Chapitre 30

15 minutes de lecture

Le vent sifflait aux oreilles de Kita, chantait en embrassant les flancs de la montagne, hurlait dans les crevasses et riaient lorsqu’ils peinaient comme en cet instant. Les gravillons roulaient sous les semelles de la cavalière. Ses yeux s’asséchaient malgré son bras protecteur rabattu sur son visage. Ses camarades n’en menaient pas large : les cheveux d’Arment fouettaient sont dos et creusaient ses joues, Reikoo s’appuyait sur sa hallebarde, amenant avec difficulté une jambe devant l’autre pour deux raisons : la tornade qui soufflait contre eux et la raideur de la montagne. Chaque pas était plus difficile que le précédent. Tâches de Myosotis rabattait ses ailes contre son maigre corps et cherchait à se couvrir autant que possible derrière l’épaule de sa maîtresse. Sa tête triangulaire reposait sur son deltoïde, sa queue s’enroulait autour de son biceps. Il s’accrochait à sa peau par ses petites griffes mais Kita était habituée à ces épines s’enfonçant dans sa chair. La bourraque asséchait ses lèvres, elle n’osait les lécher de peur de rouvrir les gerçures. La dresseuse les sentait craqueler lorsqu’elle frottait par mégarde.

Plus aucun arbre ne poussait dans cette région de pierre hormis quelques arbrisseaux secs et noueux habitués à de rudes climats. Au moins, il y avait assez d’eau pour les sustenter : ruisseau, sources et cascades se succédaient. Grondements ou glougloutement, le chant de l’onde assourdissait la montagne. Ils s’arrêtèrent près d’une rivière, trempèrent leurs mains en corolle. Kita frémit tandis que l’eau froide brûlait son œsophage, se déversait dans son estomac par filet. Arment, lui, s’arc-boutait et trempait sa bouche dans la rivière sans se préoccuper de l’état de ses lèvres. La cavalière avala une dernière gorgée avant de frictionner ses mains. Le froid la gagnait. Habituée aux températures chaudes, estivales, presque désertique, Kita ne s’accommodait à la fureur de l’aquilon et la proximité du cercle polaire.

—Froid ? Il ne fait pas froid ici, ma chère, s’amusa Arment. Ces montagnes sont tout au plus mordantes. Vous grelotterez à la Mer de Lune. Là seulement, je veux bien l’admettre, il y fait un peu frisquet.

—Votre bouche est dans le même état que la mienne.

—Elles sont sèches mais je peux toujours parler. Aucun souci à se faire.

Kita s’en faisait en avisant le brouillard se former autour d’eau. Le mercenaire surprit son regard :

—Il ne va pas vous manger. Jamais vu une brume enchantée et des… curiosités, j’en ai vus ! La queue de Lance-de-Fer vous aurait-elle rendue couarde, Kita ?

Elle le foudroya du regard.

—Ne me dîtes pas que vous papotiez dans sa tente, je ne vous croirai pas. Un tuyau et un trou son fait pour se rencontre. N’êtes-vous pas d’accord, vous autres ?

Seul Ferol gloussa. Les autres l’ignorèrent, hormis Reikoo qui lui jeta un regard noir. Elle devait lui rabattre le caquet.

—Au moins, je sais m’en servir. Vous devriez vous trouvez une fille avant que votre queue ne se ramollisse et que vous interroge sur le petit asticot qui tressaute entre votre jambe. Ca rouille vite, ces instruments quand on ne s’en sert pas.

—Ce n’est que partie remise, fillette. Notez-le bien.

—C’est noté.

