Chapitre 8 : L’union d’usage

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Ne sachant que faire, mes gestes étaient mécaniques et suivaient les ordres que l’on me donnait. A mes côtés, Lillemord me souriait de toutes ses dents. Je n’avais jamais pris le temps de le regarder mais dans chacun de ses traits, je revoyais ceux de Misrord. Il ne semblait pas plus grand, ni plus corpulent seul changeait cette étincelle que je voyais dans ses yeux. Elle était beaucoup moins présente que chez Ninah mais je comprenais qu’il était d’un naturel joyeux même s’il savait garder son calme. De la même façon, ses gestes étaient doux quand il me prit la main pour me conduire à Misrord.

Je jetais un regard circulaire à l’assemblée, mes sujets étaient dispersés parmi les compagnons de mon futur mari. En levant les yeux, je vis Misrord me regarder. Il se tenait droit, fier dans son vêtement qui ne recouvrait que le bas de son corps. Des dessins tribaux avaient été tracés sur son torse avec de la peinture bleu marine, une couleur semblable à celle de ma cape mais elle ne cachait pas les nombreuses cicatrices qui zébraient son corps.

Je me pris à me demander d’où est-ce qu’elles provenaient et s’il avait autant souffert que pour les miennes. De nouveau ce sentiment d’attendrissement me réchauffa le cœur, il m’accompagna quand je plongeais mon regard dans le siens mais la partie sombre de mes pensées refit immédiatement surface. Dans ses yeux, brillait la même lueur de possessivité que dans ceux de Bruder. Il savait des choses, mes chaines enserrèrent de nouveau mes jambes, mes bras et mon cou. Elles coupèrent ma respiration et je n’arrivais à reprendre mon souffle qu’à de courts intervalles. Une cage de plomb s’ancra autour de mon cœur, je ne savais plus s’il battait encore ou pas.

Ma main fut la dernière chose que j’arrivais à contrôler, comme à une bouée de sauvetage, elle s’agrippa à la première chose à sa portée : le bras de Lillemord qui s’arrêta brusquement. Il me permit de me re concentrer sur mon environnement c’est ce qui me faisait retrouver contenance.

Je sentis immédiatement le changement et notamment à travers les yeux bleus de Misrord, une palette d’émotions passa dans son regard et toutes étaient plus étranges les unes que les autres. Possessivité, colère, interrogation, clignement des yeux, inquiétude, rupture du contact visuel, il se tourne vers Ninah qui s’était relevée comme tous les autres envahisseurs constituant le cercle. Mes sujets ne semblaient pas changer dans leur comportement mais ils comprirent que quelque chose perturbait la sérénité de l’évènement.

Le temps de regarder l’assemblée et d’accrocher le regard des personnes pour qui je me battais, ma respiration se calma, la cage s’ouvrit et ma main se trouva au chaud dans celle de celui qui avait compris mon message. Lillemord se pencha à mon oreille et d’une voix cassée, il me murmura des paroles rassurantes : « N’aie pas peur, nous ne sommes plus vos ennemis depuis le serment d’hier. Je ne sais ce qui vous fais peur mais chacun d’entre nous a perçu votre frayeur et nous serons là pour vous protéger.

— Même si c’est envers l’un d’entre vous ? » Dis-je dans un murmure en regardant Misrord dont le regard transparaissait un curieux mélange de colère et d’inquiétude.

Lillemord suivit mon regard et attendri, il sourit légèrement. De nouveau, son murmure chatouilla mon oreille : « Mon frère ? Derrière ses airs de brute, il peut se montrer adorable. Si cela peut te rassurer, nous nous devons de respecter les ordres des dieux. Nous ne blessons que si nécessaire. Je t’en fais la promesse. Nous avons seulement tué cinq personnes pendant notre conquête.

— Six bientôt. » Le coupé-je en désignant Wighlem, qui ne savait vraiment où se mettre. Le cercle était fermé et il semblait mis en dehors comme si il n’existait pas. Je voyais bien que cela l’énervait et qu’il s’évertuait à avoir de l’attention, peu habitué de ne pas en avoir.

« Lui est déjà mort à nos yeux. » Contrattaqua Lillemord, sa voix brisée devenant plus froide. Après une courte pause, il reprit : « Il vous faut avancer, retenez seulement que jamais Misrord ne vous fera du mal. Il le jurerait sur ma tête. »

Je ne pus que le croire et à pas hésitant, je repris le chemin vers mon futur époux qui d’un discret signe de tête, remercia son frère.

