3. Evasion

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Laureley chevauchait à brides abattues. Elle avait décidé de foncer vers l’ouest pour atteindre le port d’Acra et de là, prendre un bateau pour le nord. Il n’y avait aucun doute que ce choix était le plus judicieux et qu’il l’amènerait sur les terres d’Alyth en quelques jours, voire une semaine tout au plus. Elle avait fui sans réfléchir, obnubilée par son désir de sauver Khamsin. Ce ne fut qu’au bout de quelques heures qu’elle comprit son erreur. On n’entame pas une traversée du désert eranshari sans eau ni vivres. C’était une pure folie qui ne pouvait se solder que par un seul épilogue : la mort précédée d’une lente agonie. Sa monture succomba aux heures les plus chaudes de la première journée, la forçant à continuer à pied sous le soleil brûlant. Elle prit soin de découper un morceau de viande du cadavre à peine refroidi de l’animal afin de pouvoir se sustenter plus tard, mais le manque d’eau devenait de plus en plus problématique. Elle avait tenté tous les subterfuges connus pour s’hydrater, mais il semblait que sa soif fut inextinguible et aucun des liquides qu’elle fut contrainte d’ingurgiter ne la soulagea. Elle vit arriver le soir comme une délivrance, la fin de son calvaire, mais elle se trompait. Une courte halte lui permit de faire griller son repas et elle reprit sa route sans rechigner tandis que la nuit s’installait dans le désert silencieux. Autant les journées étaient brûlantes et accablantes, mais ce n’était rien comparé à l’air glacial qui figeait le paysage de sable une fois le soleil couché. Marcher pour oublier le froid, la soif et la douleur. Il n’y avait rien d’autre à faire. Sa gorge était toujours sensible et elle suspectait qu’une horrible ecchymose s'était formée comme une écharpe bleutée autour de son cou, mais ce n’était rien comparé à la brûlure des muscles de ses jambes et le mal qui dévorait ses pieds à chaque pas. La fatigue et l’abattement eurent raison d’elle et elle posa un maigre bivouac au milieu de nulle part. La nuit était déjà bien entamée et demain serait un autre jour. Elle alluma un feu pour lui apporter un peu de chaleur et faire fuir les éventuels charognards qui passeraient par là, puis sombra rapidement, à même le sable, dans un sommeil sans rêves.

***

Mais que s’était-il passé et surtout, où était-il ? Des milliers de questions se bousculaient dans la tête de Khamsin, mais une certitude transcendait toutes les autres. Il ne reverrait jamais Eranshar. Son père, dans son grand égoïsme, n’enverrait personne pour le délivrer et la seule personne susceptible de l’arracher aux griffes de ce démon était morte à l’heure qu’il était. Une peine immense l’envahit lorsque ses pensées voguèrent vers Laureley. Il aurait aimé goûter à d’autres plaisirs que ses lèvres, mais cela n’arriverait jamais. Il aurait dû être plus courageux, briser les interdits quand il le pouvait encore. Des regrets, c’est tout ce qu’il lui restait à présent. La certitude que les choses auraient été différentes s’il n’avait pas eu peur d’avouer son amour pour la jeune femme. Il l’avait crue inatteignable alors qu’elle brûlait du même désir que lui. Aveuglé par son besoin de lui plaire, il ne s’était même pas aperçu des signaux qu’elle lui envoyait. Ainsi abattu et chargé d’amertume, il n’eut aucune réaction lorsque la porte de sa cellule s'ouvrit, préférant rester assis pathétiquement par terre. Flanquée du colosse en armure qui l’avait enlevé, une succube afficha un sourire enthousiaste. C’était le seul qualificatif qui traversa l’esprit de khamsin quand il découvrit Alyth pour la première fois. La déesse de la Mort arborait une longue robe noire qui masquait autant qu’il dévoilait les zones les plus charnelles de son anatomie parfaite. Ses cheveux cascadaient sur ses épaules, couvrant furtivement de mèches sombres certaines parties de son corps un peu trop dénudé. Elle se fendit d’un sourire carnassier de prédateur et planta son regard azur sur le prince eranshari.

  • Khamsin Khaan, susurra-t-elle d’une voix libidineuse. Tu es encore plus séduisant que ce qu’on m’avait décrit.

Elle s’agenouilla face à son prisonnier, dévoilant subrepticement des zones qu’elle ne devrait pas, mais Khamsin resta de glace devant ce spectacle. Ce n’était pas la première fois que son physique et son statut social le mettaient dans une telle situation. Ce vulgaire déballage de chair ne lui suscitait que du dégoût et nullement du désir. Aussi quand la jeune femme s’approcha de lui, il la repoussa avec nonchalance en se redressant pour échapper à l’étreinte qu’elle souhaitait.

Le visage d’Alyth se figea alors dans une colère sans nom, sa lèvre inférieure tremblait tandis qu’elle se relevait, essayant d’afficher un air digne.

  • Je ne te fais donc aucun effet, siffla-t-elle entre ses dents.
  • Pas plus qu’une prostituée, répliqua le prince dans un élan de folie.

