Chapitre 1 : La chute de la couronne

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Lana, Nord de l’écosse - 93,

« Votre majesté, les portes de la ville ont cédé. Beaucoup de soldats sont blessés, capturés ou tués, les troupes sont affaiblies et elles ne tiendront pas le siège du rempart intérieur. Il nous faut vous protéger. Nous avons envoyé un message à votre frère. »

Bruder Heartmord leva la main pour demander le calme. Devant lui la carte de son territoire était recouverte de pions rouges et noirs, ces derniers étaient plus nombreux et entouraient maintenant la forme représentant la ville. La salle demeura plongée dans un silence de plomb pour le laisser se concentrer.

Soudain, il bougea une figurine. Ce geste résonna dans toute la pièce à la fois par son bruit mais aussi pour sa signification. Elle représentait une épée lame vers le haut sortant d’une couronne. Le roi se mêlerait au combat, jusqu’à la mort pour ses sujets. « J’irai voir l’envahisseur. S’il prend ma ville, je dois lui montrer que je ne me laisserai pas faire. » Sa voix était profonde et se répercutait sur les murs en pierre.

« Mon roi ! C’est absurde, l’ennemi n’a pas mis trois jours pour piller tous nos champs et nos campagnes. Il vaut mieux protéger nos défenses ainsi que votre tête. Nous avons assez de provisions pour tenir le siège dans la forteresse. Sans vous nous pourrons contre-attaquer après l’invasion.

— Ne contestez pas mes ordres ! Sous-entendez-vous que je serais incapable de défendre le fort. Pensez plutôt à protéger votre reine, s’il lui arrivait quelque chose, les renforts de Son frère ne viendront jamais. Si je suis lâche, mon peuple ne me suivra plus, il est de mon devoir de combattre et de satisfaire l’honneur de mes ancêtres. J’ai protégé mes terres… »

Je m’écartais des portes entrebâillées, la situation était aussi critique que le laissaient sous-entendre les cris dehors. Je serrai dans mes doigts crispés l’étoffe de ma robe en laine. Ma poitrine se soulevait, douloureuse, quand les bleus sur mon corps se pressaient contre mon corset. Ma respiration était rapide et mon coeur battait fort contre mes côtes.

Alors que je m’apprêtais à partir, les battants de chêne par lesquelles j’espionnais le conseil, s’ouvrirent. La réunion n’était pas finie mais un serviteur en sortit.

« Ma reine. » Il fit une profonde révérence, un peu surpris de me trouver là. « Vous avez pour ordre de vous rendre dans les appartements du roi. Il vous rejoindra avant de partir. Vos enfants seront pris en charge par des gardes. » Puis il partit sans me laisser l’interroger sur la suite des évènements politiques. Baissant la tête, me soumettant aux ordres de mon époux, j’obéis. Je savais qu’il m’avait vu dans l’entrebâillement de la porte. Quand il avait parlé de protéger la reine, son regard noir avait glisser sur moi.

Je traversais les longs couloirs froids jusqu’aux appartements du roi. J’inspirais avec difficulté, l’angoisse me prenant au ventre. Je posais ma main sur la poignée aussi glacée que l’air qui m’entourait. Je savais qu’il était inutile de ne pas faire de bruit mais par habitude, je ne voulais pas importuner le maître des lieux. Le mécanisme s’enclencha, laissant entendre un bruit étouffé et la porte en chêne glissa sur le sol sans un bruit. La pièce était chauffée, on entendait le feu crépiter dans l’âtre. J’avançai, un pied puis l’autre timide, craignant le lieu. Le contraste entre le couloir et la chambre me fit suffoquer et avec cette chaleur, coulaient sur moi tous les souvenirs que me rappelait cette pièce.

Je me rongeais le bout des doigts pour me donner contenance et rentrais marchant droit vers le centre de la pièce à égale distance du feu, du lit et de la fenêtre pour qu’aucun de ces éléments ne soit plus proche de moi. Pour éviter de regarder ces images d’horreur, je concentrais mon regard sur la paille à mes pieds. Le sol de pierre en était recouvert pour garder la chaleur et aux vues de sa couleur et de son aspect, elle fut remplacée il y a peu. Mes yeux se perdirent dans la contemplation des brins.

J’étais plongée dans un silence peu rassurant, de courtes durées et pesant de cauchemars. La tempête allait surgir, faire claquer les portes, ramenant la peur avec elle. Je sortis de ma torpeur quand le vent du couloir fouetta mon dos.

« Abrutis ! Ce ne sont que des abrutis ! Faiblards ! Tout juste bon à rejoindre le sein de leur mère. » La porte claqua en accord avec la voix qui grondait. « Des lâches indignes du clan Heartmord. Wighlem, demain je veux les voir prêts à m’accompagner même s’ils tremblent de peur. Ceux qui fuiront seront poursuivis par les chiens. Ça remontera le moral des troupes. Laisse-nous. » Le serviteur ne dit rien sachant cela inutile et referma la porte sans un bruit. Il me laissa ainsi, seule, avec la bête, il savait ce qui s’abattrait sur moi. Un sourire satisfait étirait ses lèvres avant que le battant en bois ne le cache à ma vue.

Je pris une inspiration discrète. J’espérais pouvoir anticiper le moment où taperait son poing. Rares étaient les fois où il avait de la considération pour moi. Face à la mort que deviendrait-il ? Le mari qu’il m’avait promis d’être ? Il en fut tout autre, à la place sa main s’abattit sur ma joue, je m’effondrais sur le sol, ma pommette brulante, la respiration coupée, la peur au ventre, tournée vers le lit.

