Le verre à mi-chemin des lèvres de Carl est soudain agité de soubresauts sacrilèges. Il grogne et baisse les yeux. C’est Imogène, la cadette au crâne rendu oblong par des forceps hydrauliques trop zélés. Elle lui tire la manche avec insistance sans se douter qu’une giroflée bien prévisible risque de lui lustrer un zygomatique. Pourtant, en croisant les yeux tristes de sa fille, il n’en a exceptionnellement plus envie.

« Quoi encore ?! s’énerve-t-il quand même. Papa est très occupé. Papa est… fatigué.

— V’ n’ ‘stoar. »

Parfois, Carl se demande s’il n’aurait pas dû autoriser cette trépanation. C’est l’affaire de trois tours d’écrous, avait avancé le docteur. Quand on a une mauvaise chaudière, il suffit la plupart du temps de changer deux ou trois pièces. C’est la même chose pour votre fille, on peut installer le stimulateur galvanique qui confèrera à votre fille les facultés d’une enfant normale.

C’était moins le prix exorbitant de l’opération – qui coûtait un bras à pression dynamique – que la perspective de voir sa fille se trimballer avec un générateur à vapeur par oscillations de la taille d’une cafetière qui avait dissuadé Carl. Il n’aurait jamais pu se résoudre à infliger à sa fille toute une installation suiffeuse au-dessus d’un crâne en patchwork

Mieux vaut une idiote un peu baveuse qu’une fille normale, mais avec des fumerolles plus que nécessaire, s’était-il dit à l’époque. Vaporo ergo sum, avait tenté le chirurgien pour le persuader une dernière fois. Ce à quoi Carl avait rétorqué que pour Imogène, la devise serait plutôt salivo ergo sum. Les deux hommes avaient esquissé un ricanement avant que la honte se rappelle à eux.

Non, il n’a pas troqué sept années de profusion éthylique durant ses temps en mode distraction/ennui contre l’asthénie mentale de sa fille. C’était, disons, un prix de consolation.