Chapitre 6 : le songe d’une nuit

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Alors que dans mon sommeil je revoyais souvent les jours de tempêtes, cette fois un champ différent se présenta à mes yeux. Mon regard était porté sur une étendue verte recouverte de fleurs. Ma main était plongée dans le pelage d’un grand loup noir et blanc qui regardait au loin les montagnes blanches. Elles sortaient des nuages colorés d’aurore teintés d’orange et de rose. La lumière était douce mais « mon » loup, je le percevais ainsi, semblait en absorber une grande partie. Son poil luisant ressemblait à de la pierre d’obsidienne sur le haut de son corps, le dessous était aussi blanc que du sélénite. Il me faisait penser au parfait mélange de ces deux pierres que j’avais vu chez le sorcier installé près de la rivière d’Argent. Un grognement survint de cet animal à la carrure majestueuse. Un frisson parcourut mon bras.

« Vois-tu le terrain se rétracter ? D’ici un mois cette plaine, chère à mon peuple pour garder nos ancêtres, disparaîtra. Les étendues divines sont broyées par les hommes et leur insatiable envie de découverte. » En me retournant, je vis des chaumes et des grottes qui protégeaient les familles de géants dont les enfants courraient entre les feux poursuivis par d’autres loups.

« Mère… »

Je me réveillais en entendant grogner comme un loup, l’homme qui était devenu mon maître, Misrord. Il s’était relevé, la main sur la tête, l’autre se soutenait à la table en bois. Il venait de ramasser un gobelet de fer qui devait être rempli d’eau. Je me retiens de rire, cachant mon visage sous les draps blancs. La crise d’hier me rendait plus légère, définitivement effacée par un rêve paisible dont je ne me souvenais seulement qu’il m’avait fait passer une nuit reposante, calme et complète.

Je regardais l’homme aux yeux de loup m’interrogeant sur son futur rôle dans ma vie. Je n’avais pas oublié son comportement d’hier tellement contradictoire avec son arrivée fracassante et la tête qu’il avait jetée à mes pieds.

Je m’efforçais de me faire un visage neutre craignant ses foudres, je me rappelais les sautes d’humeur de Bruder quand il passait son regard sur moi alors que je souriais des bavures que faisaient notre premier fils, Auloysius. Cela faisait quatre ans que nous étions mariés, l’avenir d’une naissance mâle était fortement espéré. Sa venue était pour lui un bonheur immense.

En pensant à mes enfants, la peine procurée par le fait de ne pas pouvoir les serrer dans mes bras, me fit reprendre une attitude sérieuse et froide. Malgré sa grande gentillesse de la veille, je ne devais pas oublier que Misrord serait l’assassin de mes enfants. J’eus le bref réflexe de regarder par la fenêtre avant de me détourner rapidement. Je devais oublier et ne pas lui montrer mes faiblesses.

J’étais tellement dans mes pensées que je ne remarquais même pas le silence qui s’était installé. Le feu crépitant était le seul son que j’entendais, il réchauffait la pièce fraiche à cause de ce mois de mai.

« Je viens de vous voir passer par une palette d’émotions. A quel point me cogner la tête contre cette table trop basse vous a-t-il perturbée ? »

Je levai ma tête, surprise, une expression très vite balayée par mon regard plongeant dans le sien. Je changeai d’attitude reprenant mon sourire en comprenant qu’il ne me le ferait pas regretter, qu’il cherchait cela de moi. Cette perspective se perdit dans les incompréhensions que je supportais depuis son arrivée. J’avais du mal à me cerner depuis notre rencontre mais une chose était sure, plonger mes yeux dans les siens me faisait oublier toutes mes craintes. Il donnait l’impression de percer mes secrets et je ressentais la même chose quand je regardais ses yeux remplis de tempêtes. Notre langage et notre attirance ne se partageaient que par ce regard. Il me rendait plus libre.

Avec un sourire ironique, je ne pus m’empêcher de sortir une répartie cinglante, que mon père aurait affectionnée, tout particulièrement chez moi car elle me rendait plus digne de son rang : « Nos tables sont-elles trop basses ou vos jambes sont-elles trop longues ? »

Il eut un rire franc qui me fit sursauter. Je retiens un mouvement de recul mais voyant la joie sur son visage, je ne pus m’empêcher de m’attendrir. Je voulais me flageller de ressentir de tel sentiment pour l’assassin de mes enfants mais notre attirance naturelle ne semblait pas prendre ce paramètre en compte. Comme si mon corps savait que Misrord n’en ferait rien, que mes enfants me reviendraient sains et saufs dans mes bras, une fois la stabilité du peuple établit.

