Chapitre 4 : Le brouillard de la peur

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J’entendais encore les voix tonitruantes des envahisseurs qui se disputaient la beauté d’une de mes dames. Je voulais agir mais ne pouvais pas, chaque mouvement attirait l’attention du maître sur son trône et me tétanisait par la même occasion. Je pris sur moi et priais les dieux pour qu’aucun de mes gens ne soient pas blessés ou malmenés. La musique s’accentuait dans mes oreilles et m’étourdissait. Mes yeux étaient tournés vers le sol recouvert de pailles, dans mon champ de vision se dessinaient les bottines de peau de mon maitre. Ses jambes étaient étendues et il avait croisé les chevilles comme le faisait Bruder lors des fêtes. J’eu un tic nerveux qui me fit prendre mon bras pour le serrer fort.

Ce que je ne vis pas ou que je ne voulais pas voir dans le brouillard dans laquelle j’étais, c’était que mon peuple ne se plaignait pas. Ainsi quand la musique sortit de la flûte d’un de ces démons, Maidha, une jeune fille douce et attentive, monta sur les tables pour présenter ses meilleures danses. Ce moment fut brouillé à ma mémoire et remplacé par la main large et grande de mon maître qui me priait de monter. Madaigh me rejoignit à l’instant et m’aida à me relever. Elle salua le nouveau roi et me prit par le bras, ce qui me fis pousser un gémissement. Elle me tirait plus que je la suivais, on monta rapidement les marches, et je me retrouvais dans le couloir comme si je sortais d’un long songe.

« Madame, voilà un temps que je vous regarde. Vos blessures vous font-elles mal ? »

Je la regardais étrange, comme si la souffrance des blessures d’un mort pouvait plus me blesser qu’une union avec un démon. Pourtant pour ne pas l’inquiéter et impliquer mon peuple, je hochai de la tête et lui fit signe de continuer à marcher. J’avais l’impression d’être sur le chemin du pilori. Les pierres se refermaient sur moi et l’obscurité qui grandissait me remplissait d’angoisse.

« Madame ? » Le son de la voix de ma dame me sortit de mon angoisse. « J’ai entendu le nouveau chef parler avec un de ses hommes, il a ordonné que personne ne touche aux humains. »

Je m’arrêtais surprise. Même en ordonnant que personne ne touche aux prisonniers après un raft, Bruder et ses hommes ne se gênaient pas de violer femmes et hommes avant de les réduire à notre service. Elle me regardait en me prenant les mains.

« Ma Dame, il est sûr qu’il n’est pas mieux que Mon seigneur Bruder mais peut être aura-t-il de la considération envers nous. »

Je rendis son étreinte à Madaigh et essayait de sourire, je voulais la rassurer : « Qu’importe, je m’assurerais que jamais vous ne souffriez des erreurs de mon mari. »

En remerciement de ma parole, elle m’embrassa le dessus de mes mains. « Vous avez un cœur pur et je suis sûre que nous trouverons une solution pour nos princes.

— Merci. » Je retiens difficilement un hoquet de sanglot, ces changements d’émotions m’épuisaient mais je sentais que la soirée n’était pas terminée.

Il entra dans la chambre, j’étais habillé d’une robe de nuit blanche qui m’avait servi le jour de mon mariage. Je l’avais gardée soigneusement emballée dans mon coffre pour un jour de bonheur qui n’était jamais venu.

En le regardant, je ne savais pas s’il avait assez bu pour m’oublier et partir tout de suite se coucher. Je le vis s’avancer vers moi sans tituber et prendre mon menton entre ses gros doigts. Il plongea ses yeux en moi et sa voix profonde me fit retenir mon souffle.

« Vous vous êtes apprêtée. Était-ce de votre initiative ? »

Je me retirais violemment de sa prise, offusquée.

« Je sais connaitre mon rôle quand on m’en donne un. Je suis là pour votre plaisir je l’ai bien compris. Je saurais vous combler car je suis soumise à vos ordres. »

Je reculais et lui ne bougeait pas, il savait que je ne fuirais pas.

« Si mes soins ne vous plaisent pas…

— Si vous suivez mes ordres, vous mettrez vous à genoux pour me satisfaire ? » Je sentis la colère monter en moi, je comprenais le sous-entendu malsain qu’il avait osé proférer. « Seigneur ?! Comment…

— Je ne fais qu’illustrer votre idiotie. »

Il se rapprochait de moi pour me prendre fermement par la taille. Mes blessures s’en plaignirent et je poussais un cri de douleur. L’homme fronça les sourcils et me retourna. Il s’apprêtait à prendre les rebords de la robe pour les arracher et je lui en dissuadais en criant de nouveau.

