Carl

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Sous la table où la terreur les a tapis, les enfants cascadent toujours leur morve plaintive entre deux barreaux de chaise. Il y a des regrets sincères dans la façon dont leur père les regarde. Autour de ses yeux encastrés, c’est tout son visage qui se décompose. Il voudrait les prendre dans ses bras, les consoler, mais la cause de leur traumatisme, c’est lui qui tremble encore de n’avoir plus sa conscience aseptisée, lui qui peine à rester maître de ses membres agités, de ses doigts qui se crispent, cette mâchoire si serrée. Non, les enfants ne sortiraient pas indemnes d’un tel traitement qui l’éprouve dans tout son être.

Se faisant violence, il parvient à réprimer la pulsion qui l’envahit brièvement. Non. Non, il ne sera pas celui qui les privera pas de leur cœur électromécanique, de ces œillères qui les accompagnent depuis quasi toute une vie. On n’expose pas brutalement à l’éclatante force du jour celui qui ne connaît que la lénifiante pénombre. Non.

Il se rassoit sur le fauteuil démembré, il est désemparé et son souffle est court. Mais les jambes lui sont reconnaissantes de n’avoir plus à s’affoler et cela lui permet d’ordonner à ses bras de ne plus gesticuler sans raison. N’ayant d’autre idée pour les apaiser que de reprendre son récit, il cherche à retrouver comment on fait pour parler d’une voix posée malgré l’excitation. C’est une affaire de respiration et de muscles à contracter ou relâcher, ceux-là mêmes qui rongent sa gueule de tics abominables. Quand il n’est plus mécanique, le masque de la raison arboré en société demeure imparfait et souvent il se craquelle. Pour l’heure, Carl doit se contenter de colmater le vide avec ses seules mains.

« Nous étions deux coqs qui nous battions pour les faveurs d’une inconstante dont la fille était l’antichambre. Ah non ! votre mère, je ne l’aimais pas. Je ne l’ai jamais aimée. Je l’utilisais pour me rapprocher de Sonya. Mais toujours, ce maudit capitaine me barrait la route ! Le général n’avait pas été entièrement remodelé à l’époque et il n’était plus qu’une tête immobile ferrée de tous côtés. Et quand il y eut ce bal, en l’absence du général, ce fut là que tout se joua, ce fut là le dénouement de cette turpide tragédie dont vous deux êtes, dans tout votre abrutissement, le parfait épilogue. »

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