Pendant le chemin, je gardais la tête baissée. Mon esprit fonctionnait à cent à l’heure pour trouver les cinq hommes manquants. J’énumérai dans ma tête : « Bruder, Wighlem, » puis rien. Même s’il était évident que les généraux acharnés de mon ex-mari devaient en faire partie, il ne me vient à l’esprit que les sourires de mes quatre enfants. Non le compte n’y était quand même pas. Sauf si l’homme en face de moi, celui qui me tendait la main pour le rejoindre, celui qui plongeait ses yeux dans les miens pour me comprendre, à moins que’il ai décidé depuis le début de laisser mes enfants vivres.

Un souffle chaud me coupa de mes pensées, mon anxiété revenait à grand pas mais l’air expulsé par Misrord stoppa sa progression dans mon corps.

« Nous sommes réunis sous le haut Soleil pour unir une femme et un homme. » Commença à officier Oystein, le prêtre en chef de la forteresse. A ses cotés, Phira reprit d’une voix calme : « Hier la lune blanche a béni nos nouvelles terres et son chef à travers la main de la bénisseuse. Aujourd’hui, l’homme prête serment de protection à sa bienfaitrice, sa terre et son nouveau peuple. Misrord maitre des Loups du nord, chef des terres vertes, assassin du mal promet aux dieux ta bienveillance. »

Chacun de ses surnoms s’imprima dans mon esprit. Je perdis le fil du sermon, un mot avait été prononcé par la géante dans une langue étrange. Pourtant, comme si il était évident pour moi, une image de loup se présenta à moi. Je savais que cela correspondait à sa signification mais j’étais incapable de comprendre pourquoi elle l’avait employé. Puis un deuxième terme attira mon attention. Phira avait parlé d’assassin du mal et j’eu peur de ce que cela signifiais.

Cependant, en entendant mon nom, je dûs, contrainte, reporter mon attention sur Misrord qui me tenait fermement les deux mains. « … Lana, chef des terres vertes, blessée de la haine, mère des honneurs, promet aux dieux ta bienveillances. »

Le silence se fit dans la salle alors que les mots restèrent bloqués dans ma gorge. J’avais déjà dit « oui » par le passé, un « oui » rempli d’espoir, d’amour et d’innocence. Le « oui » que je devais sortir aujourd’hui n’avais ni innocence, ni amour, ni espoir et je ne méritais pas mieux. Alors, sous la pression des mains de Misrord et son regard toujours rempli d’un mélange de colère et d’inquiétude, j’inspirai fort. A mon nez parvint tous les effluves provenant du corps de l’homme et dans un souffle étranglé et à peine audible, je dis : « Oui, je le promets. »

Oystein termina la cérémonie, je plongeai dans un état second guidé par la main de Misrord jusqu’au banquet. Son sourire, après ma réponse, m’avait perturbé au plus profond de moi-même, il était aussi profond que celui de Bruder ce même jour.

 

« Vous êtes au courant que les tables sont plus basses que celle de la chambre ? » Dis-je avec ironie un demi-sourire étendu sur mes lèvres en regardant l’installation de la salle.

J’ai eu le temps de me calmer, prenant conscience de toute l’innocence avec laquelle mon nouveau mari me guidait. Je n’avais pas encore parlé mais il échangeait avec moi des regards attendris et heureux. A l’instant même où cette parole sortit de ma bouche, Misrord se tourna vers moi. Pendant ce temps, Lillemord, qui restait proche de nous, posait une cape sur ses épaules.

Les deux hommes furent surpris de me voir sortir du mutisme, le frère de Misrord plus que celui-ci puisse qu’il ne connaissait pas l’origine de cette remarque. Mon nouveau mari se mit à rire, une fois sorti de son étonnement. Son air jovial se transforma vite, ses yeux brillèrent d’un éclat taquin.

Alors que Lillemord, déconcerté de cet échange, passait le reste du tissu autour de la taille de Misrord, qui levait les bras, ce dernier me murmura, droit dans les yeux : « Je n’ai rien à craindre, si quelque chose venait à tomber de la table, je vous demanderai d’aller le chercher. Vous passeriez facilement. »

Je rougis très fort de honte et de colère. Bien sûr que non je ne passerais pas facilement sous ces tables basses, il me faudrait passer en avant, ma croupe en l’air dans une position très vulgaire. Misrord, voyant ma tête, rit aux éclats, un son qui m’apaisa étrangement. Au fond de moi quelque chose se réchauffa grâce à ce rire et toutes mes inquiétudes s’apaisèrent.

