Chapitre 9 : Une voix dans la tête

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J’étais couchée sur le lit de Bruder, comme le voulait la tradition, me remémorant ma vie d’avant qui n’avais pas beaucoup changé. Je l’attendais, je l’entendais, il ne devrait pas tarder. En effet, le lourd battant de la porte s’ouvrit et sa carrure massive apparut dans le trou qui paressait trop petit pour lui. Il jeta un regard à la pièce, je vis dans ses yeux qu’il rayonnait, heureux que la soirée se soit bien passée, heureux de m’avoir tiré des rires en faisant des remarques sur ses hommes, en me faisant danser, heureux d’avoir pu me comprendre pendant un instant.

Il me vit dans ma robe blanche, tendue, droite comme un tronc. Il soupira, un soupir de dépit qui me fendit le cœur. Il comprit qu’il était rendu à la case départ. Comme hier, il n’y avait que la peur qui me paralysait, elle me rappelait la violence mentale que mon corps subissait à cause de Bruder. L’homme souffla de nouveau et sans se débarrasser de ses vêtements s’approcha du lit.

« Je ne ferai rien à quelqu’un qui n’en a point envie.

— Comment savez-vous que je ne le veux pas ? » Il eut un rire bref à ma remarque et sa voix profonde me toucha en plein cœur : « Cela se voit comme le nez au milieu de votre beau visage. Vos ongles enserrent vos paumes, vos épaules sont tendues, et vous sentez la peur. » Il me regardait et à mesure qu’il parlait, il me touchait avec douceur. Je m’attendais à me tendre sous sa caresse mais s’en fut tout autre, elle m’apaisait d’une certaine façon.

Puis voyant ma respiration se calmer, il s’assît à mes côtés et reprit calmement : « Je suis peut-être un barbare mais je sais encore contenir mes pulsions face à une dame qui ne désire rien. »

Je restais sans voix, aucune de mes expériences n’avaient prit en considération mon avis sur l’acte. Ici au contraire, Misrord, assis près de moi, me tendit la main pour m’aider à m’assoir. Il me sourit et me dit sur un ton de la confidence : « Je ne vous comprend pas bien, vous étiez joyeuse pendant le banquet et maintenant il émane de vous une telle peur que ça empeste. » Je n’osais pas commenter ce qu’il venait de faire, ne sachant pas bien comment l’interpréter.

« C’est la même robe qu’hier ? Votre robe de fiançailles ? » Ce revirement de sujet me surprit mais une fois encore par ce regard, je compris qu’il sentait ma gêne sur ses dernières paroles. Le remerciant intérieurement, je pris la perche qu’il me tendait et lui répondis gentiment : « Oui, mais elle a perdu sa symbolique. Les membres de ma famille vivent rarement deux mariages.

— Il en va de même dans notre peuple. Chez nous, le remariage se fait rare également, même si après la mort du compagnon, certain choisissent de s’unir à nouveau. Je vous ai peut-être forcé la main mais je vous serai quand même fidèle. Vous devez être plus intéressante qu’un simple lapin apeuré, seulement qu’importe, je vous prendrai néanmoins en entière. Dans le sens figurer évidemment… » Il allait partir dans une longue divagation qui témoignait d’un manque d’inspiration pour terminer cette conversation. Il avait du mal à parler et à exprimer ses sentiments, surement car notre langue n’était pas la sienne.

Je le coupai d’une voix froide et détachée. Mes sautes d’humeurs reprenaient quand je pensais à la contradiction de ses mots et de ses gestes. Il avait décidé de tuer mes enfants. Je ne pouvais l’oublier.

« Pourtant vous allez tuer mes enfants. »

Avec une tristesse inouïe qui exprimait une excuse sous-entendue, il me répondit : « Il le faut. » Et après un court silence il se leva. « Dormez bien. » J’en étais sans voix ne comprenant pas sa réaction face à cette vérité et le ton triste de ses paroles. Il me donnait l’impression de ne pas vouloir fuir et d’en souffrir autant que moi.

Cependant, il partit, me laissant tremblante, empreinte d’un mélange d’émotions contradictoires entre peine et colère en passant par la tristesse et la sympathie. J’étais perdue de ne pas comprend la situation dans laquelle j’étais.

La solitude m’oppressa soudain, elle fit ressortir les ombres de la pièce. Entre toutes les émotions que je ressentais , l’une surprenait les autres. La peur, ma compagne depuis tant d’année. Elle était encore plus présente dans cette pièce où je revoyais mes souvenirs.

