23 mai

  Jonathan lisait son journal en buvant son café. Il sauta les premières pages pour lire les articles sportifs. Anne tartinait ses tranches de pain en chantonnant. La radio passait un air enjoué. Il n'en fallait pas plus pour bien commencer la journée.

  La cloche de l'église sonna sept heures au cœur du village. Jonathan partit au travail et Anne en fit de même. Elle n'allait pas bien loin. Dès qu'elle eut débarrassé la table du salon, elle descendit au garage et ouvrit en grand les fenêtres qui avaient récemment remplacé la vieille porte rouillée. Son atelier se retrouva baigné de lumière matinale. Vraiment, cela allait être une excellente journée.

  Artiste reconvertie après plusieurs années dans la vente, Anne peignait des toiles au gré de ses humeurs et des thèmes qui l'inspiraient sur le moment. La plupart étaient ainsi de vrais rayons de soleil. Son art rendait le sourire à ceux qui l'avaient perdu et soulageait les cœurs en peine. Elle avait retrouvé la candeur et la légèreté de son enfance en renouant avec sa peinture.

  D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours dessiné mais elle n'aurait jamais imaginé enfant, pouvoir vivre de cette passion. Anne avait, en peu de temps, trouvé le bonheur et le courage de changer de voie. Et jusque-là, cela lui réussissait plutôt bien. Une nouvelle exposition serait mise en place à la fin du mois. Le gros du travail était bouclé mais elle aurait voulu terminer deux autres peintures pour clôturer le set.

  Sans voir l'heure défiler, Anne donna coup de pinceau après coup de pinceau jusqu'à être satisfaite du résultat. Elle laissa sécher son tableau avant d'y ajouter les derniers détails et en profita pour aller manger quelque chose. Il était un peu plus de quinze heures quand elle s'installa à table. La radio toujours en fond, elle déplia le journal du matin et parcourut la une.

  Entre les festivités à venir et les derniers esclandres provoqués par certains membres du gouvernement, Anne tomba sur une nouvelle alerte enlèvement. Une adolescente avait disparu depuis trois jours entre son école et le conservatoire. Quatorze ans, brune aux yeux clairs, elle était décrite comme une jeune fille réservée et de bonne famille. Violoniste, elle voulait devenir professionnelle d'après sa mère. Mais les policiers avaient attendu quelques jours avant d'éliminer la piste de la fugue. Une enquête menée sur le trajet de la jeune fille avait abouti à la thèse de l'enlèvement. Un van blanc, type camionnette, avait été signalé proche du lieu de la disparition. Le genre de véhicule utilitaire très commun dans ce coin de campagne.

  Anne soupira en reposant sa fourchette. C'était la quatrième disparition de l'année dans la région. Cela devenait inquiétant. L'appétit coupé, elle rangea son assiette et redescendit s'asseoir devant sa toile. Elle n'avait plus envie de peindre, mais les couleurs chatoyantes apaisèrent son inquiétude naturelle. Son esprit resta néanmoins bloqué sur les disparitions. Deux adolescentes, deux fillettes. Toutes les quatre brunes, toutes les quatre les yeux clairs. C'était trop de coïncidences pour que plusieurs personnes soient impliquées.

  Anne soupira puis se leva et ferma l'atelier. Elle ne peindrait plus ce jour-là.