« Ce n’est qu’une robe.

— C’est ma robe de noce ! »

Un grognement animal sortit de nouveau de sa bouche mais il ne dit rien et se recula pour me laisser enlever le vêtement. Mes épaules normalement blanches se dévoilèrent, elles étaient colorées de bleu qui variaient entre jaune et mauves. Au fur et à mesure que le tissu descendait de mon corps et que mon angoisse montait dans ma gorge, le visage de l’homme se fermait. J’arrêtais mon geste quand le haut se posa sur mes hanches. Le long de mon flan droit, une longue traînée colorait mon ventre et ma poitrine.

« Voulez-vous rajouter de la couleur sur ma peau. Elle est toute à vous.

— Cessez de dire des âneries, je ne blesse que pas nécessité. Qui vous a violentée de la sorte ? Ce ne peut être un de mes hommes.

— Vous semblez sur de vous ! Peut-être que vos manières barbares vous sont méconnues. » Malgré ma condition peu honorable face à mon accoutrement, j’essayais de garder la tête haute et de faire profil bas. Je me retenais de cacher ma poitrine à ce regard pesant qui évaluait mes blessures.

Il reprit la parole d’une voix caverneuse tout en s’avançant pour essayer de me palper la peau, je lui en dissuadais d’une tape sur la main. Tout cela n’eut aucune incidence sur son discours : « Vous semblez supposer que mes hommes ou en tout cas l’un d’entre eux vous ai blessé. Pourtant chacun a reçu un ordre contraire, aucun Humain… » Il appuya bien sur ce mot comme si lui-même n’en était pas un. « Ne devait être touché, forcé, malmené. Je connais leur valeur, ils ont été choisis pour cela. Ils sont loyaux, justes et bons. Jamais ils n’auraient outrepassé un ordre direct. Mais soit, cela ne peut justifier un écart de conduite. »

Il se justifiait pour rien, nous savions tous deux que ses hommes n’avaient pas pu lever la main sur moi. Je suis restée enfermée des heures dans cette chambre remplie de cauchemars et seule Phira, la grande femme, m’avait vue et avait soigné mes blessures avant de me conduire aux pieds de mon nouveau maitre. Il jouait avec moi pour voir jusqu’où iraient mes accusations, je le soupçonnais même de savoir qui était l’auteur de ces bleus. Mon indifférence face à la tête décapitée de Bruder avait dû l’intriguer.

Je le défiais du regard ne voulant rien dire pour arrêter sa conversation. J’espérais faire passer le temps que le vin fasse son effet et qu’il s’effondre. Rêve vain, il n’était pas soûl et semblait décider à me faire parler : « Ainsi, je peux constater que vos blessures sont vieilles. Leur couleur est significative alors ce ne peut être que l’un des vôtres. Dites-moi qui, que je le punisse et lui face comprendre ma puissance en ces lieux. »

Un rire sarcastique assombrit mon esprit pourtant je restais stoïque. D’une voix froide et distante, je lui répondis : « Mon roi ne vous donnez pas cette peine. Ses yeux sont déjà dévorés par les corbeaux. Mais au moins puissiez-vous m’aider. J’ai vu Wighlem, un valet, dans la salle. Il est le seul au courant de ces violences. Bruder avait toute confiance en lui. Wighlem aimait servir de défouloir plus que moi surement. »

L’ennemi me regarda avec surprise que ce soit pour mes allusions crues ou mes remarques cinglantes et mon ton hautain. Il ne s’attendait pas à m’entendre parler de la sorte. Il chercha cependant à se reprendre resserrant les poings et reprenant le fil de ses questions : « Qu’entendez-vous par « défouloir » exactement ? Ce « soldat » n’avait pas l’air de souffrir de blessures comme vous depuis mon arrivé. » Apprendre qu’il connaissait ma condition de santé me fit retenir ma respiration. « Je dirais même qu’il suppliait d’épargner son maître quand son cou se trouvait sous la lame de mon épée. » Cette remarque me fit sourire, je n’étais guère étonnée de l’apprendre. Ce jeune homme roux et rusé comme un renard avait réussi à glisser dans les mailles glaciales du filet de Bruder. Il n’avait que 15 ans quand il était arrivé à la Cour et pourtant il semblait déjà y connaitre tous les rouages. Il n’avait pas tardé à me prendre le peu qui me restait de sentiment humain de notre roi, se délectant à me soigner et voir la haine que je détournais de lui.