Kita et Arment testaient leur éloquence pour tromper la monotonie de leur voyage. Entre sentiers étroits et grotte à peine creusée dans la roche, aucune âme ne vivait à des lieues à la ronde. Ses compagnons, hormis Arment et Ferol, peu loquaces broyaient du noir. Reikoo en voulait à Keïdan de lui imposer ce retard et le guerrier âgé lui reprochait son manque d’humanité. Pour une fois, la cavalière se tenait hors des conflits, une place nouvelle qui lui plaisait. Galtriel ne décrochait pas un mot, toujours hanté par sa rencontre avec le fantôme de Masha. Les craintes de leur chef à son encontre se confirmaient : il abandonnait leur quête, malgré un air menaçant figé sur son visage et les deux lames englobant son crâne dans son dos. Si les larmes et sanglots s’étaient taris durant leur séjour chez les nomades, il se refermait sur lui-même, cloitrait son esprit et ses souvenirs au fond de son âme, refusait de faire le deuil. Kita, le sentant s’enliser et surtout mue par la curiosité, lui demanda, sans adoucir ses propos :

—Qui est Masha ?

Ce nom dans sa bouche réveilla le guerrier d’une torpeur silencieuse. Il bondit sur ses pieds, lui décocha un regard si sombre, si glacial qu’elle regrettait presque de l’avoir interrogé. Un filet d’air siffla entre ses lèvres, juste assez entrouvertes pour dévoiler des dents carrées brunes.

—Comment pouvez-vous me demander ça ?

—Je vous ai entendu l’autre soir, chuchota-t-elle pour ne pas réveiller ses camarades endormis. Nous voyageons ensemble depuis assez longtemps pour nous connaître un minimum, déduire qui sont les spectres dont les Kelpies ont emprunté la voix.

—Vous mentez. Je ne sais pas qui vous avez vu et je me fiche royalement de votre vie.

Il se rassit. Sans invitation, Kita s’agenouilla.

—Qui est Masha ?

— Allez-vous-en. Vous pensez que je ne souffre pas assez ? Vous voulez, vous aussi, me poignarder ?

—Non.

Elle mentait. Peut-être. Non ! Elle disait la vérité.

Si, insista sa sournoise conscience en insistant sur cette protestation. Je sais très bien pourquoi tu es là.

Déguerpis !

Et manquer ce spectacle ! Certainement pas. Continue, je t’en prie.

—Je pense que nous allons droit au mur. Nous avons perdu trois hommes, vous serez le quatrième si vous poursuivez cette voie.

—Perdu ? Ricana-t-il.

—J’ai perdu un ami qui m’était cher et un homme que j’apprenais à connaître. Perdre est le bon mot.

—Et vous pensez me perdre aussi ?

—Pour l’instant, non. Pas si vous remontiez la pente. Vous vous enfoncez dans un enfer dont personne ne pourra vous sauver. En vrai, cela m’est égal, ayez juste la sympathie de le faire une fois les pierres ramenées à Valia. Je suis convaincue que si vous me parliez de Masha, ce ne pourra être que bénéfique.

—Vous vous amusez à consolider le groupe.

—Plus ou moins.

Mensonge, mensonge, mensonge, claironnait la voix dans sa tête. Tu as un don et tu en uses beaucoup : mettre le doigt sur ce qui les fait souffrir. Que c’est bon quand l’abcès crève.

Kita la musela et l’expédia au fond de son esprit. Elle se recentra sur Galtriel.

—Je ne dirai rien aux autres, si ce qui vous inquiète.

Elle parlait d’une voix douce, appelait à la confession, adoptait un ton lent comme un devant un dorakkar nouveau-né. L’homme-arbre s’amusa de ses tentatives.

—Vous ne voulez pas me le dire ? D’accord, ça vous concerne. Si vous tombez dans une crevasse parce que vous pensez à elle, ne vous attendez pas à ce que je vous tende la main. Si vous mourrez, je ne pleurerai pas sur votre dépouille.

—Je n’en n’attendais pas moins de vous, Kitaya.

Il lui tourna le dos et mit fin à la conversation. Excédée, elle réveilla ses compagnons prétextant une aube matinale. Elle s’en voulait plus de cette discussion ratée que des informations sur la mystérieuse Masha. Que voulait-elle en faire ensuite ? Les vendre au plus offrant ? Elle connaissait la réponse : elle aimait le pouvoir sur les gens. Avec Lance-de-Fer, Kita n’avait eu aucune difficulté à contrôler leur relation et ses mots sucrés étaient inventés de toutes pièces.

