Chapitre 20

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Chapitre 20

Le ciel pleurait. Etait-ce les Dieux ou un amoncellement de réactions chimiques ? Le résultat était pourtant le même : une forte pluie s’écrasait sur la terre en de milliards de gouttelettes aussi aiguisées que des lames effilées. Il existait une saison propre à la Horza où l’eau venue du ciel se révélait aussi mortelle que nécessaire. Elle abreuvait les champs, étouffait les puanteurs des marais, renouvelait sources et rivières. Pour leur rappeler leur bienveillance, les Dieux la rendaient aussi dangereuse. Les flaques grossissaient jusqu’à noyer les cultures et leurs larmes brûlaient leur peau. Kita se balançait sur une chaise autant à l’écart de la sorcière que le permettait l’averse. Les planches grinçaient sous son poids, une entêtante odeur de terre et d’herbe l’apaisa. Le déluge ricochait sous les poutres et les cages, leurs ricochets l’assourdissaient. Quelques villageois osaient braver le temps. A travers les ruelles, la jeune femme entrevoyait leurs ombres vacillantes. La cavalière s’enfonça dans les coussins, observa le gris du ciel, l’absence des Dieux.

La porte gémir et Arment se glissa sur la terrasse. Malgré les cernes qui pochaient ses yeux et enfonçaient ses globes oculaires dans les orbites, son visage se voulait plus serein, ses traits moins tirés. Il accusait le manque de sommeil.

—As-tu assez dormi ? L’interrogea la dresseuse.

La question était stupide, elle cherchait une remarque idiote et l’amener à converser. Hormis Keïdan, peu lui adressait la parole. L’ennui menaçait de la terrasser.

—Mieux que les nuits précédentes.

Il s’assit à ses côtés, les coudes sur les genoux, l’arrière de son crâne adossé aux édifices de la chaumière.

—Et ton frère ?

—Il a pris un peu de potage.

Elle avait rendu visite à Aroa la veille. Il dormait à son arrivée, somnolait à son départ. Elle ne réussit qu’à lui tirer quelques mots avait que Morghel ne lui ferme sa porte. Les sources de concentration et les distractions se révélaient nocives dans la guérison. Kita était le parfait alliage des deux, une embrouille que l’on se permettait de rembarrer.

—C’est encourageant.

—Est-ce assez pour suivre le rythme de Reikoo.

—Il le faudra.

Ses paumières se fermèrent, ses lèvres se pincèrent. Il n’en croyait pas son frère capable. Si l’hypothèse s’avérait vrai, il perdrait un guide. Que feraient-ils le cas échéant ? L’abandon ? Dieux, merci. Je ne suis pas capitaine. Ses nerfs n’auraient pas été assez forts pour trancher une telle décision. L’honneur ou les sentiments, que choisir ? Il existait malgré la difficulté de la question, une réponse : prier. Kita tint sa langue. Ses compagnons murmuraient que l’impatience de la foi dans ses choix faussait ses pensées. Elle n’avait guère besoin de s’appesantir pour démêler le mensonge de la vérité. La plupart de leurs chuchotis n’était que venin. Les Dieux les puniraient pour une telle trahison, la cavalière n’en doutait pas.

—Combien de temps lui laisse-t-il ?

—Une semaine sinon nous ne serons pas rentrés lors de la nouvelle lune.

Il leur restait bien des lieux à parcourir. Des jungles, des plaines, des montagnes avant d’atteindre l’orée de la Forêt Jaune convoitée. Des dizaines de cycles de journées et nuits avant de rencontrer le dit dragon. Une fois la forêt atteinte, ils cherchaient ces pierres malgré les nombreux prédateurs. Jaguars et serpents immenses gouvernaient ces terres hostiles. Dans l’ombre régnaient les araignées venimeuses, les larves transportant la mort dans leur salive, les chauves-souris friandes de sang. Les aventuriers contaient la folie. Le manque de sommeil additionné à la surveillance accrue provoquait des hallucinations. Les plus faibles, irrécupérables, mourraient, paranoïaques, luttant contre des forces fantômes. Elles ont beau être jaunes, lumineuses et attrayantes à l’œil, elles porteraient mieux le nom de : Forêt de fantômes. Autant pour les nombreuses créatures cachées que les âmes damnées des victimes errants le long des étroits sentiers. Nous nous dirigeons vers notre mort. Mais avaient-ils tous autre but que cette fin ? Nous savions tous qu’elle nous attend et notre vie se construit pour l’éviter la plus longtemps possible ou la rencontrer avec le plus de gloire. La sorcière lui avait révélé que qu’elle saluerait Khéor. Je ne reviendrai pas de ce voyage. Alors je dois prier.

