Chapitre 2 : La rencontre de deux monarques

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Je dénigrai la tête de mon mari pour regarder l’homme. Il était beaucoup plus grand et corpulent que nos guerriers les plus entrainés. Même la porte semblait trop petite pour le laisser passer. Il s’avança dans la pièce et jeta un regard circulaire à celle-ci. Puis il marcha vers le lit comme si je n’existais pas et y jeta son épée remplie de sang.

Je ne savais pas comment réagir. Peut-être ne parlait-il pas notre langue comme ces étrangers venant du sud ? Ou ne parlait-il pas ? Son grondement profond me revient en mémoire, il me rappelait celui du loup face auquel je m’étais retrouvée lors d’une chasse avec mon père. Je n’osais pas me retourner mais j’entendais derrière moi qu’il enlevait son armure.

La peur remontait en moi prenant possession de chacun de mes organes, les dernières heures envahissaient mon esprit et je devais prendre sur moi pour ne pas bouger. Ma respiration s’accéléra et je tendis l’oreille. Je pensai qu’il se rapprochait de moi mais à la dernière minute quand son ombre me recouvrit, un autre envahisseur apparut à la porte. Il me regarda brièvement puis reporta son attention sur l’homme dans mon dos. Sa voix retentit soudain dans la pièce et je fus étonné de comprendre tous les mots qui sortirent de sa bouche : « Tous les serviteurs sont rassemblés dans le hall, il n’y a personne dans le reste des pièces du palais. Pas d’enfants. On a tout bien vérifié. » Je soufflais intérieurement en me disant qu’ils n’avaient pas trouver Aonghus mais j’essayais de garde le visage le plus neutre qu’il soit.

Soudain, le colosse passa devant moi et rejoignit son homme de main qui lui ressemblait fort. Ils semblèrent s’accorder sur quelque chose, l’homme qui venait d’arriver repartit en hurlant des bruits de loup qui m’effrayèrent. Je priais qu’ils ne puissent jamais retrouver mes enfants et qu’ils aient la décence de me laisser en vie. Le colosse se retourna et me lança un regard presque vide. Puis avec une vitesse déconcertante, il se retrouva devant moi, mon menton entre ses doigts. Il m’observa, me détailla. Je sentais son regard sonder mes yeux à la recherche de mes pires secrets.

Au bout d’un moment charger en tension, j’entendis enfin sa voix. Elle était plus profonde que celle de l’autre envahisseur, plus froide, plus majestueuse. Sa tonalité était si forte qu’elle pouvait obliger n’importe qui à se plier à ses ordres. Un long frisson me parcourut et je ne sus dire quelle émotion le provoquait en moi car dans le mélange bleu de ses yeux je voyais une pointe de souffrance que je comprenais. « La mort de ton mari te désole-t-elle ou ton cœur est-il aussi froid que lui ?

— Je n’ai pas à vouloir la mort d’une âme fière, comme l’était mon mari au combat. » Cette réponse n’était que simple formalité, qu’il soit vaillant, preux ou lâche seul l’image de sa tête à mes pieds m’importunait. Une idée s’imposa à mon esprit, je venais de perdre un tyran pour un autre. Elle me donnait envie de parfaire mon sens de l’ironie, celui qu’une personne avait au bord d’une crise de nerf.

« Il a toujours su se battre avec honneur pour protéger son peuple. » Je dis ces mots dans l’intonation de la femme sûre d’elle, gâtée, et maitresse de son fief, la tête haute, les épaules droites. Ce que je n’étais pas.