L’homme végétal ne l’accosta pas de la journée, il échangea même quelques mots avec Reikoo sur la direction à emprunter. La marche et ses cicatrices eurent raison de ses frustrations. Elle se coucha le ventre vide et sa lança sa colère sur les Dieux, ces « bons à rien de mythes ». Epuisée, elle s’endormit les bras contre sa poitrine. Ainsi s’enchainaient les cycles, ils marchaient le jour, dormaient la nuit autant que le vent hurlant dans leurs oreilles le leur permettaient. Ils vivaient d’eau et de plantes, exceptionnellement d’un animal lorsque la chance tournait. Kita se lassait du paysage : aux montagnes grises succédaient des montagnes grises. Les flancs découpés avec grossièreté rappelaient plus le travail d’un Fae colérique qu’une délicate œuvre de la nature. Les façades, polies par des siècles d’intempéries, offraient peur de grottes pour s’abriter une fois l’obscurité tombée. La plupart des nuits, ils dormaient à découvert, les mains rabattus sur leur visage. Le sommeil suffisait tout juste à maintenait la cadence de marche imposée par Reikoo. Une fois allongés, éreintés de leurs journées, les complaintes du vent les maintenaient éveillés.

L’esprit de Kita s’emballait. La perte brusque de ce en quoi elle avait toujours cru et la voix, cette personnalité dans la tête eurent raison d’elle. Elle lui parlait fréquemment, la guidait sur des chemins jusqu’à la inexplorés. Elle ne se montrait amicale, rassurante, pleine de bons conseils, raisonnée aussi. Une alliée de poids. Kita, inconsciemment, à l’instar de Galtriel s’enferma dans les méandres de son esprit. Et par les Dieux, qu’ils étaient vastes ! Elle se sentait perfide et sournoise, ce n’était qu’une illusion, un dessin forgé à partir d’axiomes insignifiants. La voix, u lieu de l’éloigner de ces sentiers sombres, tortueux et semés d’embuches, l’incita à l’aventure. Une fois le pied engagé dans ces chemins psychique, nul retour en arrière possible. Egaré entre sa peau, sa colère, ses incertitudes, elle accordait sa confiance à une voix muette. Elle était perdue mais elle l’ignorait encore.

—Regardez ! Les apostropha Ferol. La Foret Jaune.

Derrière quelques montagnes amassées s’étendait un voile de feuilles. Jaunes. Le dragon se planquait là-dedans.

—Encore quelques putains de rochers et nous y sommes. J’ai terriblement besoin d’une bière. Vous m’entendez, Reikoo ? La première chose que j’achèterai avec votre or, c’est de la bibine.

—Vous l’avez mérité, répondit simplement leur chef.

Et moi ? S’interrogea Kita.

Et nous, rectifia la voix. Nous avons une écurie. Des dorakkars sont plus coûteux qu’une bourse d’or.

Je ne compte pas la vendre. Pas tout de suite du moins.

Je t’aiderai, comme je t’ai toujours aidé.

Tu ne m’aides que depuis que Xaelio est mort. Avant, tu ne me considérais même pas.

Tu as tort et tu le sais. J’ai été avec toi depuis le jour de ta naissance. Ne t’ai-je pas conseillé d’écouter ton cœur pour Meorwen ? Je t’ai susurré d’achever Xaelio, tu n’avais besoin que d’un encouragement, j’ai été là pour toi. Et enfin, tu as entendu ma voix.

L’appel de la fin de leur voyage les tenaillait, les confortait à allonger le pas, à avaler les montagnes. C’était ce que sa voix lui racontait mais les visages d’Arment, Keïdan et Ferol se refermaient à mesure que la Forêt grandissait. Ils l’évitaient même. Si elle en était chagrinée, sa conscience la consola :

Tu n’as besoin que de moi maintenant.