Je ne me formaliserais pas si sa tête rejoignait son cher et tendre. A cet instant je me sentais impure et méchante. Je découvrais que j’avais passé tellement de temps à vouloir être libre que les victimes de mes souhaits ne respectaient plus mes valeurs. Ce qui m’effrayait le plus, c’était que je n’y attachais aucune importance alors gardant ce ton ironique, je poursuivis mon discours sarcastique : « Mon mari était une brute au lit, du moins avec moi puisque chaque personne ayant témoigné de son plaisir — et les dieux savent le nombre d’enfants qu’il a pu en découler — me le décrivait très tendre dans la paillasse du petit personnel et en particulier celui de cet homme. Voyez-le comme un moyen de se détendre sans penser aux conséquences sur l’héritage. Wighlem le vénérait car il avait toute l’attention de son roi. Il lui était plaisant de me savoir souffrante de sa main et de recevoir les mêmes privilèges que ceux d’une épouse. C’était d’un ridicule pour un homme de son rang, il ne connaissait pas sa limite. »

Un grognement de colère sortit des tréfonds de la gorge de mon interlocuteur, il se rapprocha de moi à une vitesse fulgurante pour me coller aux pierres froides du mur. Son visage se rapprocha du mien et son souffle bouillant effleura mes joues comme si du feu sortait d’entre ses lèvres. Mon rythme cardiaque s’accéléra, la distance entre nous avait brisé tous les murs que j’avais formés pour lui tenir tête. Je redevenais la fille tremblante de peur à l’idée de recevoir un coup. Quand serai-je sereine ? Quand ne souffrirai-je plus de mes cauchemars passés ? Je savais ces jours aussi inaccessibles que mes rêves les plus paisibles.

Revenant à moi après cet accès de panique, j’essayais de fixer un point derrière l’épaule massive du seigneur pour ne pas me confronter à ses yeux de glace. Ça lui importait peu que je le regarde, ses paroles arrivaient quand même à me toucher : « Comment pouvez-vous nous traiter de barbare quand votre seigneur est à ce point infect ? » Son ton était froid mais je me permis de défendre mon peuple d’une petite voix, mes yeux fuyants, mon corps recroquevillé : « Nous ne sommes pas tous comme ça. Croyez-le, mais lui plus qu’un autre n’aimait pas être contredit. Ses serviteurs se devaient de suivre ses ordres. »

Je sentais son regard sur moi me sonder comme s’il cherchait une réponse pour justifier notre comportement. Comme un prédateur pour amadouer sa proie, je sentis son attitude changer. Il se rapprocha encore plus de moi réduisant mon champ de vision à son épaule. Son corps se détendit et s’affaissa comme s’il perdait. Son doigt grand et gros se posa sur ma mâchoire, j’aurai aimé faire un mouvement de recul mais tout mon corps semblait figé, suspendu à ses mouvements.

« Pourquoi ne me regardez-vous pas ? » Je retiens mon mouvement de surprise pour ne pas risquer de le regarder mais comme par envoutement je me sentis obligé de répondre d’une voix faible et timide : « J’ai peur, vous sentez l’alcool. »

Ses sourcils se froncèrent et il tenta de tourner ma tête.

« Je ne suis pas ivre. Vous n’avez pas à vous inquiéter. Regardez-moi. »

Mue par ce même envoutement, mon regard se plongea dans les yeux bleus de l’ennemi. Ils avaient un aspect magnétique. Leur couleur froide, le cercle noir autour de ses iris qui mangeaient tout le blanc de ses yeux, leur pupille profonde dont les bords ne semblaient pas nets et se fondaient comme de l’encre dans de l’eau. On aurait dit des yeux de loup, comme celui que j’avais croisé à la chasse après mon mariage. Mais alors que je m’abandonnais à son regard, il se recula et s’éloigna vers la porte me laissant pantelante, frigorifiée par le froid sur mon torse nue et cette peur parasite qui ne cessait de m’envahir.

Le géant se retourna et ouvrit la porte. Derrière celle-ci se tenait l’autre envahisseur qui lui ressemblait.

« Va chercher Wighlem ? Dis-lui qu’il sera à mon service et qu’il devra soigner les bleues de ma dame jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Après, il rejoindra son maitre, il est un danger pour la stabilité du peuple humain.

— Pourquoi ne pas s’en débarrasser directement. Ninah est surement plus compétente.

— Non j’ai des choses à lui faire comprendre. » Sur ce, il referma la porte et se dirigea vers le coffre pour se changer. Je restais indécise jusqu’à l’arrivée du serviteur.

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