6 juin

 Leah lui envoya les détails de son trajet dans l'heure. Elle prenait sa voiture et estimait son voyage à six heures de route. Anne avait tout reçu sur son téléphone portable. Leah avait donc conservé son numéro. Cela ne l'étonnait pas. Son amie était la personne la plus sociable qu'elle connaissait et l'une de celles qui se laissaient le plus porter par tout ce que la vie avait à offrir. Telle qu'elle la connaissait, Leah ferait le chemin d'une traite, sans même prendre la peine de s'arrêter pour se reposer.

  Cette réflexion ramena un maigre sourire sur les lèvres d'Anne qui se fit un devoir d'être un minimum présentable. Elle prit une douche, se coiffa et s'habilla plus proprement que la robe chiffon qu'elle avait portée presque toute la semaine passée. Puis elle attendit.

 Assise sur le canapé, elle finit par s'endormir. La venue de Leah l'avait soulagée d'un poids qui lui avait fait baisser sa garde. Comme elle aurait dû s'y attendre, Anne Rêva.

*

 Cette maudite chambre jaune. Le ciel était clair derrière la petite fenêtre opaque. Une nouvelle poupée avait rejoint les autres. Une adolescente brune aux yeux bleus. La jeune musicienne ! Anne eut les yeux embués en l'identifiant. Comment ne pas la reconnaitre avec toutes les photos qui étaient passées dans le journal ?

 Juste à côté, une autre poupée avait été déposée, plus petite, les cheveux clairs. Un instant, Anne crut qu'il s'agissait de Margot, la petite fille de la boulangerie, mais elle s'aperçut rapidement de son erreur. De plus, Anne entendit des sanglots et se focalisa dessus. Elle fit le tour de la chambre pour trouver la fillette, mais la Rêveuse dut se rendre à l'évidence, Margot n'était pas dans cette pièce.

 La respiration étrangement calme, Anne fixa chaque mur de la chambre afin de localiser les pleurs. Comme si elle n'avait jamais cessé d'utiliser son pouvoir, Anne ordonna à son corps de changer de pièce. Tel un fantôme, elle passa à travers la paroi comme si ce n'était qu'un écran de fumée.

 Elle arriva dans une salle de bain aux murs verdâtres. La peinture s'écaillait au plafond et sur les murs par manque d'entretien. La faïence et la robinetterie n'étaient pas récentes. Anne fit un tour sur elle-même avant de repérer Margot. Elle s'était recroquevillée dans la baignoire vide et pleurait en appelant sa maman. Anne en eut le coeur fendu et s'approcha d'elle pour s'assurer qu'elle n'était pas blessée.

 Au moment où Anne allait poser la main sur son épaule tremblante, une voix masculine s'éleva de derrière la porte.

 " Je n'entends pas l'eau couler ! Si tu ne peux pas te laver comme une grande, je vais être obligé de le faire. "

 Margot et Anne avaient sursauté en entendant la voix. La petite se mit à pleurer encore plus tout en allumant immédiatement l'eau. Elle attrapa le bloc de savon dans la foulée avant de commencer à se savonner sous la douche sans cesser de sangloter.

 Une colère sourde saisit les tripes de la Rêveuse. Que lui avait déjà fait cet homme pour que Margot réagisse ainsi ?

 "Bien. Brave fille ! Quand tu as terminé, tu te sèches et tu mets l'huile sur ta peau comme je t'ai montré."

 Anne entendit des pas lourds s'éloigner. Elle fixa un instant la porte avant de s'agenouiller à côté de la baignoire. Il y avait peu de chance pour que Margot la perçoive, mais elle tenait quand même à lui dire :

 "Sois courageuse, Margot. On va te retrouver et te sortir de là."

 La fillette s'arrêta de frotter et fixa soudainement l'espace vide devant elle. Avait-elle rêvé cette voix ou y avait-il un autre adulte dans cette maison ? La peur au ventre, elle se remit à frotter plus fort avant de se rincer et de suivre les ordres du méchant homme.

*

 Anne s'éveilla en sursaut à la sonnerie de la porte d'entrée. Quelle heure était-il ? Quel jour ? Son coeur battait la chamade. Elle avait basculé trop vite dans la réalité. Elle se leva avec précautions. Les vertiges, bien que passagers, l'obligeaient à se tenir aux meubles pour aller ouvrir.