—Qu’en pense Morghel ?

—Il ne s’exprime pas. Au moins, sa vie est hors d’atteinte du Royaume Blanc pour l’instant.

Le Dieu se détournait d’Aroa pour la fixer dans les yeux. Qu’avait-elle apportée à la Horza depuis les vingt-trois années qu’elle parasitait ce pays ? Je n’ai même pas apporté d’héritiers à ma famille. Dans les lointains pays par-delà la mer de Lune, le mariage s’emparait de chaque jeune fille fleurie. Les unions devaient demeurer plus nombreuses que les morts infantiles, pandémie de masse qui ravageaient les terres centrales. Les quelques pays du Nord respectaient cette tradition. L’amour n’était qu’un leurre, un mot inutile. Seul le trou ou le tuyau entre les cuisses comptaient. Peu importait la douleur des jeunes tant que la semence gonflait le ventre de la mariée. Vendue et poulinière.

—J’ai demandé un délai supplémentaire à Reikoo, dévoila le guerrier aux cheveux rouge. Si nous ne l’accompagnons pas, il nous arrachera nos sacs d’or pour les fourguer un autre.

Les joyaux dans sa bouche tintèrent contre ses dents.

—Qu’allez-vous faire ?

—Je pense vous accompagner. Morghel soignera Aroa. En guise de paiement, il lui servira d’apprenti. Ces connaissances pourront nous servir dans de futures quêtes.

C’était pour elle la meilleure solution. Elle ne craignait ni les mains ni la bouche d’Arment. Un nouveau guide l’ignorait et la chair appelant la chair, il se rapprocherait. Elle n’hésiterait pas à écourter sa vie. Pour la Déesse du Nord, je serai égoïste. L’homme a le droit de prendre son plaisir à travers mon corps mais je ne viens pas des îles. Seul l’homme ressentait l’orgasme lors de l’acte, la femme n’était qu’un pantin, une marionnette dont on ouvrait les cuisses, dont on abusait en jouissant de ses gémissements de douleurs. Après l’arrivée des Reines au pouvoir, chose inouïe dans le régime monarchique, les femmes trouvèrent trois paires d’oreilles pour écouter. Si elles réussissaient à équilibrer l’échelle, les jeunes filles pouvaient choisir leur époux et celui le plus riche. Kita ne se le leurrait pas. Malgré la bonté des Reines, les parents orientaient le choix de leur progéniture et le nombre de mariage avec une différence d’âge conséquente ne régressait pas. La cavalière ne pouvait les blâmer : une vague d’assassinat dû à une meute de loups particulièrement sanguinaires, amatrices de chair humaine précipitait les unions. Maudites depuis leur naissance, deux reines étaient mortes et l’une dormait depuis quatre-vingt-neuf ans. Les fillettes raffolaient de l’histoire de ces trois femmes, les portant au rang de légende. Que se passera-t-il quand cette femme se lèvera ?

Perdue dans ses pensées, Kita ne remarqua pas le regard insistant d’Arment.

—Avez-vous vu le troisième continent ?

Il bordait le Sud de la Horza. Seul un détroit où les tempêtes et les ouragans s’amusaient à briser les coques et mâts des bateaux les séparaient. Seuls les capitaines les plus fous s’y risquaient et bravaient le courroux des Dieux. Le peu qui revenaient décrivaient des terres grises, nimbées de brumes dissimulant le bleu du ciel, des arbres noirs tordus, des animaux à deux têtes, des peuples à la peau rouge aux mains ornées de trois doigts et des pieds à deux. Ils vénéraient des Dieux figés dans les arbres et construisaient comme dans l’ancien temps de hautes pyramides. Contrairement à leurs ancêtres, ces monuments se dressaient en guise de protection contre les ténèbres. Lesquelles, les traductions restaient incomplètes. Maîtriser une langue enseignée par des sauvages demandait des semaines d’entraînements, voire des années. Nul ne savait pourquoi les aventuriers refusaient de rester et d’apprendre leurs mœurs.

