Chapitre 10 : L'angoisse maternelle

8 minutes de lecture

Je sus dès son entrée que Wighlem avait une idée derrière la tête. Son regard, bien que parfaitement soumis, brillait d’une lueur malfaisant en me regardant. Il s’approcha de moi en silence et commença directement son travail, défaisant mes bandages avec une attitude faussement gentille. Misrord le regardait attentivement, s’attendant comme moi à un geste déplacé de sa part.

Pourtant, les mouvements du serviteur étaient plutôt doux, me surprenant par cette soudaine tendresse. Il finit son travail en appliquant de la crème sur mon flanc et je soufflais presque de soulagement en le voyant rangé ses affaires dans sa sacoche.

Wighlem se leva en me regardant droit dans les yeux, puis se tournant légèrement vers Misrord à qui il dit fièrement : « Mon Seigneur, ma dame devrait ne plus avoir de séquelle d’ici la fin du mois. » Misrord ne réagit que par un bruit de gorge indifférent, Wighlem prit cela comme une invitation à poursuivre : « Je devais vous féliciter. » A ses mots, mon mari et moi nous tendions, à l’écoute.

J’appréhendais ce que Wighlem allait dire anticipant que cela ferai ressurgir des souvenirs douloureux. L’homme vil me regarda et avec une lenteur calculée et mesquine, il s’exprima avec un ton flatteur : « Mon seigneur, je vous remercie d’avoir éradiqué ses enfants bâtards. Bruder a toujours su qu’ils n’étaient pas de lui. Cette putain avait déjà trompé notre maitre avant même leur mariage. Vous devriez vous méfier. »

Misrord grogna et me regarda intensément. Je restai interdite pendant quelques instants avant de me lever brusquement en proie à une nouvelle crise de panique. Ma poitrine se comprimait violemment, et ma gorge se serait. Pas un filet d’air ne semblait parvenir à mes poumons.

Ce n’était pas l’accusation honteuse de Wighlem qui m’écrasait les tripes ni le regard insondable de Misrord mais bien le sort de mes enfants qui faucha mon bon sens. Il avait donc été scellé pendant cette fête remplie de bonne humeur. Il avait dû profiter de ma déconcentration pour orchestrer leur meurtre.

Je me mis à trembler en imaginant le corps de mes quatre enfants transpercés par l’épée de Misrord. Cette épée que j’avais refusé de porter par honneur. Ils étaient encore jeunes, ils auraient dû vivre protégés par Aonghus sur les terres sacrées perdues dans la forêt de mon enfance. Misrord avait dit la veille qu’il fallait qu’il les tue. Pourquoi ?

Je me tordis les mains dans un moment de stress et murmura, les yeux perdus dans le vide : « Je dois prendre l’air. »

Je me dirigeais mécaniquement vers la porte entrouverte, la main en poing contre ma bouche pour contenir mes larmes.

Misrord ne réagit pas tout de suite ne pouvant contredire la vérité. La respiration du géant était profonde et lente. Son poing se crispa quand il regarda le serviteur qui avait un regard fier et faussement inquiet de mon état. La colère assombrissait les yeux de mon mari et la peur enfla dans mon esprit. Il avait la même réaction que Bruder quand il doutait de ma fidélité après cet événement qui marquait encore ma peau et mon esprit.

Ma respiration se bloqua de nouveau, je reculai d’un pas, hésitante encore à partir et laisser gagner Wighlem. J’avais encore perdu contre mes craintes, mes souvenirs prenaient toujours le dessus sur mon calme, et je n’espérais plus un jour être soignée de mes cauchemars. Un gémissement se bloqua dans ma gorge, je me retournai avant d’avoir regardé une dernière fois Wighlem. Son regard victorieux était imprimé dans mon esprit au côté de celui de Misrord qui se reporta sur moi quand il tenta de me rattraper. Mes pensées s’entrechoquaient dans mon esprit pendant que je courais vers le jardin. Mes côtes, comme emballées dans des chaines, me compressaient quand je respirais fort.

J’arrivais aux écuries, essoufflée avec l’impression de me faire bruler au fer rouge sur tout mon corps. Je sentais mes bandes se défaire et glisser sur mon corps. Je m’étais réfugiée dans le vieux bâtiment sentant le foin et le purin. Je regardai derrière moi avant d’ouvrir la porte. J’étais rassurée de ne pas avoir été interrompue dans ma course par Misrord qui devait n’accordez aucune importance à ma crise.

Loin du château, dans cette dépendance, je savais y trouver mon étalon, Clytesdale qui m’emmènerait loin de ces lieux lugubres. Loin de mes responsabilités qui devenaient vides de sens. Il fallait que je retrouve mes enfants pour m’occuper de leur corps selon nos traditions. Cette pensée macabre me poussait à sortir mon cheval pour partir dans la forêt. Mes mouvements étaient mécaniques, je ne les contrôlais plus, l’instinct maternelle était plus fort.

En me voyant, les larmes aux yeux et totalement ébranlée, Clytesdale hennit en relevant la tête comme pour me soutenir. Je lui passais au cou une lanière pour le sortir et l’emmener dehors. Le ciel s’était couvert de nuages gris qui cachaient les rayons chauds du soleil. Mon compagnon me suivait doucement gardant ses distances pour éviter de me brusquer bien que je sentais son souffle dans mon cou.

