Carl
Le père est soudain las. Son œil tubulaire, sous l’impulsion d’une glande déficiente, se met à produire des déjections lacrymales sans raison aucune. Il doit le décrocher, ce qu’il fait avec précaution à cause des vis en mauvaise ferrite dont le filet a vite fait de se fausser. Il souffle longuement sur le ressort à quartz à l’intérieur du cylindre, prend son temps pour bien le revisser dans son orbite, cligne plusieurs fois pour vérifier que sa paupière était bien synchrone, enfin, il fait une mise au point sur sa fille de ses deux yeux redevenus parfaitement secs.
Durant toute la procédure, elle et son frère, ces petits salopards, n’ont pas plus bougé qu’un pignon fixe.
« Mais je vous ai déjà raconté toutes mes histoires, renifle Carl pendant qu’il musèle de sa double brosse à poils drus l’intérieur du verre dangereusement vide.
— Papa, raconte-nous quand tu as rencontré maman. Avant les cœurs prostatiques.
— Prosthétiques, pas prostatiques. Les cœurs prostatiques, la science s’est assise dessus depuis longtemps. Hé ! Hé… Vous voulez vraiment entendre cette histoire-là ? Va falloir faire le plein, alors. »
Carl sèche son verre tandis que Bentham fait déjà tourner la pompe à bourbon. L’homme n’a plus qu’à tendre la main et une dose standard de liquide ocre vient faire la vague brisée au fond du récipient. Le bruit de succion que produisent les conduits quand perlent les dernières gouttes ressemble à celui des sanitaires. D’habitude, Carl n’y prête attention, mais là, ça le gênerait presque.
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