—Aucun des seigneurs ne nous a envoyés là-bas.

Pourquoi en même temps ? Nulle certitude de richesse ou de gloire. Le troisième continent n’exposait que des terres inhospitalières. Aucun roi, empereur ou chef n’avait eu la saugrenue iée d’annexer ce territoire, de le faire sien.

—Avez-vous eu envie de le visiter ?

—Avec leurs laiderons de femmes ? Je préfère celles d’ici.

Bien sûr. Avec un peu d’or toutes les putes exposent leur connil. Connaissent-ils l’argent de l’autre côté du détroit ? Les navigateurs notaient des nuits d’amour ou les hurlements régnaient. Sans avoir pu y assister, les corps étaient sanglants le matin. De longues estafilades courraient sur leurs flancs, des croûtes de sang séché encadraient leurs ongles. Hormis ces quelques informations griffonnées dans les coins des journaux de bords des capitaines (pour ceux initiés à l’art de l’écriture), nul n’en savait plus. Or les points d’ombre maculaient le tableau et les mystères de ce continent l’intriguaient.

—J’aimerai m’y rendre un jour.

—Là-bas ?

Ses sourcils s’arquèrent.

—Je ne connais que la Horza. Je n’ai jamais vu d’autres pays.

—Pourquoi celui alors qu’il en existe tant d’autres ? Connus cette fois.

—L’aventure peut-être. La découverte.

—Souhaitez-vous devenir navigatrice ou mercenaire ?

Même s’il n’exposait que deux propositions, son ton en indiquait d’autres.

—Je ne possède ni navire ni équipage et je ne sais pas me battre.

Mais je sais tuer. En réalité, un futur lui était déjà promis : récupérer son écurie et occire son père. Je serai l’ultime descendante de la famille. Cette pensée ne lui procura aucun réconfort.

—Avec de l’or ou de l’entraînement ce ne sera plus le cas.

Je ne reviendrai pas, a-t-elle dit. Quelle importance accorder à ces propos ? Elle n’eut pas le loisir de répondre que Reikoo les rejoignit.

—Combien de temps ? Demanda-t-il à Arment non sans un regard noir à la cavalière.

Il considérait comme la principale responsable dans la mort de l’un de ses hommes. Il a raison. L’image de son visage parasita un instant son esprit avant que ses mains ne se souviennent de poids que son corps alors qu’ils le jetaient dans les marais nourrir les alligators.

—Quatorze cycles.

Il chercha la confirmation auprès de la jeune femme qui acquiesça.

—Les soins prodigués par Morghel seront payés par votre bourse.

Il l’énonçait comme une évidence. Arment hochai la tête, le couteau sous la gorge.

—Je fixerai le prix avec lui.

Aroa ne le payerait-il pas en le servant ?

—Kitaya.

Un rictus ourla ses lèvres, dévoilant des dents blanches contrastant avec la noirceur de sa peau. Que n’importe quelle fille envierait.

—Vous êtes toujours là.

—Où voulez-vous que j’aille ?

Elle le savait. Il l’invitait à rejoindre Khéor, Maketa et Xaelio.

—Avec nous, cela suffira.

Mensonges. Elle ravala ce mot. Son but était de lui survivre et non de goûter à la douceur du baiser de la hallebarde du chef de l’expédition. Elle s’enfonça dans son siège. Un éclat malicieux traversa ses prunelles. Il s’amusait de la voir agenouillée à ses pieds, de la remercier de sa générosité. La cavalière ne jouait que les pantins, bougeait son corps la symphonie des ficelles. Une chorégraphie se créait entre eux, entre Reikoo et chacun de ses hommes. Il aimait les faire danser. Nous avons tous choisis d’être les victimes. Tous les compagnons auraient pu refuser. Aucun ne l’avait fait. Elle moins que les autres. J’étais celle qui avait le plus à perdre. Son parfait miroir, Aroa perdait plus qu’il n’y avait imaginé. Quelle cruelle farce que le destin.

