6 juin

 Jonathan n'avait jamais vu Anne dans cet état. Elle se couchait après lui, était toujours levée avant l'aube. Il la suspectait de ne pas dormir du tout. Elle n'était pas loquace et il n'avait rien obtenu d'elle même en posant de simples questions. Anne avait une mine affreuse et des cernes de plus en plus marqués. Où était passée sa tendre et douce épouse ? Jonathan ne la reconnaissait plus.

 Il remarqua pendant le week-end, qu'elle ne mangeait plus non plus. Avait-elle commencé une grève de la faim ? Avait-elle perdu un membre de sa famille sans le prévenir ? Le trentenaire n'était pas un homme très patient. Comme elle s'entêtait à ne rien lui dire et bien que ce soit blessant, il finit par la confronter au déjeuner.

 "Anne ! Cela ne peut plus durer ! Si tu ne me dis rien, va voir un médecin ou appelle une amie à qui tu pourras te confier. Tu es en train de te rendre malade."

 Anne leva la tête de son assiette. Cela faisait dix minutes qu'elle bougeait ses légumes sans les piquer de sa fourchette. Elle n'avait encore rien avalé. L'air préoccupé de son mari lui serra le coeur et les larmes lui montèrent aux yeux. Jonathan sauta de sa chaise pour venir l'enlacer.

 "Pardon, mon coeur... Je ne voulais pas te faire pleurer. Mais regarde-toi... Qu'est-ce qui t'arrive ?"

 Anne se blottit dans son étreinte et la voix cassée par les pleurs, lui promit de faire de son mieux. Jonathan embrassa son front et sans lui demander son avis, l'attrapa et la porta à la chambre pour la mettre au lit et la border. Elle paraissait si vulnérable. Il soupira et lui caressa un instant les cheveux avant de sortir de la chambre pour la laisser se reposer.

 Anne ne put lutter contre Jonathan. Elle n'en avait ni l'envie, ni la force. La dernière pleine lune avait fait remonter tous ses pouvoirs. Depuis, elle s'y opposait de toute son âme. Ele ne voulait pas de ce pouvoir. Elle n'y voyait aucun bénéfice. Qu'avait-elle à gagner en perdant chaque nuit un peu plus ses repères dans la réalité ?

 Fuyant le sommeil, Anne finit par s'asseoir et se leva pour prendre son calepin. Les mains tremblant d'appréhension, elle tourna les pages pour retrouver les coordonnées d'une vieille amie. Sa plus vieille amie. Et l'une des premières avec qui Anne avait coupé le contact quand elle avait failli se laisser dévorer par son pouvoir.

 Il n'y eut que deux sonneries avant que Leah décroche.

 " Ma chérie ! Comment vas-tu ? Cela fait si longtemps ! Tu as de la chance, je viens de finir mon cours. Du coup, je suis toute à toi. Alors, alors ! Raconte-moi tout ! Comment c'était la lune de miel ? Et ta nouvelle maison... Anne ? Tu es toujours là ?"

 La chaleur de son amie, inattendue après tant d'années, refit pleurer Anne. Ses sanglots furent plus forts et plus bruyants. Même en plaquant la main sur sa bouche, elle fut incapable de se contenir. Il y eut un silence au bout du fil puis Leah reprit d'une voix douce et rassurante.

 " Ne dis rien, j'ai compris. J'annule mes rendez-vous et j'arrive."