Pourtant mon assurance flancha en entendant la réponse de mon interlocuteur : « Je ne l’ai pas trouvé vaillant. Il a jeté des chiens aux trousses des déserteurs en espérant nous impressionner. Il ne voulait que protéger son honneur, que son peuple meurt il n’en avait rien à faire. Trouves-tu ça fière pour une âme ? »

Je ne savais que répondre car au-delà de sa remarque, qu’il pensait poignardante pour une femme qui découvre que son mari est couard, je le savais déjà depuis longtemps. J’espérais juste me remplir d’illusions comme mon corps s’était rempli de couleur avec le temps. Je ne perdis néanmoins pas mon assurance et attendit la suite de son discours, la question était évidemment rhétorique. « Malgré ce roi peu méritant, ses hommes se sont montrés hargneux et dignes de nous combattre. Vous serez peut-être satisfaite de découvrir que je leur donne droit à la vie s’ils me prêtent serment. Et sachez que j’en ferai pareil de vos serviteurs si vous vous soumettez. »

Il faisait donc preuve d’un semblant de diplomatie, se refrénant de tous nous massacrer et de piller nos biens, pourtant le prix était l’humiliation et je savais mes hommes rustres, prompts à se rebeller contre pareil outrage. Ainsi, réfléchissant aux différentes possibilités, je décidai de m’engager sur le terrain religieux. « Je prêterais allégeance seule, cela suffira. Mes hommes sont justes et loyaux seulement envers les lois ancestrales qu’ils vénèrent plus que tout. Ils me suivront car tel est leur code de vie car tel est mon pouvoir. Croyez-moi, il leur sera plus simple de l’accepter. Ils disaient que j’étais faible devant mon défunt mari, ils ne le penseront pas devant vous, j’ai su montrer ma vaillance quand mon mari partait en chasse ou guerroyait. »

Il semblait me croire, je ne mentais pas mais à force de critiques et de rabaissement, mon pouvoir était-il encore présent ? Reprenant ma respiration, je repris ma réclamation. « Ainsi sous serment, je vous lèguerai légitimement mon fief au nom de son seigneur mais je réfrénerais aussi les tentatives guerrières de nos alliés. Je ne conteste pas votre force, je vois sa puissance à mes pieds mais Paix sonne mieux que Guerre par chez nous, vous serez tranquilles sous ma garde. Je demande seulement une chose en échange : Je vous en prie ne persécutez pas mon peuple, il ne fait que vivre où il peut et ne touchez pas aux enfants que j’ai porté. » L’homme sembla médité, il s’éloigna de moi, ne plus sentir son regard dans le mien ni son souffle sur mon front me rassura un tant soit peu. Je le laissai réfléchir, ne brusquant pas ses idées.

Soudain, il se retourna et me toisa de son regard. Il me dit de sa voix profonde : « Alors où sont les autres enfants que tu as portés de lui ? » Il désigna la tête avec indifférence. « Eux, je ne peux malheureusement pas les laisser saufs. »

La surprise me prit le ventre, retournant mon estomac. Si je n’étais pas en alerte à l’instant, il y a longtemps que je laisserai mon corps à la faiblesse. Mes cris de détresse en pensant à mes enfants, fuyant dans la forêt avec le soldat, ne sortirent pas, l’homme continua sans aucune empathie. « Je sais que tu en as eu avant, des habits d’enfants ont été retrouvés, la question est où sont-ils ? Et je pense que toi seule sait répondre. Ou alors je lancerais la chasse.

— Pitié, les dieux vous aiment s’ils vous donnent la raison pour ne pas leur faire de mal. Ils ne sont plus ici et je ne sais pas où mon mari s’est chargé de leur protection. Mais si par malheur vous les retrouvez, laissez-les. Ils sont jeunes, ils écoutent et savent reconnaitre leur souverain et leur maitre. Je ne peux imaginer les voir disparaitre. »

Je suppliais, sans me mettre à genoux, mon visage était assez expressif pour lui faire de la peine pourtant tout fut vain, l’homme s’en allait vers la porte et me dit dans l’encadrement de celle-ci : « Votre peuple vivra car votre bonté vous à fait penser à lui avant votre personne mais la rébellion causée par un enfant est un risque trop grand pour être pris en pitié. Ils seront traqués, trouvés et tués sous mes ordres. »

Avant de fermer, il laissa rentrer un serviteur que je connaissais bien car étant orphelin, je l’avais pris sous mon aile comme tous ceux de son extraction. Il ne dit rien, ne leva pas la tête, courut presque ramasser la tête du roi puis il sortit en passant sous le bras du monstre. La bête ne me jeta pas un regard et referma la porte, m’emprisonnant de nouveau dans la chambre.

