne vous ferai de mal, ce n’est pas dans mon intérêt.

— Dois-je vous rappeler…

— Cessez avec cela, ce renard avait juste écouté aux portes. Ce qu’il a dit ce matin n’est basé sur aucune information. Je… » Il s’apprêta à dire quelque chose avant de brusquement s’interrompre en s’énervant. « Putain ! » Grogna-t-il de frustration.

Je fus étonnée de ce brusque excès. Je soufflai un bon coup me rappelant les paroles de la veille avant que je sombre. Il avait dit que je devais avoir confiance, l’idée était pour moi absurde mais je n’avais plus rien à perdre.

Entre temps, mon mari me regarda avant de continuer brusquement : « Il ne leur sera fait aucun mal. » Cette nouvelle eu un effet étrange sur moi. Sa phrase avait un double sens et cachait des réalité qui me donnèrent espoir. Des larmes de soulagement m’échappèrent mais devant le regard accusateur de Misrord, je me pressai d’essuyer.

« Merci. » Soufflai-je dans un murmure, il dut ressentir ma sincérité et se détendit immédiatement. Un silence s’étendît dans la pièce, seulement perturbé par le chant des oiseaux qui semblait fasciner Misrord. J’avais plein de questions à lui poser sur ce qu’il voulait faire de mes enfants, sur ce qu’il était, sur ce rêve. Mais une idée ressurgit sur les autres, je voulais savoir qu’elle était sa forme. Ninah avait une apparence de louve, dont le pelage roux avait des nuances plus sombres sur sa tête et son dos.

Par réflexe comme dans toutes les situations qui me procuraient du stress, je me mis à ronger mes ongles en le regardant espérant qu’il brise ce silence qui devenait pesant. Il le fit après avoir reporté son attention une dernière fois sur la faune extérieure : « Tu n’as pas de question ?

— Si. » Répondis-je immédiatement. « Je ne sais juste pas par quoi commencer.

— Je comprends, je vais commencer pour toi alors. » Il fit une pause pour s’installer plus confortablement et commença un long récit qui changerait sûrement ma vision du monde.

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