2. Exécution

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Khamsin avait quitté la prison quelques heures avant l’aube. Il avait cependant proposé maintes fois à la jeune femme un plan d'évasion. Laureley, impassible, avait refusé. Elle partagerait le sort de ses hommes. Même à l'approche de la mort, elle restait digne. Aux premières lueurs du jour, un groupe lourdement armé vint la chercher. Les mines des soldats étaient sombres et quelques-uns lui firent la même proposition que le prince. À croire que personne dans cette cité, hormis Astyanax, ne souhaitait la voir mourir aujourd’hui. Le cortège déboucha sur une immense place, d’ordinaire joyeuse et animée. Il y régnait un singulier silence malgré la foule qui se pressait là. Même le ciel semblait étrangement maussade. Un échafaud avait été dressé devant eux avec, à sa droite, une loge pour les hauts dignitaires. Le sultan n’aurait manqué ce spectacle pour rien au monde. Il trépignait d’excitation dans son fauteuil trop étroit. En réalité, peu de sofas auraient pu accueillir dignement son imposante prestance. Il arborait un habit richement décoré qui avait dû nécessiter des mètres de tissus. Son visage était bouffi, de maigres cheveux épars se cachaient sous un immense turban et ses petits yeux porcins profondément enfoncés dans ses orbites contemplaient la condamnée avec amusement.

  • Pas de phrase spirituelle ce matin, ma chère ? railla-t-il. Profitez-en, ce sera la dernière.

Laureley le toisa d’un air hautain. Comment avait-elle pu soutenir ce monstre ? Tout en gardant sa prestance, elle demanda :

  • Monseigneur, permettez-moi de formuler une ultime volonté. J’aimerais vous confier quelque chose. À vous et à vous seul.

Astyanax hésita un instant, mais finit par accepter d’un haussement d’épaules. Toujours encadrée par quelques gardes, par mesure de sécurité, la jeune femme s’approcha de la loge du sultan. Elle se pencha alors vers ce corps disgracieux pour lui murmurer :

  • Vous êtes un effroyable connard.

Et avant que quiconque ne puisse réagir, elle écrasa son poing dans la face du dirigeant avant d’être trainée de force vers l’échafaud. Elle ne cessa de se débattre qu’une fois arrivée au pied de l’estrade dressée pour elle. Elle gravit les marches avec détermination puis s’autorisa à détailler le monde qui se pressait là. Contrairement au sultan qui baignait dans sa propre graisse, le peuple avait faim. Il ne faudrait pas longtemps avant qu’il se révolte à nouveau, mais cette fois-ci, le général obéirait aux ordres et décimerait la foule en colère. Un prétentieux avait pris sa place, il trônait aux côtés du prince, affichant un faciès aussi arrogant que triomphant. En réalité, dans cette loge, il n’y avait que Khamsin qui paraissait affligé.

***

La main du bourreau sur son épaule sortit Laureley de sa rêverie. L’heure était venue. Elle s’agenouilla docilement au centre de l’estrade et attendit stoïquement la fin… Mais cette dernière n’arriva pas. Le ciel se couvrit soudain, un gigantesque nuage rougeâtre dévora un soleil déjà peu présent. Tous les yeux se levèrent vers ce spectacle inhabituel jusqu’à ce qu’un cri déchire le silence. Une main décharnée venait de s’extirper du sol et avait saisi la cheville d’un pauvre hère. Des centaines de cadavres putréfiés revenaient à la vie et attaquaient la foule. Une peur panique s’empara bientôt de toute la place, les gens fuyaient, hurlaient, couraient se mettre à l’abri. C’est alors que le maître de ces créatures apparut dans un éclair : un colosse engoncé dans une impressionnante armure de plates. Un heaume rutilant masquait son visage, mais il était reconnaissable entre tous : Alastor, le premier gardien des enfers, le sbire de la déesse Alyth. Laureley sentit son pouls s’accélérer tandis que la menace s’avançait délibérément vers la loge du sultan. Elle se moquait à présent du sort d’Astyanax ou de son nouveau général. Une seule vie lui importait : celle de Khamsin.

Elle fouilla du regard les alentours et porta son attention sur l’épée que le bourreau avait à la taille. Elle s’en empara avec une dextérité impressionnante et sauta de l’estrade pour fondre sur Alastor. C’est comme ça qu’un haut gradé militaire devait agir, pas se recroqueviller en pleurnichant sur son siège comme le faisait son successeur. Dans une glissade savamment calculée, la jeune femme se plaça entre le monstre et la loge, la lame au clair ; prête à se battre. Alastor interrompit alors sa route. Il avisa cet élément perturbateur un instant puis répondit à sa menace. Il tira du fourreau une gigantesque épée à deux mains et l’abattit sur son adversaire avec une force phénoménale. Laureley ne sut par quel miracle elle parvint à bloquer le coup du colosse. Ses bras tremblaient sous l’effort et elle dut mettre un genou au sol sous la puissance de l’impact. Le gardien relâcha brusquement la pression et recula son arme. C’était comme s’il invitait la jeune femme à se mesurer à lui. Elle ne se fit pas prier pour attaquer avec la fureur d’un tigre. Elle enchaina les passes qui furent toutes contrées par son adversaire. La dernière, plus désespérée que les autres, envoya valser le heaume d’Alastor dévoilant un visage inhumain. La haine avait durci ses traits ; le mal avait creusé de profonds sillons dans sa peau parcheminée. De longs cheveux gris et ternes s’envolèrent au gré du vent. Il esquissa un sourire méphitique et saisit brutalement son opposante à la gorge. Laureley fut soulevée du sol et se débattit pour échapper à l’étreinte qui l’asphyxiait peu à peu. Des étoiles dansaient devant ses yeux à mesure que l’air lui manquait. Elle frappa pathétiquement le bras qui la retenait tout en ouvrant la bouche comme un poisson hors de l’eau. Alastor plongea alors son regard rouge sang dans celui de son adversaire et lui murmura d’une voix d’outre-tombe :

  • C’est toi qu’elle veut et je sais comment te faire venir à elle.

Il lâcha brutalement la pression et Laureley s’écrasa au sol comme une poupée de chiffon. Le colosse l’enjamba et continua sa course vers la loge d’honneur. Elle tenta de se relever, mais son corps privé d’air refusait de lui obéir. Elle se tortilla pathétiquement en hurlant tandis que le gardien gravissait les marches qu’elle avait empruntées quelques minutes plus tôt. Le sultan s’époumonait à appeler la garde, mais tous les dignitaires semblaient tétanisés. Le colosse posa ses deux mains sur les épaules de Khamsin et disparut brutalement dans un nuage rougeâtre.

La place retrouva son calme en un instant. Les cadavres s’étaient évaporés au même moment que leur maître. Laureley jetait un regard halluciné vers le siège vide où le prince se trouvait, il y a encore un battement de cœur. Elle ne pouvait pas laisser Khamsin aux griffes de ce monstre. L’antre d’Alyth se cachait au nord, quelque part au beau milieu d’une chaine de montagnes. Sans se poser plus de questions, Laureley s’empara du premier cheval venu et se lança au galop hors des murs de la cité. La route serait longue et semée d’embuches, mais elle s’en moquait. Une seule chose importait pour elle : retrouver Khamsin sain et sauf.

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