Malgré les remontrances, elle s’en montrait attristée. Les trois hommes interrompaient leur discussion lorsqu’elle apparaissait où ils lui lançaient des œillades qu’elle ne parvenait à déchiffrer. Reikoo ne lui accordait qu’une légère attention, Galtriel l’ignorait avec soin, jusqu’au jour où elle lui sauva la peau.

Le gris des montagnes se chevauchait. Plus la Forêt Jaune se dessinait derrière les pentes escarpées, plus elle semblait s’éloigner. Ils découvraient des gouffres infranchissables, revenaient sur leurs pas, les contournait. L’humeur générale s’altérait. Les protestations fusaient, vives au moindre conflit. Les propos hargneux s’échangeaient, des rixes entre les hommes se créaient et Kita conservait une neutralité sans faille presque dérangeante. Autant Galtriel retrouvait sa place dans la patrouille, autant Kita s’effaçait. Elle conversait avec sa voix intérieure, dialoguait avec elle comme une personne réelle et physique. Un jour, la tension atteint son paroxysme. Ils rodaient sur un sentier fin, d’une largeur d’à peine un pied. Ils progressaient, le dos contre la pierre, un pas après l’autre. Sous eux s’ouvrait une ravine. Par bonheur, la cavalière ne souffrait pas de vertiges. Un mince ruisseau taillait la roche en contrebas que nul homme ne puisse espérer survivre s’il chutait. La dresseuses s’aidait des aspérités de la pierre pour progresser, glissait ses doigts dans les fissures, piétinait les gravillons pour s’assurer de sa solidité. Plus d’une fois, le sol s’était ouvert sur ses pieds et sans l’intervention de ses compagnons, Kita aurait chuté d’une centaine de longueur de jambes. Depuis cette fâcheuse expérience, elle jouait de prudence.

Après des grommèlements agacés, une rixe éclata entre Armant et Galtriel. Kita ne se souvenait plus du sujet mais se rappelait des éclats de voix, des insultes lancées, des postures menaçantes. Keïdan, devant Kita, leur ordonna de se taire et de reprendre leur querelle sur un sol plus stable, les deux mercenaires l’ignorèrent. Les guerriers voulaient en découdre. Tout de suite. Le découragement, leurs blessures, la lente avancée dans les montagnes titillaient la frustration qui, s’accroissant conduisait à des éclats de colère non pardonnables.

—Vos gueules, clama Reikoo.

S’ils n’osaient répliquer à leur chef, ils ne cessaient pas moins de se foudroyer du regard.

—J’avancerai seulement s’il retire ce qu’il a dit, annonça Galtriel. Excuse-toi.

Arment lui cracha à la figure. Kita eut à peine le temps de se retourner que l’homme-arbre envoya son poing dans la joue du guerrier aux cheveux rouges. Il tangua, se rattrapa au dernier moment.

—Tu cognes comme les putes que j’ai baisées.

D’une ondulation du bassin, Arment illustra ses propos.

—Tu veux peut-être que je te lèche la queue ? Je suis certain que tu seras plus détendu après.

—Arment ! Tonna Reikoo. Il suffit.

Galtriel flanqua un coup de genoux dans son ventre. La guerrier encaissa sans se défendre, ce réaction ne satisfaisait pas le mercenaire. Il empoigna ses cheveux pour fracasser son crâne contre la falaise. Arment lui offrit un sourire carnassier, tout de rouge teinté. Ses yeux brillaient, promettaient une correction des plus terribles. Alors, ils se jetèrent l’un sur l’autre, se préoccupant à peine de précipice sous leurs pieds. Les coups pleuvaient : les lèvres du guerrier humain se coloraient de sang. Il ne se départissait pas de son rictus suffisant.

—Vas-y. Frappe. Défoule-toi.

