XVII

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  Manie s’avance près du cercueil, des feuillets entre les mains puis, fait face à la foule endeuillée. Vêtue d’une robe blanche, agrémentée d’une petite rose rouge sur le cœur, elle donne l’impression d’avoir pris dix ans. Comme la plupart d’entre-nous d’ailleurs. La providence s’invite dans cette journée particulière, les rayons du soleil percent le ciel nuageux pour illuminer les lys blancs qui entourent le portrait de Viviane.

  Viviane n’est plus avec nous. Elle s’est métamorphosée et a déployé ses ailes pour rejoindre son nouveau destin. Derrière mes lunettes de soleil, mes yeux sont secs, mes stocks de larmes sont épuisés. Sur mon épaule, Sarah déverse les siennes. Elle m’inquiète vraiment. Elle est inconsolable et me renvoie le désespoir de Laura. Je ne la lâche pas d’une semelle, je ne veux pas que ça se répète.

  L’association et le Domaine des Amazones est désormais amputé d’un membre fondateur, la foule impressionnante présente au cimetière témoigne de cette perte considérable. Depuis que le cœur de notre doyenne s’est arrêté, les habitantes ne se sont pas quittées. J’ai arrêté mes séances, Christelle a posé des jours de congés, Hélène a annulé ses rendez-vous. Cette coalition nous est d’un grand secours pour avancer malgré notre chagrin. Elle m’a permis aussi de réaliser mon ignorance. Chez les Amazones, il n’y a pas uniquement deux sœurs et des femmes, il n’y a que des sœurs.

  Manie et Juliette ont organisé l’enterrement comme le souhaitait Viviane. Elle n’était pas croyante. A la place d’une cérémonie religieuse, une marche blanche s’est tenue derrière le cercueil jusqu’au cimetière. Depuis, les proches se succèdent pour partager quelques mots, quelques anecdotes, afin de lui rendre hommage.

  Quelle vie ! Viviane est une héroïne. Elle était dans les manifestations de mai 68, dans les campagnes pour la contraception et le droit à l’avortement. Elle a été à la tête d’un centre d’accueil innovant pour femmes violentées et enceintes hors mariage. Elle s’est rendue aux Etats-Unis et dans d’autres pays d’Europe pour défendre leurs causes et apporter son aide dans la création de projets d’accueil du même genre. Viviane a été un guide spirituel pour de nombreuses personnes : femmes, hommes et enfants. Je regrette de ne pas avoir pris la peine de découvrir tout ceci lorsqu’elle était parmi nous.

  La tristesse est à son maximum lorsque le cercueil descend dans la fosse. C’est horrible, l’enterrement de Laura me revient en mémoire, les larmes de sa mère, celles de son père et les fleurs blanches. Quelques minutes de silence. On entend uniquement les gens se renifler. Puis, on repart aussi solennellement qu’à l’aller.

  Au Domaine, un buffet est organisé dans la salle de réception. Avec Christelle et Franck, je m’attèle au service. La théière à la main, je m’approche d’Anne-Sophie qui est au bras d’un homme bien plus jeune qu’elle ! C’est surement Rémi.

  Tiens ! Il est châtain. Je l’imaginais blond…

  • Je te sers un thé ? lui proposé-je.
  • Non merci. Je vais te remplacer, me répond-t-elle empoignant le pichet d’eau chaude. Mon chéri ? C’est Noëlie !

  L’homme en pleine discussion avec Pierre, l’aide-soignant qui avait fini par gagner la confiance de Sarah et le cœur de Viviane (surtout celui d’Hélène), m’adresse un large sourire.

  • Je suis ravi de mettre un visage sur ta voix. Même si j’aurais préféré le faire dans d’autres circonstances.
  • Tu as vu, chéri ? Intervient sa mère, je t’avais dit qu’elle était jolie !

  Rémi rougit et je crois que moi aussi.

  Cette journée éprouvante touche à sa fin. Il était temps ! Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai été prolixe avec Rémi. Il sait tout ! Je lui ai confié mon histoire, celle de Laura, la raison détaillée de ma venue ici, ma panique du 6 avril. Il m’a écouté, sans jugement ni compassion exacerbée, juste ce dont j’avais besoin.

  Progressivement, le Domaine se vide.

  Nous sommes rassemblées dans le petit salon, collées les unes au autres. Seul le tintement des tasses qui se posent sur la table en verre brise le silence.

  Je les observe. Manie, Juliette, Simone, Sarah, Martine, Hélène, Anne-Sophie, Christelle, Jeanne. Je suis attachée à chacune d’entre elles.

  Je repense à ma longue conversation avec Rémi quelques heures auparavant. Peut-être ai-je choisi la facilité en livrant mon secret à un inconnu. Ma confiance en Rémi m’est dictée par mon intuition, mais en fait, c’est à elles que j’ai envie de me confier.

  Ce jour est dédié à Viviane. Ce n’est pas le moment. Je me promets de le faire rapidement.

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