C’était une grossière erreur de l’insulter ainsi et il en paya le prix fort. Alyth hurla de rage et les ténèbres envahirent la cellule. Khamsin se retrouva instantanément aveugle, une douce panique s’empara de lui jusqu’à ce qu’il sentît deux mains se poser délicatement contre ses joues.

  • Je vais te faire souffrir, comme jamais tu n’as souffert, susurra Alyth.

Et une douleur incommensurable se répandit sur le visage du prince.

***

Un soleil de plomb l’inondait lorsqu’elle ouvrit à nouveau les yeux. Laureley grogna. Le jour semblait être bien avancé. Combien de temps avait-elle dormi ? Bien trop déjà. Il fallait reprendre la route sans rechigner, atteindre Acra le plus rapidement possible. Sa bouche totalement sèche lui rappela la déshydratation qui la guettait. Elle déglutit avec peine, sa gorge devait être gonflée par l’attaque d’Alastor. Elle repoussa toutes les afflictions qui tiraillaient son corps afin de se recentrer sur son objectif : retrouver Khamsin. Elle mit à profit les enseignements de son père en estimant l'heure qu'il était grâce au soleil. Il n’était pas si tard que ça. Au vu du chemin déjà parcouru, elle rallierait peut-être Acra le soir même. Si la chaleur n’avait pas raison d’elle. Elle se remit alors courageusement en route. Elle marchait depuis au moins une heure quand son corps la lâcha. Ses jambes se dérobèrent soudain sous son poids et le sable amortit sa chute. Elle resta un instant, étendue, laissant le désert lui brûler la peau. Ses lèvres tiraillaient tellement elle avait soif et sa tête menaçait d’exploser à chaque pulsation de son cœur. Deux rapaces tournoyaient au-dessus d’elle, prêts à fondre sur la jeune femme une fois qu’elle serait morte ou trop agonisante pour pouvoir bouger. La fin était proche. Elle comprit qu’elle n’atteindrait jamais Acra. Khamsin resterait à jamais prisonnier. C’était la première fois qu’elle ressentait un tel désespoir face à l’échec. La douceur de ses lèvres lui revint en mémoire, elle ferma les yeux pour se rappeler la bonne odeur de jasmin qui embaumait sa barbe finement taillée. Elle ne pouvait pas abandonner. Elle se redressa courageusement lorsque son estomac se révulsa et déversa tout son contenu au sol. Sa gorge brûlait atrocement. À cet instant, elle ne rêvait que d’une seule chose : de l’eau. Une entité supérieure dut entendre ses suppliques silencieuses, car soudain, une ombre se découpa dans son sillage. Elle se retourna vivement pour tomber nez à nez avec la gueule d’un dromadaire. Un inconnu le chevauchait. Ainsi à contre-jour, Laureley ne pouvait voir son visage, mais lorsqu’une outre chut entre ses mains, elle comprit que c’était un sauveur. Elle s’abreuva durant de longues minutes, incapable de s’arrêter tant que la gourde serait pleine. Quand elle l’eut achevée, elle lança d’un air rieur à son samaritain :

  • J’espère que vous en avez une autre.

L’homme émit un petit rire avant de rétorquer :

  • Nous sommes proches d’Acra. L’eau n’est plus vraiment vitale, sauf si on a eu la folie de vouloir traverser le désert sans en prévoir.

***

C’est ainsi que Laureley fit la connaissance de Styx, un rouquin voyageur qui s’était aventuré dans le désert eranshari par pure curiosité. C’est en sa charmante compagnie qu’elle atteignit le port d’Acra. Il était clair que cette cité avait été bâtie par des envahisseurs. Massive, cubique, grise et sans âme, elle était aux antipodes du charme oriental de Nazgat. L’entrée de la citadelle ne se faisait que par un pont-levis et les rues étaient assez larges pour laisser passer des chariots lourdement chargés. Il s’élevait de ses nombreuses auberges des chants enivrés des marins dans un parfum d’alcool frelaté et d’urine. C’était peut-être parce qu’elle était toujours déshydratée, mais Laureley sentait la nausée la saisir à nouveau. Elle ne souhaitait pas rester une nuit dans ces murs, elle ne rêvait que d’une chose : dénicher un navire et mettre le cap au nord, mais Styx avait raison, pour ça, il faudrait une bourse remplie de pièces d’or.

Laureley comprit peu à peu qu’il n’y aurait qu’une seule façon de trouver rapidement le montant nécessaire à son voyage : vendre son corps. C’était le troisième capitaine avec lequel elle parlementait et il était clair qu’elle ne pourrait quitter Acra que contrainte à ce sacrifice. Était-elle prête à ça pour sauver Khamsin ? S’il le fallait. Elle s’arrêta devant un magnifique galion à voiles en se disant que si son commandant consentait de la conduire à Perlé moyennant quelques faveurs, alors elle accepterait. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle découvrit un visage connu ! Le matelot blêmit en reconnaissant les traits de son ancien supérieur :

  • Général Garrick ?

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