« Mon frère ! Cessez de tourmenter notre dame et allons nous assoir, ils ont installé les fruits pour commencer le repas. » Finalement, cette plaisanterie et la remarque remplie de sous-entendus de Misrord m’avaient détendue, et j’étais prompte à passer une bonne soirée.

On m’assit sur des coussins confortables entre Misrord à ma gauche et Phira à ma droite. Ainsi entourée, je me sentais à l’étroit et toute petite, ma tête ne dépassait pas leurs épaules de colosse.

La cape de Misrord cachait son torse mais elle s’ouvrait à chaque fois qu’il levait son bras pour prendre son verre. Le mouvement qu’elle faisait me fascinait tellement, c’était tendancieux et gracieux. Quand la cape s’ouvrait, le tissu glissait sur son biceps massif. Hypnotisée, mes yeux suivirent les plis de l’étoffe et remontèrent sur la gorge de Misrord qui tremblait quand il riait ou parlait de cette voix forte et profonde.

J’en ressentais des frissons plaisants que je m’évertuais à refouler. Par une magie étrange, je ne pouvais nier qu’il m’attirait. Dans d’autre circonstance… je refoulais cette idée de la tête, je ne pouvais pas penser ainsi.

Je me reportai néanmoins sur la contemplation de son visage, il avait, pour le dégager, attaché ses cheveux noirs en une queue de cheval relâchée. Quelques mèches s’échappaient de cette coiffe imparfaite que je me retenais avec grande peine de ne pas remettre en place. Je pris mon verre pour me déconcentrer de cette envoûtante idée, l’alcool donnait une excuse à ces excès de tendresse.

Après la dégustation des fruits, je guettais la porte en attendant le plat principal qui ne tarda pas à arriver. Deux serviteurs portaient un plateau sur lequel reposait un gros morceau de cerf que l’on plaça en face de moi comme un trophée. Je n’eu pas de difficulté à comprendre que l’animal était la prise de la chasse de Misrord.

Il s’échappait de la viande une douce odeur d’herbes, on avait commencé à la travailler mais voyant la taille de la bête, je me doutais qu’il faudrait encore la mariner pour que la viande soit plus tendre.

Là-dessus, Misrord se leva et me tendit la main pour que je puisse faire de même. Puis dans un geste presque théâtral qui par son incongruité et son excès comique me fit rire, il me présenta la viande et me dit : « J’ai ce matin chassé pour ma future femme. Les prises que j’ai eues sont la preuve de la gloire de notre couple. » Cette remarquer ressemblait fort à un défi qui me fit rougir, comprenant que Misrord attendais beaucoup de moi.

Puis il baisa ma main, un sourire aux lèvres, le regard plongé dans le mien. Il me demanda alors qu’une voix douce : « Ma reine choisit la partie de la viande que tu préfères et je te la donnerais en cadeau comme le veut la tradition. »

Je le regardais étonnée puis détournai le regard vers la viande. Avec mon père on mangeait souvent ce genre de gibier, ma mère adorait manger l’épaule de l’animal dans un ragoût qu’elle préparait elle-même. Pourtant mon frère et moi, peu amène d’apprécier ce genre de délicate préparation, on préférait le cuissot directement prépare à la broche. Je me retournais vers Misrord avec un sourire, car pour une fois un bon souvenir investissait mon esprit et je l’invitai à me donner le cuissot.

« Ça c’est une femme. » Dit-il en riant. « Bien ! Serviteur préparez la broche, nous allons prendre les deux cuisses. » Il poursuivit sa tirade avec un sourire charmeur qui m’était destiné : « Nous aimons la même chose, vous avez bien choisi. »

Je rougis de nouveau tout en rigolant et fis une légère révérence pour lui montrer ma bonne fois. Il m’aida à me rassoir et fit de même puis il me versa un vers d’alcool et nous trinquons pour nous souhaiter un bon repas.

Misrord me faisait oublier mes craintes. Je dansais selon nos traditions alors qu’il me montrai son enthousiasme. J’ai profité de la bière que l’on me servait pour contribuer à ma bonne humeur bien que, à mesure que les plats se finissaient et que la nuit tombait, je ressentais de nouveau la crainte contracter mon ventre.

Je serai bientôt contrainte de consommer le mariage en allant me préparer dans la chambre et je n’étais pas prête. Ma peau me démangeait de peur, et quand Madaigh me demanda de la suivre, je me mis à trembler. En prenant sur moi car il le fallait, je suivis ma dame de compagnie. Misrord me lança un dernier regard satisfait mais il semblait inquiet, en me voyant monter les marches du grand hall.

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