—Quelle est notre prochaine destination ? S’enquit la dresseuse.

—Les Pics Rocheux.

Loin d’être aussi dangereux que des montagnes, ils alliaient collines escarpés et de nombreuses falaises. Des villages poussaient dans leurs flancs, à la manière de Cerralion. Leurs chaumières arboraient des toits pentus, célèbres dans toute la Horza. Beaucoup de peuples s’y brassaient : autant les humains que ceux de la nature que les terribles Faes.

Mauvais pour la plupart, ils se cachaient dans de somptueux palais taillés dans l’or, les conteurs abusaient d’adjectifs pour décrire ces châteaux, parmi lesquels : fallacieux, majestueux, grandiose. Illusoires car façonnés de magie. Le marbre miroitait au soleil selon les mortels privilégiés. Des rares personnes possédaient la faculté de voir au-delà des sortilèges des Faes. Le château se dressait dans un océan de vert, des jardins, des arbres de plusieurs dizaines de pas de haut et de sveltes et magnifiques créatures immortelles aux poignets et chevilles enchaînés. L’esclavage était non seulement une pratique récurrente mais aussi une tradition. Renommés « pointus » pour leur oreilles et leurs dents, ils dépendaient des autres races de Faes : les fées aussi grandes qu’un enfant de huit ans et dangereuses que le pire des meurtriers. Des tatouages recouvraient leurs corps par milliers.

Les korrigans adoraient titiller les chaînes de leurs esclaves, les fouetter et la maltraiter. Ils se métamorphosaient et souvent pour s’amuser du malheur des autres. Lutins et farfadets. Kelpies et ondines. Tant de races nobles et si peu d’individus pour les représenter alors que les Faes esclaves pullulaient. Les humains en savaient peu sur eux : leur histoire, les liens qu’ils entretenaient, la magie. Ils ignoraient tout des Faes hormis leur puissance et leur cruauté. Ils vivaient ensemble mais ne se côtoyaient guère. En voir un de ses propres yeux excitait la curiosité de la jeune femme.

—Le voyage sera plus confortable, avoua Arment. Il y a de nombreuses auberges dans les Pics Rocheux.

Kita sourit et Reikoo n’exprima aucune joie.

—Notre quête n’a pas a être confortable. Nous servons notre Dame.

—Vous ne pouviez nier l’attrait d’un bon lit et de viande. Il nous faudra reprendre des forces. Autant que ce soit là-bas.

Reikoo accordait rarement son accord mais il ne pouvait refuser à ses hommes quelques bonnes nuit de sommeil. Il demeura muet ce qui renforça la conviction de Kita. La pluie giflait le sol et grossissait les flaques formées dans les rainures des dalles encerclant la maison de Lalia. Keïdan et Ferol se joignirent à eux. Le dernier aiguisait ses lames dans un raclement aigu régulier. Le chauve enroulait son fouet mortel entre ses doigts. Dans des temps anciens, les dresseurs de servaient de tels outils pour domestiquer les dorakkars. Hormis les rendre fous et encore plus sauvages, les lanières de cuir ne les disciplinaient pas davantage. Le fouet endommageait la pointe de leurs écailles mais n’engendrait aucune douleur. Les plus brusques redoublaient leurs efforts si bien que les dorakkars inversèrent le rapport proie prédateurs. Après quelques accidents, les maîtres bannirent les fouets préférant les selles.

La pluie cessa le lendemain. Lalia la retrouva assise sur son perron.

—Je m’excuse, commença-t-elle. Je ne souhaitais pas vous offenser.

Offense il y a eu, songea Kita mais elle jugea préférable de se taire. Verser de l’huile sur des braises serait tout aussi stupide que pardonner son géniteur des traitements infligés. Elle se força à lui adresser un regard franc, sans rancune ni mépris.

—Ne m’obligez pas à renoncer à ma foi.

—Telle n’était pas mon attention, s’exclama-t-elle. Je vous mettais en garde contre ses dessous et ce que les enfants de Nogaïla font de vos croyances. Je m’égare, ce n’était pas pour ceci que je suis venue. Morghel a besoin de plantes mais ne peut abandonner le chevet de votre ami une après-midi entière.