« Je ne pourrais pas dormir dans cette chambre, pas sans lui. » Me surpris-je à penser et je découvris que la gentillesse dont il avait fait preuve, m’avait touchée plus profondément que je ne pouvais l’admettre. Il avait déjà trop investi ma vie et je m’en voulais. Il s’était imposé avec son attention. Il m’avait offert une nuit de calme, et un court bonheur ce qui était impensable pour moi dans la situation dans laquelle je me trouvais.

Je sortis du lit, espérant qu’il ne me haïrait pas comme je devais le haïr quand il ne me verra plus dans la pièce. Je marchais dans les couloirs froids jusqu’à ma chambre. Je collais mon oreille à la porte pour être sûr de ne rien entendre puis ouvris doucement le battant. Retrouver cette pièce, son odeur et sa tranquillité me remplit de soulagement. Je ne perdis pas une minute pour me jeter tel une enfant dans le lit et de m’effondrer de fatigue, mes tissus d’enfant, mon châle et ma couverture, serrée entre les bras. Les cauchemars rendront peut-être ma nuit difficile mais au moins je ne me réveillerais pas en enfer.

J’étais tranquillement en train de me brosser les cheveux quand Bruder rentra avec violence dans ma chambre. Nous faisions rarement chambre à part mais je me retirais dans mes appartements pour me préparer et lui faire plaisir. Nous aimions passer nos nuits à nous raconter des histoires, notre fille entre nos corps. Mais cette fois je voyais dans son regard et dans sa position que quelque chose avait changé. Il s’approcha de moi et me prit violemment mes beaux cheveux que je venais de brosser. Il rapprocha mon visage du sien et il rugit : « Dis-moi la vérité sale pute. »

J’eu le souffle coupé mais réussis quand même à dire dans un murmure intimidé : « De quoi parles-tu ?

— Tu le sais très bien, tu m’as trompée. » Il me jeta à travers la pièce, sa violence me surprit pour la première fois. Je savais comment il était avec ses hommes, jamais je n’aurais imaginé qu’il serai pareil avec moi. On s’était promis l’amour éternel et je vivais heureuse.

« Tu m’as trompé. » Mon mari s’approchait de moi. Je ne savais pas de quoi il parlait mais je me mis à douter. Une certitude tout autre se fraya un chemin dans mon esprit. Alors je me mis à comprendre sa réaction mais j’espérais qu’il serait plus compréhensif.

Soudain alors que Bruder était penché sur moi, il y eut une lumière, la pièce disparut et se reforma. Cette fois j’étais sur le lit, à attendre mon jugement, droit et tendue. En tournant la tête, je vis quelque chose de plus terrifiant que mon mari.

Misrord se tenait dans l’encadrement de la porte, son souffle était rapide et fort à cause de la colère. Une brume d’une couleur violette entourait son corps gigantesque. Je ne savais pas bien les distinguer mais des traits de loup couvraient son visage : des oreilles, son nez, ses yeux. Ils brillaient dans le noir comme deux boules de feu bleu, j’essayais de rentrer en contact avec eux mais c’était comme si un voile nous séparerait.

Il était effrayant.

Il s’apprêtait à se jeter sur moi, pourtant en me voyant trembler de peur, recouvrant mon corps des couvertures, il sourit tristement. Malgré cette apparence, son sourire qui laissait entrevoir des canines, m’aida à voir la vérité et sa carrure me fit tout de suite moins peur. Pendant une fraction de seconde, sa colère laissa entrevoir de la peur. Il était aussi effrayé que moi, me semblait-il lire dans ses yeux.

« Encore ces cauchemars ? Je lui ai promis de la protéger. »

Ses paroles ne m’étaient pas destinées, c’était un simple cafouillis de son esprit dont je traduisis les brides décousues naturellement comme si je l’avais toujours fait. Je compris que j’étais entre conscience et rêve, ne sachant délimiter ma pensée.

« Je t’entends. » Ce fut la seule chose que je réussis à dire au prix d’un grand effort de concentration. Il ne fallait pas que je me réveille, je ne voulais pas me réveiller.

Il fit une tête surprise en m’entendant et toute sa concentration se tourna vers moi. Ses yeux d’un bleu lumineux me regardaient enfin. A ce moment-là, toute la peur que je ressentais à son égard disparut totalement, comme par un enchantement extraordinaire.

Je voyais clairement dans son regard ce qui le tourmentait, le poids des années, celui de son clan, celui des regrets, celui de la mort… Ses épaules soutenaient une masse de sentiments qu’elles n’étaient pas capable de supporter. En comprenant cela, je voulais savoir comme il survivait avec.