A mes cauchemars déjà présents s’ajoutaient mes craintes les plus profondes. En parlant de mes enfants, j’avais causé leur perte mais aussi la mienne car pour mon peuple, j’avais promis le serment de rester en vie. Je vivrais à jamais entourée de corps, de démon et de fantômes. Je m’effondrai en larme, en proie à la plus terrible douleur, je ne pouvais plus me montrer digne, j’avais perdu.

Quand je n’eus plus rien pour pleurer, je gémissais en silence, je m’étais mise dans le coin de la pièce, contre le mur froid en pierre. Mes mains étaient accrochées à la paroi inégale et granuleuse. J’y enfonçais mes doigts pour y voir apparaitre du sang à leurs bouts déjà malmenés par mon stress et mon anxiété. La nuit dehors était tombée, plus aucune lumière ne passaient par le carreau. Le feu aussi était mort, laissant se faufiler le froid des courants d’air jusqu’à moi. Ma peine était grande mais elle ne m’importait plus. Des gens de l’extérieur pourraient me croire folle, je l’étais sûrement mais je m’efforçais de rester lucide pour oublier et avoir un fil de pensées claires. J’espérais trouver un moyen de sauver mes enfants.

Soudain, la porte se rouvrit de nouveau dans un claquement, je m’attendais à voir mon geôlier apparaître, à la place une femme d’âge mûre marcha à grand pas vers moi. Elle s’accroupit et me fixa, l’intensité de son regard ambré ne me fit même pas réagir tellement mon esprit était ailleurs. Dans un geste d’une grande tendresse, elle entreprit de décrocher mes mains du mur.

En regardant de plus près mes blessures, elle souffla et dit doucement, d’une voix étonnamment apaisante mais forte et autoritaire : « Notre Alpha à bien fait de t’enfermer, c’est notre manière de contrôler nos otages. Mais sache que je n’aime pas qu’ils souffrent, vous avez beaucoup de valeurs. J’ai accouru en sentant l’odeur de sang. »

Elle se leva, mon regard suivit ses déplacements souples et gracieux. Elle semblait ne pas toucher le sol, les brins de paille ne bougeaient pas quand sa chausse les écrasait. Elle prit la cruche qui se trouvait sur la commode ainsi qu’un torchon et revient vers moi. Je devinais ce qu’elle comptait faire et je n’avais pas besoin que l’on me soigne, je voulais sentir encore un peu la douleur que je méritais. Mes mains étaient serrées contre ma poitrine et je ne voulais pas les déloger.

La femme fronça les sourcils et dans un geste qu’elle n’aurait assurément pas voulu violent, elle me les prit durement et ramena mes mains vers elle. Je voulu cracher de mépris mais quand l’eau froide passa sur mes plaies, un hoquet de surprise me bloqua la gorge. De l’eau rosée coula sur le sol et fit disparaitre le surplus de sang de mes mains. Ensuite dans une délicatesse surprenante, elle frotta un à un le bout de mes doigts. Je la regardais, comme une enfant regardait sa mère ou sa nourrisse s’occuper de lui. J’avais l’impression de voir devant moi une personne de grand âge, animée d’un savoir lointain et intouchable.

Quand elle eut fini sa délicate activité, elle sortit de sa poche une série de bandelette qu’elle m’enroula autour de mes phalanges. Quand se fut fait, sachant que je ne me lèverai pas seule, elle prit mes deux bras et me mit sur mes jambes. Les heures recroquevillée sur moi-même ne m’aidèrent pas, je me serais étalée si les bras puissants ne me maintenaient pas. « Je t'emmène à la grande salle, on fête, en ce soir de pleine lune, l’ascension d’un nouveau chef. » Sa voix me transperça et je retiens mon souffle.

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