Chapitre 7 : Le partage de traditions

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Ninah ne cessait de s’émerveiller sur la délicatesse de nos vêtements, sautillant un peu partout comme une enfant excitée. Je ne pouvais m’empêcher de rire tout en réfrénant des souvenirs douloureux. Aria avait cette même attitude petite, ma fille chérie me regardait avec des yeux bruns remplis d’admiration. Ceux-ci et ses petites joues roses rappelaient à tous les serviteurs les petits elfes des forêts. Elle était adorée. Et connaissant si bien son charme, elle n’hésitait pas à faire des farces à tout va, comme moi à son âge.

Mon rire devient mélancolique, alors que je regardais l’étoffe de lin blanc qui m’était enfilé en douceur. L’habit un peu lâche se déversait sur le sol comme un voile de brume. Lors des cérémonies, on n’ajoutait pas le corset de cuir qui avait tendance à m’oppresser plus que maintenir ma poitrine lourde par mes accouchements. Comme les jeunes filles étaient censée être pure cet artifice ne servait à rien. Pour ma part, mes seins portaient le lait nécessaire à Tarek qui n’était âgé que de quelques mois et ma poitrine en était lourde de ne pas l’avoir nourri. Heureusement avec toute l’intimité que l’on avait réussi à soutirer à Ninah, Madaigh, ma nourrisse, avaient réussi à me tirer un maximum de lait pour éviter un engorgement.

Je soufflais un grand coup m’apprêtant à recevoir ma deuxième étoffe. Elle fut apportée par Maidha qui me couvrit de la toile brodée de délicates scènes de vie. De façon symétrique et droite, ma mère l’avait préparée pendant mes trois premières années d’enfance. Je l’avais observée faire pour ma sœur puis moi-même je l’ai imité pour ma descendance. Mais l’une était restée inachevée. Comme pour le châle confectionné lors de nos grossesses, l’étoffe faisait partie de mon trousseau de mariage.

Les fils de multiples couleurs traçaient des hommes et des animaux entourés d’arbres et de fleurs. Ce thème pastoral était influencé par les rêves de ma mère. Elle prétendait, dans ses histoires du soir, avoir rencontré des fées qui lui avaient montré les images que tissaient ses doigts. Évidemment à l’âge de 16 ans, je ne l’ai pas crue mais avec le temps j’ai su. 14 ans après le moment mémorable de mon mariage, je ressentais la même nostalgie, mais au bout de l’autel m’attendait un homme que je n’aimais pas et dont je ne connaissais que le nom. Je me remis à souffler et mes dames ne firent aucun commentaire. L’une d’elle passa sur ma taille une ceinture qu’elle attacha sur le côté et qui supportait le médaillon des chefs : un cercle sur lequel était forgé une épée lame vers le ciel sortant d’une couronne.

Ensuite, Madaigh sortit de ma boite à bijoux des colliers et des bracelets en alliage de bronze et en pierre provenant du sorcier de la rivière d’Argent. Ces parures recouvrirent mes poignets et mon cou. Il ne restait plus que ma coiffure avant la note finale. Pour cela Maidha rapprocha le panier de fleurs et en tendit une à une à Madaigh qui en fit une couronne dans mes cheveux bruns. Je voyais en face de moi Ninah approuver d’un signe de tête, se retenant, je le voyais dans ses mouvements de balancier, de me toucher. Misrord avait raison, elle paraissait très tactiles. Je lui souris et je lui tendis une main hésitant. Elle la prit aussitôt avec grande joie. Mes deux dames avaient fini leur travail.

Gênée par la prise douce de la jeune fille, je me détachai rapidement, me tournant face à la porte pour éviter son regard déçu et sa main qui ne savait où se poser. Madaigh, la femme qui représentait la figure maternelle de cette pièce, sortit de la malle une étoffe épaisse que ma plus lointaine ancêtre avait portée ; Nayla la blanche et supposée fondatrice des lieux saints de cette région. Ma dame de compagnie déplia ce trésor rempli d’histoires pour la placer sur mes épaules, l’attachant à deux broches en bronze gravées de dragon. Comme la première fois quand ma préparation fut terminée, je ressentis tout le poids de mon futur rôle de chef, mis à part que cette fois la mort était beaucoup plus présente dans mes craintes.