Il faisait partie d’une espèce de cheval que l’on élevait depuis longtemps dans la famille Heartmord. Il avait une carrure massive idéale pour les temps froids et pluvieux d’hiver. Je l’aimais particulièrement pour sa robe isabelle aux reflets cuivrés qui changeait de couleur au fil des saisons et selon la lumière, ses crins noirs aux multiples nuances de bruns. Me concentrer sur ces détails me faisait oublier les corps déchiquetés de mes enfants qui s’imposaient à mon esprit.

Je me dirigeai à pas rapide vers l’arrière de la forteresse, là où se trouvait la sortie dérobée que mes enfants avaient empruntée. Je m’apprêtais à la passer quand Clyresdale s’arrêta brusquement refusant de bouger. Ce n’est pas la première fois qu’il traversait ce passage étroit, il semblait avoir peur de dépasser la limite de la forteresse. J’essayai de le forcer à passer le pas de la porte mais sa tonne de muscle rendait l’objectif impossible malgré ma volonté de fer. Il fallait que je les retrouve et cette idée était la seule chose qui m’animait encore.

« Vous n’irez nulle part, surtout pas sur cette chose ! » La voix de Misrord tomba sur moi comme une averse. Je ne l’avais pas vu arriver et je compris l’orgiaque de la peur de mon cheval. Il se rapprocha de moi à grande allure.

J’étais paralysée devant ses yeux qui étaient si semblables à ceux de Bruder et à la fois si différents dans sa façon de me regarder. Son regard plongé dans le mien, il prit la lanière de Clyresdale avant de le lâcher et de lui donner une tape sur sa croupe pour le faire fuir. J’étais désormais seule avec lui.

Il s’approcha soudain de moi et me prit le bras, dans une poigne ferme. Je poussai un cri de surprise et il y répondit en me tirant violemment vers lui.

« Qu’espériez-vous en fuyant ? Cette vermine n’a pas à vous atteindre avec ses calomnies.

— Vous les avez tués ! Vous m’avez dit que vous le feriez… » Je fis une pause essayant de me dégager, son regard figé et froid me poussait à fuir. Pourtant, je ne pouvais plus rien perdre et j’allais jusqu’au bout de ma pensé : « Je pensais que vous auriez au moins pu me laisser leur parler une dernière fois. Où sont-ils ? Je veux les voir, les serrer dans mes bras… »

Je m’effondrai en larme sur l’herbe, mon bras toujours maintenu par la poigne ferme de Misrord. Il était face à moi, ne sachant que faire, il me lâcha. Ma main rejoignit l’autre pour cacher mes larmes et griffer mon avant-bras. Il restait debout interdit.

Après un moment, prenant mon courage, je levais mes yeux remplis de larmes vers lui. Si nos regards se croisaient il me comprendrait, on se comprenait quand l’on se voyait vraiment. Je le suppliais du regard de me dire où ils étaient car je devais le savoir pour ma santé mentale. Il prit un temps en serrant et desserrant les poings puis dans un souffle il murmura : « Nulle part… » Je ne comprenais pas ce qu’il voulait me dire mais je m’imaginais le pire et me mis à hurler toute la douleur de mon cœur. J’avais déjà ressenti ce sentiment mais cette fois, il était plus intense, plus dur, plus terrible.

Je ne perçus qu’avec peine la caresse tendre de Misrord et son accolade consolatrice et maladroite ainsi que ses paroles douces qui se voulaient rassurantes : « Soyez patiente… C’est tout ce que je peux dire. Ayez confiance en moi. »

Je n’arrivais pas à cerné ce qu’il voulait dire mais j’essayais de reprendre contenance et avec une voix brisée par mon hurlement, je dis doucement sans émotion contre son oreille : « Je ne peux avoir confiance en vous…vous m’avez tout pris.

— Je vous ai tout rendu.

— La seule chose que je voulais, égoïstement était mes enfants. Vous avez félicité l’altruisme dont j’ai fait preuve pour mon peuple mais n’importe qui aurait pu le faire, aurait pu les protéger contre vous. Mes enfants étaient seules, je suis seule sans eux. Ils ont été la seule branche qui me maintenait à la vie. Bruder le savait peut-être, il jouait dessus, peut-être n’aurai-je jamais dû continuer sans elle…

— Qui ? »

Il s’écarta de moi, se relevant presque, ce fut son erreur. C’est là que tout s’effondra définitivement, comme quand le monde disparaît après la fin. Comme quand plus rien n’avait de sens après la chute d’un repère ou d’un espoir. Comme quand une branche lâchait alors que désespérément vous essayez de ne pas tomber dans le vide.

J’étais en boule au pied de l’homme qui me reprit dans ses bras doucement. Comme la veille quand je me suis effondrée dans cette chambre, Misrord me soutint et me porta. Il était si gentil quand mon esprit me lâchait, il m’aidait à survivre, non il contribuait à ma perte mais ses bras m’aidaient à garder la tête hors de cette matière noire, visqueuse, dont le niveau ne cessait de monter dans mon esprit.

« Que dois-je faire dans ce genre de moment ? Les liens, qui nous unissent, me rendent votre état insupportable. J’aimerais tout vous dire mais je ne peux pas. » La tristesse dans sa voix se répercuta dans toute mon âme. Il semblait ressentir la même chose que moi, à travers le kaléidoscope de nos expériences.

« Libérez-moi, c’est tout ce que je vous demande. Je veux les rejoindre. 

— Je ne peux pas, il le faut. »

Sa voix se brisa définitivement et il me ramena au château mon visage perdu dans son cou, le nez dans ses cheveux qui sentaient les bois. Je me demandais ce qu’il attendait pour m’enlever ses chaines qui me maintenaient sur cette terre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Falabella ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0