Galtriel se figea sous l’encouragement. Il contemplait son œuvre, le dos droit, le poing serré, les jointures écorchées. Recroquevillé, le mercenaire lui lança un regard narquois. Sa langue traina sur ses dents, elles aussi rouges. Sa paupière tuméfiée gonflait, plus mauve que noire.

—Je me bats toujours comme une gonzesse ?

—Tu m’as pété une dent, crevure, grinça-t-il en crachant.

—T’en mettras une en or, parait que ça plait aux femmes. Demande-leur de te frapper, ça te remettra les idées en place.

—Baiser, je connais. J’ai probablement semé un ou deux petits bâtards en route, mais toi, l’homme végétal, t’as déjà perdu ta virginité ? Avec Masha peut-être ?

Jamais Kita n’avait vu face aussi hideuse que celle de Galtriel en cet instant : un sentiment plus puissant que la colère, la haine ou la fureur déformait son visage. Sa bouche gercée par la sécheresse du vent s’étira révélant une dentition plus brune que blanche. Ses cheveux camouflaient la moitié de sa figure humaine, l’écorce sur sa joue se rida. Il attrapa son adversaire par la peau du cou, engloba son crâne de ses mains, ses pouces caressaient ses pommettes avant de se presser sur les globes oculaires. Arment hurla, au supplice.

—Galtriel !

C’était la voix de Reikoo, lointaine et impuissante, séparée de Kita par quelques dizaines de pas. L’homme aux cheveux rouges rua, se contorsionna entre les puissantes mains de son tortionnaire. Galtriel demeurait impassible. Ses doigts étaient des étaux, en adoptaient la force pour torturer sa victime. Soudain, les talons d’Arment heurtèrent la falaise et, avec un regain d’espoir et d’énergie, il poussa Galtriel au-dessus de la ravine, si lointaine. Seule une torsion du bassin empêcha Arment de le suivre, il s’effondra sur le sentier en pressant ses paumes contre ses yeux. Sans réfléchir, Kita se jeta au sol et attrapa la main de son camarade au dernier instant. Ses os grincèrent dans leurs cavités. Ses ongles s’enfonçaient dans sa peau.

—A l’aide ! Beugla Kita.

Son bras la lançait, Galtriel était trop lourd. Elle allait le lâcher. D’un battement de cœur à l’autre. Elle ne pouvait le ramener sur le sentier à la seule force de ses bras. Tous les muscles de son corps se tendaient, lui intimaient de le lâcher.

Personne ne t’en voudra : tu es faible à leurs yeux. Laisse-le partir.

Sa poigne se desserra et soudain Galtriel releva son visage. Ses yeux l’imploraient de l’aider. Ils la suppliaient ! Le guerrier n’osait esquisser le moindre mouvement pour se rapprocher de la montagne. Kita ne supporterait aucune pression supplémentaire et tous les deux le savaient. Le premier geste le mènerait à sa mort. La douleur vibrait dans son corps, lui tirait des cris de protestations. Elle ne tiendrait plus.

LACHE-LE.

Ses doigts étaient recroquevillés comme les serres d’un aigle sur son poignet. Ses ongles le griffaient tant que la peau perça et le sang perla goutte à goutte, rendaient sa prise glissante. Elle perdit un centimètre, le rattrapa. La cavalière ferma les paupières, se concentra. Tenir. Ses pensées se braquaient sur ce mot. Derrière ses yeux clos, elle ne voyait plus que ces lettres clignoter, l’exhortait à raffermir sa prise. Enfin, un éclair blanc ondula à cinq pouces de son visage et la charge au bout de sa main s’allégea. Reikoo au bras plus long attrapa Galtriel par le poignet. Keïdan s’arc-bouta à son tour au-dessus de la ravine et lui présenta ses doigts. L’homme-arbre en grimaçant l’empoigna. A trois, ils le hissèrent sur le sentier.