Je me replongeais de nouveau dans mes pensées m’accrochant à cet espoir car ma raison en dépendait. Puis je ne pus m’empêcher de rire, à cause de la naïveté mais aussi face au regard de louveteau intrigué que me lançai Misrord. Il s’approcha de moi et me surplombant de ses deux mètres, il me regarda sans vouloir me faire peur mais quelque chose avait changé. Son sourire avait disparu, de nouveau je vis le géant tueur qui avait franchi la porte de cette pièce. J’eu un mouvement de recul.

« Je préférerais que vous gardiez le sourire, je ne veux pas avoir de larme le jour de mon union. C’est un événement trop sain et beau pour être gâché. »

Tout mon corps s'arrêta l’espace d’un instant, ma respiration se bloqua. Son ton froid rempli de reproche me transperça le cœur et une bouffée de panique remonta dans ma gorge. M’encourageait-il à rire ? Évidement mais il semblait oublier les malheurs qui s’abattaient sur moi. Par chance, quelqu’un mit fin à cette situation oppressante en frappant le lourd battant de bois. Misrord grogna et une femme rentra. Son visage me revient comme flou, je me rappelai de Ninah, celle qui lui avait préparer l’eau et les senteurs alors que j’étais plongée dans un demi-sommeil.

Elle avait une longue chevelure rousse dont la lumière contrastait avec la noirceur de ceux de Misrord ou Lillemord celui qui lui ressemblait comme un jumeau. Elle s’approcha du nouveau chef et lui prit la main dans la sienne avant de la remonter vers son épaule et de poser sa tête contre celle-ci et imperceptiblement leur visage se frôlèrent. Ninah devait être plus petite de seulement quelques centimètres que Misrord car elle ne devait pas se mettre sur la pointe des pieds pour garder cette position.

En voyant cette scène, j’eu un pincement au cœur, exactement comme la première fois que Bruder m’avait provoquée en prenant sur ses genoux une domestique. Pourtant le contact qui rapprochait Misrord de Ninah devant moi ne semblait pas être de la provocation mais un simple besoin physique qui permettait d’échanger des informations comme à la manière des animaux. Ce fut Ninah qui brisa le silence qui s’était installé, je n’osais même plus lever les yeux de mes doigts qui grattaient le dos de mes mains.

« Alpha, je pense qu’il est l’heure pour vous de laisser notre dame se préparer. Lillemord vous attend pour la chasse.

— Bien, demande à ses servantes de ramener la toilette nécessaire pour l’habiller, j’aimerai… » Il chercha ses mots comme pour cacher la véritable intention dans sa demande. « J’aimerai nettoyer ma lame… Pour tuer l’animal après la chasse… » Je fronçais les sourcils en écho à l’air amusé de Ninah. Je ne comprenais pas bien comment son épée pourrait l’aider à tuer l’animal. A la chasse, on préconisait d’habitude le poignard pour achever l’âme en peine. De plus, regardant sa carrure et son agilité de guerre, je savais très bien qu’il devait avoir assez de dextérité à l’arc pour achever la bête d’une simple flèche bien placée.

Après ma brève analyse des capacités meurtrières de Misrord, je me concentrais sur notre visiteuse dont j’avais déjà remarqué son grand sourire. Les yeux bruns de Ninah pétillaient d’amusement, elle se moquait de l’excuse de son maitre. Elle était aussi perplexe que moi concernant l’utilité de l’épée à la chasse. Mais interceptant le regard froid de Misrord, elle ne dit rien et sortit rapidement.

Après l’avoir suivi du regard, il se tourna vers moi. Je n’osais pas tourner la tête pour échapper à ses yeux qui m’avalaient à chaque fois. Dans le silence pesant de la pièce, le son de sa voix me parut comme libérateur même s’il accentuait mon malaise : « C’est habituel dans mon peuple d’être tactile, ça nous aide à résoudre nos problèmes mineurs. Ninah est notre guérisseuse, sa mère m’a vu naître et je la voie comme ma sœur. Évitez de ressentir de la colère pour ce genre de chose cela risque de se répéter dans la journée. »

Il me laissa, les yeux ouverts d’incompréhension, ne prenant même pas son épée qui reposait près de la cheminée avant de partir. Assimilant ce qu’il venait de me dire, je ne pus m’empêcher de coller à cette pratique l’étiquette de barbares.

Ruminant cette image, que je trouvais peu accommodante, je me levai et commença à remettre mes bandages.

La sœur de Misrord revient avec Maidha, qui apportait un panier de fleurs cueillies à la rosée comme le voulait la tradition. Ninah me dit que Madaigh s’était rendue dans ma chambre pour chercher mon coffre à bijoux. Elle m’informa aussi que selon leur culte, Misrord était parti en chasse — et non à la chasse me surpris-je à penser — avec ses hommes. Elle gardait un sourire rassurant, bien que je ne comprenais pas en quoi me prévenir de cela m’était nécessaire.

Ainsi, Misrord me laissait me préparer, m’obligeant à rester dans la chambre de Bruder et m’interdisant de sortir avant que Phira ne viennent me chercher comme la veille.

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