Journal – 15 novembre

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Cet automne qui n’en finit pas m’insupporte. Est-ce ainsi que les adultes appréhendent la vie, dans cet ennui quotidien qui accapare tout et étiole dans la morosité le moindre éclat de rire ?

Père passe le plus clair du jour alité et sa convalescence est pénible. Mère me confiait ce matin qu’il devrait certainement subir une énième opération. Encore une ! La dernière, m’assura-t-elle sa main posée sur la mienne. Je ne peux cependant me résoudre à le voir une nouvelle fois meurtri par tous ces abominables appareillages sous lesquels sa chair disparaît chaque fois un peu plus. C’est pour moi une certitude que personne n’ose m’avouer, il ne pourra plus marcher. L’on ne cesse pourtant de me répéter que bientôt, il aura recouvré sa mobilité d’antan.

Je prie et je désespère chaque jour davantage de pouvoir à nouveau jouer avec lui. Au printemps, nous nous installerons sous le kiosque pour profiter de la chaleur parfumée de la roseraie pendant nos longues parties d’échec, comme avant. Encore un printemps, un seul ne serait trop demander...

Pour l’instant, je dois supporter la présence toujours plus envahissante de notre invité permanent. Il me semble, vraiment c’est embarrassant, que Monsieur Pommaret me courtise, mais de façon si pataude, c’en est grotesque ! La seconde intervention chirurgicale sur ses lombaires a enfin délivré les douleurs de son dos. Je ne l’entends plus gémir la nuit, c’est déjà ça.

Mais une autre conséquence de ce succès m’incommode au plus haut point. Avec sa mobilité recouvrée depuis une semaine, il n’en finit plus de vagabonder à travers la propriété. Il va, il vient, promenant partout l’odeur de suif de ses cartilages extrinsèques, clamant son bonheur de goûter à nouveau la saveur des balades, sans aucune considération pour les afflictions qui paralysent Père…

Je pourrais aller me réfugier dans la bibliothèque puisqu’il l’a enfin quittée, mais je suis incapable d’y rester plus d’une minute tellement le velours des fauteuils empeste le suif ! Ce caporal d’arrière-garde dut y frotter ses excroissances pour je ne sais quelle raison. Quel malappris, avec son sourire figé de mauvaise porcelaine… Ô comme j’aimerais le faire rentrer entre ses oreilles… Au diable les remontrances de Mère si je n’ai pour lui que de la morgue et aucune amabilité.

Car je vois clair dans ses manigances de petit escobar. Il n’a de cesse de me harceler partout où je vais. Oh, il fait chaque fois mine d’être surpris, feint de ne rien savoir de mes habitudes, alors que chaque jour ou presque, son manège est le même et ses excuses à peine dignes d’une tirade de turlupin.

« Oh, j’ignorais que vous peignissiez. »

« C’est donc là que vous vous cachez ! »

« Veuillez pardonner mon irruption, je ne voulais vous déranger, je cherchais votre mère. »

Voilà un florilège des fadaises françaises qu’il me sort chaque fois.

En parlant de Mère, je ne sais ce qu’elle manigance, mais elle disparaît chaque jour après le déjeuner et ne reparaît pas toujours à l’heure du thé. J’essaierais bien de lever le voile sur ce mystère, mais la perspective de partager mes recherches avec le caporal est rédhibitoire.

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