XXI

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6 Avril : Jour J

6h30.

  J’éteins le réveil dès la première sonnerie. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Les bras de Rémi m’enveloppent et me tirent contre lui.

  • Tu as le temps ! me murmure-t-il.
  • Non, je n’ai plus le temps !

  Je l’embrasse tendrement et rejoins la salle de bain.

  Le jour tant redouté est arrivé !

  J’ai quitté le Domaine des Amazones la semaine dernière, et ce matin, ces habitantes me manquent terriblement. Heureusement, Rémi a proposé de m’accompagner.

  Les vêtements que j’ai prévu de porter pour mon témoignage sont consciencieusement pliés sur le rebord de la baignoire. Je me suis organisée, Hélène serait fière de moi. Ma douche terminée, j’enfile mon pantalon noir et mon haut rouge.

  Mon apparence est sobre, mais soignée. Je suis satisfaite de la sérénité que renvoie mon image dans le miroir. Si mon harceleur se délecte de la mort de Laura, je ne lui donnerai pas la satisfaction de me détruire.

  En sortant de la salle de bain, une odeur agréable me parvient aux navires. Des crêpes. Rémi ne s’est pas dans quelle catégorie il joue. Se mesurer à Manie peut s’avérer dangereux.

  • Tu es adorable, mais je n’ai pas faim.
  • Au moins une, insiste-il en déposant à côté de mon assiette un verre d’oranges pressées.

  La demi-crêpe que j’ai réussi à avaler me reste sur l’estomac. Je ne pense pas que Sarah aurait qualifié de dinguerie celles de Rémi. Je suis silencieuse dans le tramway qui nous conduit au palais de Justice. La circulation à Bordeaux est encombrée en cette heure de pointe.

  Un motard nous dépasse et s’arrête au feu rouge. Sa silhouette recouverte de cuir est féminine. Le casque rouge rayé de noir ressemble à celui de Christelle. Je souris me rappelant Jeanne coincée à l’intérieur après l’avoir essayé à l’insu de sa propriétaire. On a mis vingt minutes à lui retirer sans lui arracher la tête. Martine, Juliette et moi étions écroulées de rire et Christelle au bord de la crise de nerf.

  Le regard de Rémi se pose sur moi à plusieurs reprises, mais il respecte mon silence. J’ai de la chance de l’avoir. Il est aussi prévenant qu’Anne-Sophie. Elle l’a bien élevé.

  Ma mère a du mal à desserrer son étreinte lorsque nous rejoignons mes parents au point de rendez-vous. Mon père m’embrasse. Leur présence me sécurise.

  Nous sommes à deux rues du tribunal. J’avance lentement, clivée entre l’envie de faire demi-tour et le besoin de tourner la page. Je pense à Viviane et à son courage. Un de mes modèles désormais.

  Je suis capable de le faire.

  Plus qu’une rue. L’appréhension s’invite dans ma gorge et dans mon estomac en deux nœuds serrés. Instinctivement, je régule ma respiration. Inspirer à fond, expirer lentement. La pression de la main de Rémi contre la mienne s’intensifie. Nos regards se croisent, je lui souris. Je maîtrise mes angoisses, maintenant. Je suis encore fragile, mais j’ai parcouru un chemin considérable ces trois derniers mois.

  Les vitres si spécifiques du tribunal de Bordeaux apparaissent devant nous. Du monde stagne sur le parvis et les escaliers. Mon avocate m’a prévenu que des journalistes essaieront de m’interviewer. Des pancartes sont brandies. Je ne percute pas immédiatement, concentrée sur la visualisation d’une sphère protectrice autour de moi. Elle avait très bien fonctionné lors de la Journée des Femmes.

  « Liberté, Egalité, Sororité ».

  Est-ce, ce que je pense ?

  Je suis plus attentive aux visages qui m’entourent.

  • Noëlie !

  Sarah me saute littéralement dans les bras. Heureusement que j’ai les reins solides. Christelle et Franck, Juliette et Jean-Luc, Simone et Anne-Sophie, Martine et Jeanne. Manie me prend également dans ses bras. Des larmes chaudes coulent sur mes joues. J’aurais l’air de quoi devant le jury ?

  • Pas question de te laisser affronter cette épreuve toute seule, me dit-elle avec toute la douceur qui l’a caractérise.
  • Entre sœurs, il faut se soutenir, réponds-je ma voix tremblante d’émotions.

  Je présente mes parents à mes amis. Puis, je fais le tour de la foule. Je me gonfle de leurs encouragements. La salle d’audience sera-t-elle assez grande pour contenir tout ce monde ? Dans les escaliers qui mènent au Palais de Justice, Hélène est en pleine conversation avec… mon avocate.

  • Alors, tu t’attendais à ça ? me dit-elle lorsque je la rejoins.
  • Ah, quoi ? A ce que tu assistes mon avocate ?

  Je ne peux pas être mieux entourée. Mon avocate est enchantée de cette mobilisation, tout comme la famille de Laura qui leur est reconnaissante. Ses parents en sont bouleversés et me saluent chaleureusement.

  En bonne et nombreuse escorte, une main dans celle de ma mère, l’autre dans celle de la mère de Laura, je dépasse confiante les portes du tribunal, déterminée à faire entendre ma voix de Femme.

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