« Ma dame, vous êtes prête. Voulez-vous que je vous aide à vous assoir en attendant ? » Entendis-je avec douceur Madaigh qui remettait une mèche de mes cheveux en place. Sans l’entendre, je répondis machinalement : « Je ne préfère pas, je crains ne plus pouvoir me lever après.

— Je suis sûre vous avoir entendu dire pareille chose le jour de votre premier mariage. » La femme me sourit et se déplaça vers la cheminée, je la suivis des yeux ne m’étonnant pas de sa remarque. Mon regard dériva et se posa sur l’épée soigneusement emballée dans un tissu blanc. Ma contemplation fit germer dans mon esprit une idée espiègle. Me retournant vers Ninah qui penchait la tête amusée et intriguée comme un chiot, je lui demandai innocemment : « Dame Ninah …

— Juste Ninah s’il vous plait, nous avons aucun titre en dehors de nos trois guides. » Comprenant que les trois guides devaient être Misrord, Lillemord et Phira, je repris le sourire aux lèvres pour l’encourager : « Ninah, serait-ce mal vu si je porte l’arme de votre… » Je fis une pause cherchant le titre qu’ils utilisaient pour désigner Misrord. « Que je porte l’arme de votre Alpha ? »

Je vis la jeune fille poser son index sur ses lèvres dans un geste de pure réflexion : « Je ne crois pas me souvenir d’une tradition contraire. Je pense même me souvenir que Dame Damalieh avait ceint à sa taille l’arme de son protecteur. Et puisque Misrord s’est autoproclamé le vôtre après votre rencontre et avant même vôtre mariage, il n’y a aucun problème à ce que vous portiez son épée. Je peux même assurer que ce ne serait qu’une preuve de votre confiance en lui. Nous ne pouvons craindre une rébellion, la manier requiert une force et une maitrise considérable. »

Elle fit une pause pour reprendre son souffle. Son énergie enfantine faisait rire mes domestiques, pour ma part je fronçais les sourcils assimilant les informations. Ma concentration fut interrompue par son débit de parole, sa voix joyeuse s’accrocha directement à mon oreille quand elle prononça le nom de mon seigneur : « Je soupçonne même Misrord d’avoir fait exprès de parler de son épée pour vous y faire penser.

— Pardon ?! » Ne puis-je m’empêcher de dire en entendant une telle remarque. Imaginer Misrord agir de cette façon sous-entendait que ses attentions étaient plus que diplomatiques. Soudain, j’eu la grosse envie de savoir s’il avait été déçu de ma réaction face à la tête de Bruder ou alors si son intention n’avait pas été tout de suite de me donner une chance. L’explication de Ninah me sortit de mes interrogations puériles. Rien de sentimental ne pouvait se créer entre nous, j’étais la proie qu’il gardait pour maintenir à l’ordre sa main d’œuvre.

« Ma dame, ne soyez pas surprise, il s’inquiète un peu pour vous. Les humains sont très étranges et ça nous intrigue. »

Elle aussi employait le terme « humain » pour nous désigner. Alors que, bien leur taille différente, leur provenance des terres au-delà des mers, et leurs manières étranges, nos envahisseurs n’étaient pas différents de nous. Enfin, cette remarque fut coupée par Phira, la grande subordonnée de Misrord qui me sourit en m’invitant de sa voix douce mais autoritaire : « Il est l’heure, ma dame si vous voulez bien me suivre, la tribu vous attend. »

Je jetais un dernier coup d’œil aux fourreaux de lin près de la cheminée, puis au regard rempli d’espoir de Ninah mais je n’en ferai rien. Je craignais qu’en la portant je donnerai une mauvaise impression à Misrord. Les ombres du plafond étaient toujours au-dessus de ma tête, elles me regardaient et me jugeaient. Est-ce que je trahissais mon mari en acceptant cette union ? Certes il était mort mais…