Ce fut de longues minutes de douleur, où s’enchainaient coups et abus. Mon corps comme mon esprit étaient meurtri au plus profond, l’envie de partir investit mes pensées. Après 13 ans d’union, notre relation m’avait détruite à petit feu. Allongée sur le lit, je ne bougeais pas, je ne pouvais pas. Mon mari se rhabillait sur le bord du matelas sans un regard. Il ne s’intéressait pas à moi, il aurait préféré me voir morte autant que je le désirais pour lui.

Il se leva avec des mouvements secs et vifs, il prit son épée, son plastron, son étoffe de guerre et sortit de la chambre. Derrière lui, j’entendis le loquet de fermeture. Me relevant brusquement, je gémis de douleur, j’essayais d’atteindre la porte avec toute la force qui me restait. La poignée était froide, autant que le poignard qui s’enfonçait dans ma poitrine et qui insufflait en moi son venin d’angoisse. Mes jambes affaiblies par l’heure de violences que je venais de vivre, se dérobèrent. Mes genoux se fracassèrent sur le sol rempli de paille, la douleur qui se répandit dans mon corps se rajoutait à celle de mes bleus et de mes coupures. De toutes les choses qu’il puisse me faire, m’enfermer dans ces appartements était la pire car sans cesse je me rappelais ce qui m’était arrivé. J’en devenais folle attendant que la porte se rouvre et me sorte de là, de mes cauchemars.

Je ne savais pas le temps que je passai à m’arracher les cheveux, gémissant, tremblant, criant quand une main se posa sur mon épaule. Ce geste me sortit de ma détresse, devant moi se tenait Aonghus, un homme de main de Bruder. Il me jeta le couvre lit en peau de mouton pour me couvrir et m’aida à me relever. Je tanguai en me levant, il me prit par le coude, me dirigeant vers la porte dérobée qui s’ouvrait de l’extérieur et qui menait aux cuisines.

« Ma dame. » Il semblait pressé et en alerte. « Une charrette a été préparée pour vous permettre de quitter la ville. Vos enfants ne sont pas encore prévenus, ils se trouvent beaucoup plus loin dans la forteresse. »

A l’évocation de mes enfants, je fus enfin moi-même. J’ai eu l’habitude de devoir cacher mes brulures et paraître entièrement diplomate. Serrant la manche du soldat entre mon poing, je me redressai. « Non je ne bougerai pas d’ici tant que mes enfants ne seront pas en sécurité, voir sortir une charrette de la forteresse est suspect. C’est trop dangereux. Je n’ai pas la force de vous suivre à pied mais mes enfants sont jeunes et peuvent être plus facilement cachés. Allez les voir et faites-les sortir par l’arrière, par la porte qui donne directement sur le bois. Auloysius y joue régulièrement. Vous savez jouer avec les enfants ? Ils ne doivent pas savoir ce qui leur arrive. Protégez-les. »

Je reprenais mon souffle et marchais vers mes vêtements éparpillés au sol. « Faites aussi appeler une femme de chambre pour qu’elle m’habille. Je resterais pour maintenir une certaine diplomatie avec l’ennemi. Puisque je ne peux faire que cela.

— Il n’y a pas de diplomatie à avoir avec ces bêtes.

— S’ils n’en ont pas, je dois au moins le faire pour le peuple. J’ai de la valeur en tant que femme du chef. Ne protestez pas je sais que cela me conduit à ma mort, vous connaissez mes projets. Amenez mes enfants sains et saufs à mon frère c’est tout ce que je vous demande. Si un message vous parvient, c’est que j’ai ramené la paix. »

Je le poussais vers le panneau de bois, caché derrière la tenture. Le suppliant de suivre mes ordres, moi la dernière autorité de ce lieu. « Dites-leur que je les aime. » Sur ces derniers mots, le battant se referma. Il se rouvrit une dizaine de minutes après pour faire entrer Madaigh, ma femme de chambre et nourrisse. Elle présenta avec empressement les étoffes que je devais porter. Je les mettais avec des gestes lents. Chaque mouvement faisait naitre en moi une douleur sourde.

Cependant, je fus prête rapidement, le temps pressait, la femme tremblait et pleurait de peur. Ses mains n’arrivaient pas à tresser mes cheveux, je lui demandai alors d’abandonner et de les brosser pour qu'ils soient présentables même lâchés. J'avais dans l'idée de descendre dans la grande salle, mais j'entendais déjà les cris parvenir depuis le couloir. Notre seule issus n'était plus que la porte dérobée de ma chambre.

Réfléchissant longtemps à ma présentation, je recommandai à Madaigh de sortir et de se réfugier là où l’envahisseur ne lui feraient pas de mal. Elle fut retissante mais bien vite elle accepta quand dans le couloir, résonnèrent les pas lourds d’un soldat. A toutes jambes, elle passa la planche dérobée qu’elle referma pour qu’elle devienne invisible sous la toile de laine. Un instant après, la porte se fracassa. Dans l’encadrement, un homme grand de deux mètres au moins se tenait une épée ensanglantée dans sa main gauche, la tête de Bruder dans l’autre. Du sang maculait son torse, il portait des vêtements barbares bien différent des nôtres.

Mon corps peinait à rester debout, cachant du mieux qu'il put sa faiblesse. Le dégout montait en moi. Je manquai de vomir, terrassée par le regard de l'intrus comme par la tête qu'il fit rouler à mes pieds. Un grondement d’animal sortit de sa bouche. Je ne savais pas ce qu’il signifiait mais ma peur des hommes offrait à mon esprit de nombreuses images d'horreur.

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