Comment pouvons-nous partir s’il refuse de le quitter ? Kita attendait sa proposition.

—Venez avec moi à Kalat. Pour me racheter.

Le vent soulevait les cheveux de Lalia, dévoila la peau tirée et tendue sur son cou. Elle était belle malgré son âge.

—Vos excuses suffisent. Moi aussi j’ai à me faire pardonner.

La méfiance sitôt partie revenait en elle avec la force d’une vague. Certes, elle se battait pour ses convictions mais ne pouvait accepter ses excuses sans en faire en retour. L’ignorer se relevait le plus sage conseil par sa conscience. La sorcière n’hésiterait pas à les chasser si la cavalière se montrait trop agressive. Reikoo lui blâmait déjà les morts et les blessures de ses camarades. Inutile de s’attirer de son courroux.

—Alors venez avec moi.

C’est ainsi que la dresseuse se retrouva avec deux sac, l’un cinglant sa taille l’autre ballant sur son dos en route pour Kalat. Les hommes s’entrainaient avec leurs armes convaincus qu’ils en useraient dans peu de temps. Hormis frapper sur des troncs, ou des visages ricana son esprit, la jeune femme ne pouvait s’entraîner à manier ses gants de fer. Pour tromper l’ennui ne restait qu’Aroa (à qui elle avait rendu visite le matin même) et l’enchanteresse.

Après leurs quelques paroles de repentis échangés, difficile de s’extirper de cette étreinte. L’unique heureux de cette situation fût le bâshki. A peine le village s’évanouissait-il derrière les végétations, le petit dragon prit son envol d’un claquement d’ailes. Il voletait dans les sous-bois, s’accrochait aux fissures taillant l’écorce avant de répéter cet enchaînement plus d’une vingtaine de fois. Une fois lassé de cet exercice, il retrouva le giron de sa maîtresse.

—Peut-être devrais-je en acquérir un. Hormis mes clients, je suis seule. Combien coûte ces animaux ?

—Six ou sept cents pièces d’or.

Kita ne fut pas étonnée de sa grimace. Bâshkis et dorakkars étaient des créatures que seuls les plus riches achetaient. Seuls des seigneurs et leur maîtresse telle que Valia pouvait espérer en posséder un. Tâches de Myosotis valait quelques quarante-six dizaines de pièces malgré ses écailles sans coloris précis. Une créature telle qu’Etoile se vendrait à plus de huit cent soixante pièces. Les cultivateurs de terre ne posséderaient un tel animal uniquement dans leurs rêves. Beaucoup de cavaliers à l’écurie des Trois Epées d’or estimaient que la jeune femme n’aurait jamais dû l’apprivoiser. Ces bâtes demeuraient fidèles ; une fois prise par un maître, elles refusaient avec véhémence les caresses d’un autre. Sauf le sien qui acceptait son violeur. Voilà pourquoi tu n’es pas cher. Tâches de Myosotis se tortilla contre sa poitrine, plantant ses griffes dans son torse.

—Morghel ne vous tient-il pas compagnie ? Demanda Kita.

—Il y a quelques années si, soupira Lalia, mais nos caractères sont trop différents pour une longue relation. Nous préférons rester amis.

Maketa ne souhaitait pas que l’attrait qui les attrait qui les unissait soit de l’amitié. Il se persuadait que l’amour les destinait. Sombre crétin, voilà où ça t’a mené tes belles croyances. Dans la tombe et l’estomac de plusieurs dizaines de cannibales. Kita s’étonnait de ne rien sentir dans son cœur. Le chagrin l’avait tant égratigné après sa mort qu’il ne restait plus aucune épine. Ni souffrance, ni rancœur, ni même une idée de vengeance ne la poussait à ressentir une émotion. Elle demeurait vide.

—Nous y sommes.