Kita s’assit, le dos plaqué contre la falaise, suffoquant et lâcha lentement sa prise comme pour s’assurer qu’il ne retombait pas. Son compagnon s’éloigna du gouffre avec hâte, à l’aide de ses jambes. Ses talons creusaient des sillons dans le sentier couverts de gravillons. Reikoo et Keïdan s’affalèrent à leurs côtés, étourdis. Arment, entre quelques gémissement, insultaient son adversaire. Personne ne l’écouta. Tous, sidérés de la folle tournure de cette altercation demeuraient muets. Kita, une main sur son épaule, effectua des mouvements circulaires avec son bras. Elle souffla. Galtriel observait les écorchures sur son poignet et les traces de sang séchés.

—Merci.

—Vous auriez fait de même pour moi.

Il garda le silence et même si elle en doutait, la réponse n’en n’était pas moins amère.

Je te l’avais dit : laisse-le glisser.

Pourquoi veux-tu le quitter ?

Pour le plaisir, évidement.

Je cautionne ton esprit diabolique mais pas un meurtre gratuit

Je suis ton esprit, Kita.

Elle se tut, la laissant méditer sur ses dernières paroles.

—Que fait-on pour lui ?

Keïdan désigna l’infirme d’un geste du pouce.

—Sans guide, nous ne pourrons pas faire le chemin inverse : nous devons le soigner.

Ainsi, il fut fait. Ils aidèrent Arment à terminer le sentier. Il n’excusa pas auprès du guerrier-arbre qui l’ignora avec la plus grande attention. Reikoo dénicha un ruisseau et avec l’aide d’un morceau de tissu imbibé d’eau, Kita rinça les cheveux de l’homme percé. Malgré ses yeux fermés et le coquart qui s’agrandissait, le mercenaire souriait.

—C’est Reikoo qui me l’a demandé, lui confia-t-il. Je n’avais pas prévu que ça prendrait une telle ampleur.

La cavalière releva son visage, se maudissant de ne pas avoir compris l’évidence plus tôt. Le harceleur ne portait aucun grief envers son compagnon, bien au contraire. Il avait agi ainsi en sachant que Galtriel le tabasserait, il portait ce rôle de victime pour permettre au guerrier de se débarrasser de sa hargne. Il en était ainsi pour les mercenaire, ces fauteurs de troubles attisés par l’appât du gain : à coup de poings.

—Il a failli m’écraser le crâne, cet enfoiré. Et me rendre aveugle ! Quel putain de job ! L’a intérêt à me payer le double.

La dresseuse aurait dû se méfier : ce n’était pas dans son caractère de verser du sel sur les plaies. Au moins, Galtriel semblait sortir de sa torpeur même s’il n’osait regarder Arment. Keïdan assura le relais auprès du blessé. Il ouvrait péniblement les yeux. Kita s’empressa d’attirer Reikoo à l’écart et confirma les paroles du guerrier.

—Je vous ai entendu l’autre soir à essayer de l’obliger à se confesser. Une bonne initiative mais une mauvaise méthode.

—Ah, la vôtre est plus réussie ! Répliqua-t-elle sarcastique. Nous avons failli avoir un mort et un blessé sur les bras. La belle affaire.

—J’ai donné carte blanche à Arment pour le faire avouer. Pour l’instant, mon plan marche bien. Une autre réclamation ?

Il la renvoyait !

—Non.

—Nous nous relayerons pour l’aider demain. Faites passer le message.

Oui, chef. A vos ordres chef, se moqua-t-elle ; Kita n’obéit pourtant pas moins à son ordre. La jeune femme ne put que constater, lors des cycles suivants de la réussite de ce subterfuge. Galtriel se mêlait à nouveau au groupe, dormait et mangeait aux eux, ne fixait plus autant l’horizon de ses yeux vides. Si Arment était encore handicapé par ses yeux, Kita lui prodigua plusieurs conseils par l’expérience : se fier à ses autres sens, les domestiquer, les faire siens et s’en servir comme d’une arme. Le guerrier récupérait peu à peu lorsqu'enfin après des cycles entiers, ils atteignirent l’orée de la Forêt Jaune.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire eclipse-de-lune ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0