J’avais depuis longtemps désiré tout arrêter, sauter d’une hauteur et ne jamais me relever car ma santé mentale flanchait à chaque instant mais lui ne pouvait se le permettre, il se refusait de se le permettre car tout ce pourquoi il se battait était son amour. Et alors qu’il s’approcha de moi, me caressant la main avec douceur comme hypnotisé par le fait que je l’entendais, je me surpris à vouloir faire parti de ses poids, ou plutôt à l’aider à les supporter. Notre union était purement administratives mais je sentais monter en moi l’espoir d’un jour pouvoir l’aimer.

Je ne pus continuer à suivre mes pensées, toutes ses images sombrèrent. J’ouvris les yeux, éblouie pas un soleil éclatant qui réchauffait mon lit. J’étais encore dans ma chambre, mais une forte odeur animale me chatouillait les narines. Je revoyais une image de mon rêve : celle de Misrord avec une apparence de demi-loup. En tournant la tête vers le sol où il devait être, je ne vis rien.

« Tu as bien dormi ? Je pensais t’avoir interdit de sortir de ta chambre quand personne ne t’accompagnait.

— Votre chambre. » repris-je machinalement refoulant ma surprise. « Ce n’est pas la mienne mais celle du chef de la tribu.

— Vous m’étonnerez toujours mais je n’ai pas envie de vous contredire là-dessus pour le moment. Wighlem va vous soigner puis vous m’accompagnerez pour l’organisation de la paperasse. »

J’étais sous le choc en essayant de comprendre ce qui avait bien pu se passer pendant cette nuit. Misrord avait réussi à me retrouver et en me remémorant ses paroles et le tond de sa voix, je compris qu’il avait été inquiet. Peut-être avait-il craint que je me sois enfuie ?

Je me levais lentement, sortant du cocon de chaleur de mes draps pour épouser la pierre froide du sol qui n’était pas recouvert de pailles ou de tapis. Misrord regardait chacun de mes mouvements, examinant mes blessures à travers ma posture. Il est vrai que souvent les bleus me faisaient mal deux ou trois jours après avoir reçu le coup. Mais cette fois les soins minutieux et observés sous le regard attentif de Misrord avaient aidé mes blessures à mieux se cicatriser et j’avais moins mal. Je viens timidement rejoindre le colosse, en m’asseyant avec lui sur le fauteuil.

Depuis sa remarque, un lourd silence s’était installé et j’espérais qu’il le brise pour apaiser les tensions mais Misrord préférait me regarder avec son regard fermé et froid. Je baissais les yeux jouant avec mes doigts dans ma robe. Je me souvenais de mon rêve, de la petite voix soulagée, outrepassant ma peur, qui était apparue dans ma tête en voyant le visage de Bruder changer pour prendre les traits d’un Misrord en colère à cause de la peur que je lui avais fait ressentir. Il fallait que je lui parle à ce propos mais mon honneur et ma peur m’en empêchait.

Alors que j’étais plongée dans mes pensées, j’entendis un grondement provenant de Misrord. Il s’était légèrement relevé en se penchant vers moi, il abordait une allure faussement indifférente alors que je voyais très bien ses yeux chercher les miens. Enfin avec un lointain soupir, il prit la parole : « J’ai été déçu de ne pas te voir porter mon épée pendant la cérémonie. Ninah m’a dit qu’elle t’avait expliqué la tradition. C’était une symbolique importante pour moi. »

En le regardant, il donnait ses airs de chien battu avec qui on refusait jouer. Mon comportement changea immédiatement et je m’apprêtai à faire un geste attendri vers lui mais je me retiens au dernier moment. Il l’avait remarqué ou senti et m’encouragea à poursuive mais je ne pouvais pas.

Je n’avais pas pris son épée pour cette raison, je ne voulais pas lui montrer que je m’attachais à lui. L’épée montrait à tous que j’acceptais sa protection et ses décisions. Pourtant ce n’était pas le cas. Je me rappellerai toujours son visage froid d’hier. Il m’avait dit accepter tout de moi mais il avait lancé des recherches pour retrouver mes enfants et les tuer. Contre ma volonté, je finis par dire faiblement ce que je pensais depuis sa remarque : « Je ne pouvais pas. »

Un lourd silence s’installa de nouveau, seulement coupé de longues minutes après par l’arrivée de Wighlem qui me lançait de nouveau des regards noirs et lourds de sens. Mes soins allaient encore être durs à supporter mais je m’y était faite.

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