Je refoulais ces idées noires ne gardant que dans le creux de mon ventre une boule qui enflait à chaque pas. Je savais ce qu’une union désignait et alors que je prenais la main que me tendait Phira, je m’arrêtai brusquement. Mon regard se tourna vers l’emplacement vide près du lit puis sur mes mains qui tremblaient. Ma dame de compagnie semblait tout de suite comprendre ma détresse et demanda à tout le monde de sortir : « Il faut encore que je parle à ma dame, l’incarnation maternelle de la cérémonie doit lui… Faire répéter ses vœux. »

Étrangement, elles comprirent toutes et pousser par Maidha, je les vis passer la porte et la refermer. Une main douce se posa alors sur mon épaule pour me réconforter.

« Je suis là pour recueillir vos craintes, dites-moi ce qui vous fait trembler de la sorte. »

Madaigh me prit les deux mains et les caressa doucement comme l’aurait fait ma mère. Je ne me souvenais plus très bien de ce qu’il s’était passé il y a 14 ans, bien que je savais que je n’étais pas aussi terrifiée. Je l’aimais plus que tout et je désirais être à lui pour toujours mais tout avait basculé si rapidement… Je voyais encore son regard froid 18 mois après notre union et le sang. Ce devait être le pire.

Ma dame de compagnie, voyant mes sombres pensées à travers mon regard, fit glisser son doigt sur mon front.

« Ma dame, je ne pense pas que Misrord se comportera comme mon seigneur Bruder. » Je retiens mon souffle en entendant son nom mais elle reprit en douceur : « Je sais ce qu’il vous faisait subir, j’ai vu chaque matin vos blessures et j’ai senti chaque jour votre cœur pleurer. » Mes yeux s’embrumèrent en apprenant qu’il n’y avait surement pas qu’elle qui connaissait ma souffrance. « Bruder était une brute sur le champ de bataille, il conservait une rage en lui qui n’avait de cesse de surgir et il était facile pour lui de la détourner vers vous. Même si je ne connais pas le déclencheur de cette colère car son regard était rempli d’amour dès qu’il vous regardait pendant votre mariage. Misrord n’est pas comme cela, il y a de l’honneur dans son regard. Il vous respecte et il vous laissera décider. Je ne pense pas qu’il vous prend comme femme seulement car vous lui êtes nécessaire. »

Elle essuyait mes joues des larmes qui y coulaient, j’étais perdue entre peur et attendrissement. Mon corps ne connaissait que la douleur. Les fois où j’ai ressenti du plaisir quand ma peau était touchée, remontent à trop loin pour que je m’en souvienne. Qui me dit que le cercle vicieux de la haine ne reprendra pas le pas sur la douceur dont Misrord avait fait preuve hier ? Mais je ne pouvais reculer, mon serment me liait à lui. Il y a longtemps que j’espérais trouver la paix sans jamais l’avoir, j’avais appris à le supporter.

Alors je pris les mains de Madaigh qui étaient posées sur mes joues et lui dit dans un murmure : « Qu’importe qu’il soit doux, dur ou tyran avec moi, ce qui m’importe est votre sécurité et je ne peux la garantir qu’en travaillant à ses côtés. Je lui appartiens désormais et c’est pour le bien de mon peuple. C’est tout ce qu’il me reste. Alors conduis moi et soutiens moi jusqu’à l’hôtel. »

Ma dame de compagnie ne dit rien et se déplaça vers la porte qu’elle ouvrit. Phira se rapprocha immédiatement de moi d’un pas souple et gracieux. Elle me prit le bras qu’elle posa dans le creux du sien puis me conduit jusqu’à l’autel installé dehors. Les fleurs avaient éclos depuis quelques semaines et coloraient le jardin derrière le donjon. Aucune chaise ou banc n’était installé pour les spectateurs. Dans la même configuration de la cérémonie du chef, les hommes de Misrord étaient assis en cercle, Ninah en rejoignit un qu’elle colla de tout son corps. Phira me donna à Lillemord qui attendait à l’entrée du cercle pour rejoindre Misrord et prendre les objets de sacrement. Je découvris que le mariage serait fait selon leurs coutumes et je ne savais absolument pas à quoi m’attendre.

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