Chapitre 5 : Le venin du serpent

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Wighlem arriva comme un lapin apeuré, il était tenu par le bras et poussé violemment dans la chambre par l’autre géant. Son regard fuyant évaluait le milieu dans lequel il se trouvait. Mon seigneur avait exigé qu’en attendant, je m’assaille dans les fauteuils près du feu, une peau de bête remplaçait ma robe de noce, alors que face à moi, il travaillait sa lame avec un morceau de ponce. Ce tableau pouvait porter à confusion quant à la nature de notre relation, on pourrait croire voir son seigneur et sa femme après un moment tendre. J’étais gênée de ce que je laissais transparaitre pour mon peuple mais pour Wighlem, je préférais qu’il se fasse des idées.

Après avoir fait le tour de la pièce de son regard de renard, ses yeux bruns se posèrent sur moi et toute la peur que laissait transposer son corps se changea en haine à mon égard. Je le révulsais mais je ne m’en attristais pas, il était plus facile de se savoir haït, cela supposait que je n’étais pas assez misérable pour être encore enviée.

Je me redressai légèrement pour couper notre échange, lui-même se tourna vers le barbare et fit une courbette comme il le faisait pour Bruder. Le seigneur sans lui jeter un seul regard, remercia son jumeau d’un mouvement de tête.

« Le général Lillemor t’a informé de ce que tu devais faire. Après avoir soigné ta dame prépare moi un bain. » Il fit une pause qui sembla pour Wighlem le signal pour se mettre au travail mais celui-ci fut coupé par un dernier ordre : « Demain matin, quand ta dame se sera levée, change la paille de la pièce.

— Mon seigneur ce n’est pas de mon… » Tenta de s’opposer Wighlem qui fut interrompu par un doigt accusateur. L’homme avait posé ses deux bras sur les accoudoirs dans une posture majestueuse.

« Je ne suis pas ton ancien seigneur, tu dois le savoir mais je n’aime pas que l’on contredise mes ordres, Humain. » Son ton était calme, sa voix ne s’était pas élevée, mais simplement posée pour qu’elle s’imprègne dans l’air ambiant. Moi-même je ressentais sa force et ma respiration se bloqua d’appréhension. Wighlem remis à sa place, murmura un faible : « Désolé mon seigneur, je le ferai comme exigé. » Et se dirigea vers moi avec sa sacoche de pommade.

J’étais réticente à lui laisser mon corps comme à chaque fois qu’il venait après le départ de Bruder. Alors il posait son sac, sortait un pot en bois de santal. Avec des gestes lents, il devisait le couvercle qu’il avait taillé de formes pastorales. Pendant ce moment de silence et de gêne, il examinait mes blessures cette fois son visage était différent, fermée, il ne souriait pas en s’imaginant ce que son maître avait fait à ce corps.

Il avait suivi la cérémonie de mariage, il savait que demain quand le soleil éclairera de sa lumière l’herbe verte de la cour haute, je serai la femme de cet opposant et que je devrai être considérée comme telle. Son rôle n’était plus d’être le favori et de recevoir les passions qui m’étaient due mais de changer la paille de cette chambre et de me soigner. En soit, il devenait le plus bas de mes serviteurs, son avenir était déjà décidé : Il mourrait des mains de l’ennemi sûrement la hache séparant sa tête de renard de son corps.

A mes côtés l’ennemi avait repris son travail sur son épée. Il jouait les indifférents mais je sentais son regard quand il leva les yeux pour voir le travail de Wighlem. Il m’avait demandé de me lever et de laisser tomber la peau qui me couvrait. Le maitre des lieux avait eu le temps d’observer mes blessures et les cicatrices que m’avait laissées Bruder comme une marque qui me rappelait à jamais à lui.

Son regard avait fini par ne plus m’effrayer quand j’étais nue, je n’y décelai aucun désir comme celui de mon mari. Parmi mes lésions, l’une d’entre elle était peut-être la plus douloureuse, le géant l’avait vu mais n’avait fait aucun commentaire se doutant d’où elle venait. Mon regard effrayé s’était tourné vers l’objet de mes peurs matérielles de cet endroit. Mes vaines tentatives de rester le plus loin possible de chacun de ces éléments était impossible, je devais prendre sur moi.

