Dans la chambre, Anicca en équilibre sur la chaise s’immobilise lorsque Jonah se met subitement à babiller. Mais le garçonnet, encore trop jeune pour être directement sevré-greffé, se calme assez vite grâce aux miracles de la neuropharmacopée infantile intégrée aux berceaux-vaporisateurs. La mère peut reprendre son exploration. La boîte en carton est bientôt mise au jour depuis les tréfonds du placard. Dedans, sous une liasse de papiers administratifs sans intérêt sur son enfance et ses parents, il y a le journal qu’Anicca a tenu. Une relique d’avant.

Comme chaque année à la même période, la femme encore jeune range la chaise et ouvre la boîte. Comme chaque année, elle en éparpille le contenu au sol et se baisse pour explorer ses souvenirs. Cette année, pour s’agenouiller, elle doit grimacer dans le secret de la pénombre. Un peu plus chaque année.

Contrairement à son mari, Anicca n’a jamais reçu d’implant biomécanique autre que le cardio-régulateur imposé par le gouvernement et, jusqu’à présent, elle a réussi à cacher ses douleurs sciatiques lors des révisions bisannuelles au centre médico-plastique. Il faut dire qu’elle a évité tout accident de grande ampleur. Elle n’est, par exemple, jamais tombée d’un dirigeable au-dessus des toits de Vienne, la gueule ahurie à moitié encastrée dans un bandonéon diatonique à condensateur pour orchestre mobile à haut voltage.

Carl était bien le plus grand des crétins limoneux charriés par le Danube.