Journal – 11 décembre

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Encore des complications… Quel mot détestable ! Non, vraiment, tout devrait être simple. Rien ne devrait être compliqué. Père devrait pouvoir marcher ou, si la destinée en a décidé autrement, qu’il reste alors condamné à être privé de ses jambes. Si funeste soit-elle, cette idée me serait encore supportable. Nous ferions tout notre possible pour accepter ce terrible sort et l’aider de notre mieux. Mais pitié ! Assez de ces fausses nouvelles qui viennent tous les jours infirmer les vérités de la veille ! Je hais cette médecine dont les mots sont plus savants que les hommes.

[…]

Ah, il est beau mon capitaine, c’est le moins qu’on puisse dire. Hélas, j’ai bien peur que cela ne soit tout ce que l’on peut en dire. Dans le salon d’hiver où Mère nous accorda comme à l’accoutumée un long moment d’intimité – l’eut-il tenté ? – il aurait d’un simple regard réussi à délacer ma robe et mon corset. Si ses yeux avaient enfin daigné, après plus de trois interminables semaines d’une cour à peine douceâtre, me mirer comme l’autre jour il convoitait mon strudel, je lui aurais pardonné toutes ses absences d’outrage, son manque d’intérêt aveugle pour mes soupirs affectés.

Je ne comprends plus cet abus de complaisances policées derrière lesquelles je n’entrevois plus rien. Si, aujourd’hui, alors qu’il croyait que je ne le pouvais le voir, il me sembla déceler comme un abattement dans ses épaules un bref instant affaissées.

Mardi, j’étais arrivée à la conclusion que, pour je ne sais quel mystère, il ne m’aimait point. Je me persuadai même qu’il n’avait jamais nourri le plus infime désir pour moi. Mais depuis, pourquoi augmenta-t-il le nombre de ses visites ? C’est désormais tous les jours qu’il s’assoit une heure seul en ma compagnie. Pourquoi me fréquente-t-il encore s’il est incapable de manifester le plus petit penchant, s’il ne nourrit aucune passion concrète à mon égard ?

Mère m’assure du contraire. Aujourd’hui encore, lors du dîner, alors que j’étais bien en peine de cacher mon dépit – que n’aurais-je donné pour arborer un chignon légèrement négligé ou le souvenir persistant d’une rougeur aux joues ? – elle ne cessa de louer la vigueur de ses sentiments. Mon capitaine manque-t-il à ce point d’instruction en matière amoureuse qu’il faille laisser à la femme toute initiative ? Ce manège insipide finit par me fatiguer et je perçois maintenant l’usage, certes immoral, que je puis avoir du caporal Pommaret.

Père, ne jugez pas mal votre fille.

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