Comme d’habitude, pendant que je me faisais soigner, mon esprit se déconnectait de cette réalité, d’une part revivant ces cauchemars, d’autre part les évitant et les fuyant. A chaque fois, Wighlem finissait son travail sans que je ne puisse le remarquer et s’ennuyant de mon manque de réaction, il prenait ses affaires et partait retrouver son maitre. Mais cette fois-ci, il dut faire autrement. Son nouveau chef lui demanda s’il y avait des dangers, des endroits plus sensibles que d’autres qui nécessitaient plus d’attention. Wighlem lui répondit que non et que tout ce dont j’avais besoin était du repos et de faire aucun exercice excessif.

L’homme au regard froid posa sur moi ses yeux qui semblaient me faire comprendre que je devais suivre les instructions de ce médecin de substitution. Il me regardait comme cet amant qui s’inquiétait de sa compagne à l’annonce d’une maladie, d’une blessure peu grave ou d’une grossesse.

Un souvenir me revient, un souvenir heureux peut-être où un homme massif et brun de cheveux demandait à une jeune fille de seize ans de se calmer et de ne pas courir au bois. C’était mon premier jour de mariage, je venais de tomber de mon étalon à la magnifique robe isabelle que j’avais depuis toute petite. J’avais mesuré l’amant du regard mais par simple principe de contradiction. L’homme m’avait conduit à mon lit pour soutenir ma cheville tordue et m’avait bordée. Un mois plus tard, j’apprenais que j’étais enceinte. Peut-être que ce qui m’avait sauvée à l’époque était que nous étions déjà amant de longue date.

Je fus surprise de ce que je vis dans le regard de cet homme aux allures de rustre sanguinaire qui depuis son arrivée ne cessait de me montrer des formes de respect et d’honneur que même le plus grand des hommes ne pouvait avoir. Il m’avait plusieurs fois montré que je lui appartenais sans vraiment me traiter comme tel. J’étais enfermée dans cette chambre mais je savais que je pouvais sortir sans qu’il ne me le reproche. J’étais à son niveau, un chef dont il devait se méfier mais dont il s'évertuait à lui prouver qu’il pouvait y avoir une paix sans domination. Je ne savais pas pourquoi mais j’obéirais à cet ordre implicite sans qu’il ne me le demande car tout était passé par ce regard.

Après son explication, Wighlem fut congédié pour aller prendre l’eau qui remplirait le bac en tonneau de bois. Enfin il sortit me laissant seul avec le maitre qui me regardait.

« J’ai vu votre haine dans votre regard quand il est entré dans la salle. Je ne pensais pas que votre aversion pour lui était réellement profonde. Qui aimez-vous dans cette forteresse ? Je m’attends à devoir faire une purge. Mais sinon n’ayez crainte, il y aura toujours quelqu’un avec lui ici. » Puis il ajouta avec désinvolture en haussant les épaules : « Pour éviter qu’il ne cause des problèmes. » Il disait cela comme s’il n’était pas le seul à pouvoir le faire.

Ses mots me touchèrent car il supposait que j’étais horrible comme mon mari, beaucoup plus sournoise car j’utilisais son pouvoir pour tuer mes ennemis. J’étais cette personne qui pouvait causer des problèmes. Il oubliait seulement que jamais je ne lui avais demandé de condamner Wighlem. Je ne voulais seulement qu’aucun autre de mes serviteurs ne sachent pour mes blessures et s’inquiète de ma santé. Je désirais la mort de Wighlem comme je désirais la mort de Bruder, sans jamais la provoquer.

A cet instant, lui me donnait le pouvoir de le faire mais pas seulement pour ce serviteur rusé, mais bien pour tout mon peuple pour laquelle je me sacrifiais. Un souffle de rage montait en moi comme quand adolescente je contredisais mon père. Plongeant mes yeux dans les siens, je mesurai ma voix pour paraître plus noble, il fallait que j’abandonne cet état misérable, il n’était pas Bruder : « Pensez-vous vraiment que je me serai donné tout ce mal, que je me serais donnée à vous si mon seul objectif était de déposer tout mon peuple dans les bras de la mort comme vous alliez le faire pour Wighlem ? Je n’attends pas de réponse, je vous sais assez intelligent pour ne pas le penser mais je trouve honteux de votre part de me le faire remarquer. Je sais rester digne et je sais m’accommoder, même de mon pire ennemi sinon je ne serai pas devant vous à vous attendre.

— Comment ? Vous dites m’attendre ? Dois-je vous rappeler que vous m’appartenez, et qu’importe votre choix vous resterez là où je vous le demande. Je ne cherche pas la querelle, je ne peux simplement pas vous comprendre. Pourquoi garder un homme que vous détestez ?