Confirmés par la sorcière, les arbres se distancièrent jusqu’à atteindre l’orée. Par-delà les branches, la jeune femme aperçut des tentes de vies couleurs onduler sous le vent. Quelques autres personnes sortirent des bois pour se déverser dans la foule. Moins de gens se pressaient devant les échoppes ce qui laissa à Kita l’occasion d’admirer leurs présentoirs. L’un vendait des sculptures, l’autre des bijoux. Le troisième exposait sa volaille pendue par les pieds. Tous criaient pour attirer les clients, leur soutirer quelques pièces. La cavalière suivait Lalia, étrangère parmi les esclaves de la terre. Vendeurs et acheteurs se connaissaient, échangeaient des banalités et marchandaient sur les prix. Les enfants courraient, à leurs mains des jouets neufs taillés en bois. Un ou deux percuta ses jambes trop occupé à admirer l’objet.

—S’cusez, m’dame.

Sans attendre son aide, le garçonnet repartir de plus belle, ondulant du bras pour faire voguer le bateau et son équipage dans une mer enragée imaginaire. Quelques bambins le coursèrent, riants et trébuchants. La sorcière en gronda et celui-ci, abattu, trouva un intérêt nouveau à ses sandales. Ses camarades riaient sous cape, dissimulés derrière les échoppes. A peine la remontrance terminée, un grand sourire éclaira son visage une fois ses amis retrouvés. Kita nota chaque détail : la flaque à ses pieds qui pouvait tout aussi bien être de la pisse, les marchandises exposés, le beuglement des vendeurs pour attirer de potentiels clients, les nombreuses personnes s’y agglutinant, les chaudes couleur des échoppes, les regards curieux et intrigués des locaux sur son bâshki. La richesse qu’évoquait son animal contrastait avec ses vêtements tâchés et égratignés par la végétation des marais. Elle lisait dans leurs yeux : voleuse Ce seul mot confirmait leur manque de connaissances sur ces créatures. Jamais un bâshki ne se loverait autour de la nuque de son voleur. Habitués à la foule, Tâches de Myosotis battait des ailes suscitant des commentaires émerveillés.

Lalia s’arrêta à une échoppe. De nombreuses herbes dans des flacons trainaient sur le présentoir. La sorcière pointait celles qui les intéressaient de l’index. Les pièces glissèrent de main et l’enchanteresse enfourna les bocaux de son sac. Autre point qui retint l’attention de Kita : le rapport des personnes à Lalia. Beaucoup la saluaient, lui adressaient des remerciements quant à ses services. Ils se sont éloignés de la voie, fut sa première pensée et pourtant elle n’en n’était plus si sûre.

—Venez, lui intima la sorcière.

Elle obéit. Elle l’entraînant à l’écart du marché vers une statue. Plusieurs citadins priaient, à genoux, mains jointes sur le front. Kita reconnut le visage bienveillant d’Ombala, la Déesse-Mère. Tout ce qui vivait à Naarhôlia, peau, plume, poils, écailles, roches étaient ses enfants. La plupart étaient trop stupides pour le reconnaitre. Heureusement les enfants de Nogaïla y veillent : ils brûlent les individus qui embrassaient une autre foi et déclaraient des guerres pour le peuple vivant sous le joug d’une autre divinité.

—Nous n’avons pas de temple mais nous prions tous.

Les temples comme ceux de la Breille arboraient des statues pour la plupart des Dieux. Si défaut de place, d’argent ou de travailleurs (beaucoup cultivaient la terre peu le marbre), une statue d’Ombala contentait les Dieux.

—Vous priez les Dieux, s’exclama Kita, perplexe.

—Je vous l’ai dit, nous croyons dans les mêmes divinités.

La jeune femme n’y avait pas cru. Aucun charlatan ne possédait l’intelligence nécessaire pour reconnaitre la vérité. Lalia s’agenouilla, les index pressant son front. La cavalière ne se fit pas prier. Elle se débarrassa des sacs entravant ses mouvements, rejoignit la sorcière dans sa prière. Elle demanda aux Dieux de veiller sur elle, bénir son voyage, de lever le doute sur ses incertitudes.

Une pensée perverse parasitait son esprit, une idée qu’elle n’osait formuler à la Déesse. Lalia croyait en eux, des gens la remerciaient avec des sourires. Malgré leur statut promu par les enfants de Nogaïla, les sorciers étaient-ils réellement aussi mauvais qu’ils le prétendaient ?

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