Carl

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« Les affaires de Sonya étaient parties comme un office de l’abbesse de Pourras. Il y avait le capitaine et moi, mais pas seulement. Cela, je l’appris bien plus tard, alors que tout ce bastringue n’avait plus aucune importance et que l’électro-régulation n’était plus une simple expérimentation, mais une norme imposée. J’avais cru trouver dans votre mère une sorte de palliatif de mes jalousies et je pensais de la sorte pouvoir me venger de Salieri, persuadé qu’il courtisait la fille pour acquérir les bontés de la mère. Aussi fis-je pareil, mais avec un peu plus d’ardeur, mû par mes ressentiments.

» Las, je compris qu’en réalité, c’était Sonya elle-même qui avait poussé le capitaine dans les bras de sa fille, abject prétexte pour garder son greluchon à proximité. Voilà bien une de ces manipulations pour lesquelles elle excellait. Quelle âme scélérate que celle de la femme… »

Étrange, songe Carl. Il s’aperçoit que la fièvre l’a quitté, qu’il ne parle plus que d’une voix monocorde, assourdie par une soudaine lassitude. S’il lui arrive encore de hausser le ton, c’est davantage pour reprendre sa respiration que pour marquer l’emphase. D’ailleurs, elle-même semble avoir disparu, laissant place à une nostalgie douce-amère parée d’une nonchalance brumeuse qui l’enveloppe et à travers laquelle il continue son récit.

« Maintenant que j’y repense, toute cette tragédie semblait avoir été ciselée par les antiques Moires. Quand, lassée de la cour de fantoche de son capitaine, votre mère daigna enfin me considérer, c’est sans ambages qu’elle consentit à… m’amuser. Il y avait également chez elle une sorte de curiosité morbide pour mon attirail, je pense. Car je n’étais déjà plus bien beau – je ne le fus jamais vraiment – et je n’étais réputé pour mon aisance auprès de la gent féminine.

» Nous prétendîmes y trouver à peu près notre compte, par défaut ou plutôt, dirais-je, par dépit. Car nous n’étions réellement rassasiés. Elle soupirait toujours après son rital et moi, je n’en attendais mon heure avec Sonya qu’avec plus d’audace et d’appétit encore. Mais quelle inventivité votre mère déployait pour que nous jouions, même sans joie ! Jusqu’au jour de ce bal, au cours duquel je fis un sigisbée récalcitrant pendant que Sonya jaspinait avec son autre cavalier.

» L’idée de la savoir encore à rire, si fière aux bras de ce capitaine mal galonné me hérissait au plus haut point et soir-là, alors que je faisais tourner votre mère pour la troisième fois dans une de ces interminables valses qui mettaient à mal les pivots de mes rotules, je décidai que je ne pouvais supporter un instant de plus la moindre évocation de Salieri. Et lorsque votre mère exprima une énième fois son amertume de ne pas s’afficher avec lui, dans un accès atrabilaire, je l’abandonnai sur la piste sans achever notre danse.

» Le couple adultère ne fut pas difficile à trouver, ils causaient avec entrain au milieu d’autres accointances anonymes sur le pont supérieur suspendu, lieu bien connu des rendez-vous galants de ce genre de bâtiment. Dans mon envie d’en découdre avec le capitaine, je me trouvai pris au dépourvu. On n’acceptait aucun visiteur solitaire sur ce pont-là, aussi hésitai-je avant de me tourner vers la fanfare myope qui rythmait par de vilaines sérénades ces badinages scandaleux. Je crus pouvoir faire illusion juste assez pour m’approcher du couple adultère avec un instrument dans les mains. Cela ferait une arme bien commode pour bastonner Salieri, me dis-je. Pour mon malheur, je ne vis pas que j’avais jeté mon dévolu sur un bandonéon inutile pour la boxe et qui, à défaut de causer mon trépas, fut l’instrument de ma perte. »

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