— Parce que vous pensez que c’est selon mon choix ? Rien n’est selon mon choix. Comme il aurait dû l’être en suivant les traditions de nos ancêtres. L’homme dont vous m’avez gentiment déposé sa tête ce matin, m’a tout pris car il a pris le pouvoir. Wighlem m’a pris ce qui me restait d’honneur mais je ne pouvais riposter à cause de l’ombre qui planait sur moi. » A ces mots ma voix se cassa mais je serrai les poings pour ne pas faire couler mes larmes.

Je revoyais l’ombre qui planait dans les formes que dessinaient le feu. Serrer mes poings ne suffisait pas, j’agrippais mon bras pour avoir plus de contact. J’inspirais fort pour continuer de m’exprimer, même la voix tremblante : « Je ne désire rien, j’attends patiemment que le temps m’emporte, je reste passive même si je désire les faire disparaitre. Car même si je suis horrible à le penser, je ne peux décider du destin d’un homme. Je ne vous ai jamais demander de tuer ce serviteur, comme je ne vous ai pas non plus demander de prendre en chasse mes enfants. Je suis peut-être remplie de haine mais je ne suis pas comparable à mon mari. Enfin je l’espère. »

A cet instant je voulais tout lui dire, pourquoi jamais je donnerais la mort volontairement à une personne, pourquoi je tremblais en regardant ce plafond qui se recouvrai d’ombre mouvant et oppressante, pourquoi la folie me gagnait en pensant à mes enfants en danger dans la forêt. Je ressentais au fond de moi qu’il me comprendrait mais à la place d’ouvrir mon cœur, ma voix disparut dans les tréfonds de mon corps. L’homme immense venait de se lever et de s’approcher de moi. Si je n’étais pas tendue comme un pic, mes genoux auraient lâché et je me serai effondrée en boule prête à encaisser les coups de pieds.

Le regard de glace essayait de se plonger en moi comme plus tôt, pour forcer le contact mais le mien fuyait dans tous les sens cherchant un lieu aussi loin de lui, du lit, du feu, de l’emplacement vide du coin de la chambre, de la fenêtre, de tout ce qui composait ce cauchemar.

« Ne m’approchez pas… » C’était un murmure, rien d’audible qui sortit comme une supplique quand sa grande main se leva près de mon visage. Je reniflai n’ayant même pas pris conscience que des larmes coulaient sur mes joues, elles étaient faites de colère, de tristesse, d’une part de résignation et de beaucoup de peur.

Cette main qui se rapprocha de moi, disparut de ma vision quand mes yeux se fermèrent violemment. Puis j’attendis, j’attendis un coup, j’attendis une brulure, j’attendis mais rien ne vient. Ce fut d’abord doux, puis tendre, enfin ça s’affirma, l’homme venait de poser ses doigts chauds sur ma joue. Ils caressaient mes larmes, les priant de partir. Ils déplacèrent une mèche de cheveux, la réinstallant derrière de mon oreille. Ils descendirent dans ma nuque pour détendre ma tension. Ils prirent mon menton et tout disparut devant son regard. Son regard de loup. Son regard d’homme souffrant.

Il me disait des mots qui me calmèrent, il me disait des mots qui me touchèrent. Il me disait son nom qui rendit tout réel : « Misrord. » Cela venait d’une langue que je ne parlais pas, une langue qui me parvenait trop bien. Tout provenait de rêves bien réels qui me survenaient quand je portais un enfant me reliant au passé. Ce savoir me venait de là. Ce nom me promettait tant de chose que je n’arrivais pas à comprendre.

Misrord comprit que j’étais dans un état second, en proie à l’une de ces crises d’angoisse qui me suivaient comme les ombres du plafond. D’un geste doux il me prit dans ses bras. Le silence s’était installé. Il me permettait juste de respirer, me portant pour pas que je tombe. J’entendis la porte de bois s’ouvrir, l’eau arriva. D’un grognement, Misrord fit comprendre au serviteur de se dépêcher de sortir.

Dans un mouvement brusque, ses bras vinrent soulever mes jambes et il me déposa dans le lit. Il s’éloigna et revient avec un linge, je sentais qu’il ne savait pas comment s’occuper de ce genre de crise mais je le remerciai quand le froid de l’eau se posa sur ma tête. Je m’endormis en proie à une grande inquiétude, toujours une boule au ventre mais sans craindre la haine d’un homme. Dans un dernier instant de conscience je pus l’entendre parler avec un autre géant : « Ninah, prépare-la demain, et renseigne-toi sur ce genre de crise… Je pensais enfin pouvoir me confronter à sa vraie personnalité… quelque chose la terrifie… Merci pour les senteurs… » Puis plus rien.

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