52/ Le plan de Sati

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 La déesse remarqua que la chouette spectrale aux six yeux placés tout autour de sa tête avait transmis le signal de l'arrivée d'un intrus avant même que la cuisinière ne rentre dans la clairière. Les branchages ne bloquaient pas la vue de cette créature, son champ de vision ayant un rayon défini. Tous les occupants du campement se tournèrent vers elle, sur la défensive. Mais Sati semblait tout à fait détendue.

 — Bonjour à tous ! fit-elle.

 — Que faites-vous là ? l'interrogea un des serviteurs aux cheveux tressés.

 — Je suis venue dans le nouveau domaine de l'Oracle, comme vous tous, non ?

 — Tu n'es pas claire, quelles sont tes intentions ? Où sont tes armes ?

 — Détendez-vous, on est dans le même camp, hein ! Dites-moi, vous auriez pas un petit creux ?

 — Ne change pas de sujet !

 — Je suis cuisinière et je viens proposer mes services aux nobles soldats qui ont choisi de ne pas trahir les leurs. Je sais comme cette situation doit être éprouvante, et je peux vous concocter un sublime repas pour vous permettre de vous détendre un peu !

 — C'est vrai que j'ai plutôt faim moi, déclara une des sentinelles.

 — Elle se débrouillera mieux que Mo' pour le coup.

 — Hey c'est bon, je fais ce que je peux ! s'énerva Mo'. Moi au moins j'essaye !

 Le garde aux tresses soupira, conscient qu'il désirait lui aussi un bon repas, puis indiqua une hutte où Sati trouverait ingrédients et ustensiles. Dès qu'elle fut rentrée, il ordonna à Miglew, un homme d'une intelligence et d'une vigilance rares, de surveiller de près les agissements de leur nouvel invité.

 Sati s'affaira dans la hutte. Sachant fort bien que le temps était compté, elle ne comptait pas préparer un repas qualitatif, mais plutôt une bouillie rapide qui donnerait illusion. Elle avait sorti une grande marmite qu'elle remplit d'eau, de féculents et de légumes rouges et jaunes. La casserole reposait sur un meuble blanc percé, à l'intérieur duquel brûlait une flamme. Pendant son œuvre, une sentinelle la rejoignit dans le bâtiment.

 — Bonsoir, madame, dit-il.

 — Bonsoir !

 — Dites-moi, qu'est-ce que vous nous préparez de bon ?

 Sati lui présenta rapidement son plat, sans trop entrer dans les détails de la recette exacte qui risqueraient de la trahir.

 — Voilà qui me semble délicieux ! Mais dites-moi, je vous demande ça et je ne connais même pas votre nom. Quellle incivilité de ma part !

 — Je suis Sati, et vous ?

 — Miglew, enchanté. Juste une question, permettez-moi ; pourquoi être venue spécifiquement ici ? Dans ce petit campement ?

 — Oh, ce n'est pas le premier auquel je rends visite, répondit Sati en mélangeant sa tambouille. Ne maniant pas les arts de la guerre, j'ai décidé de me rendre utile en visitant le plus de retranchements possibles, car je sais à quel point les temps peuvent être difficiles et rien de mieux qu'une succulente sustentation pour apaiser tout cela.

 — C'est bien noble de votre part. Cependant, ce ne sera pas suffisant pour que j'oublie que mon frère se trouve dans une cage à quelques mètres de moi, ni que j'ai dû moi-même l'y enfermer.

 — Vous m'en voyiez navrée.

 — Merci. Je ressens au fond de moi qu'il est un traître, mais je ne peux m'empêcher de penser que ce n'est pas vraiment de sa faute... Comme si la déesse exerçait sur lui une emprise inconnue, indépendante de sa volonté propre... Vous avez aussi des proches qui se sont montrés plus fidèles à la Réceptrice qu'au bien commun ?

 — Non, je suis venue seule ici. Ma famille viendra s'installer dans les jours qui suivent.

 — Je vois... Mais dites-moi, ne trouvez-vous pas dangereux de vous déplacer seule de camps en camps sans escorte dans cette forêt inconnue ?

 — Je sais que je ne risque rien. Il ne m'est rien arrivé jusqu'ici, je me sens plutôt sereine.

 — Vraiment ? Alors que sont ces tâches rougeâtres qui salissent le bas de votre vêtement ?

 Sati n'avait même pas remarqué cela. Tentant de cacher le tremblement de sa voix, elle inventa un rapide mensonge tout en saupoudrant quelques herbes dans la mixture :

 — Des débordements. Vous m'aviez demandé si je n'avais pas peur dans la forêt, mais c'est surtout dans nos clairières que je crains le plus de mourir actuellement.

 — Je vous comprends...

 — Alors, rassuré ? Ou vous vous sentez toujours obligé de me surveiller ?

 Miglew émit un petit rire.

 — Je suis juste venu comprendre vos intentions. Et puis vous savez, je n'ai pas besoin d'être devant vous pour vous voir. Ici, nous partageons tous la même vue.

 — Un guetteur est ici, c'est cela ?

 — Vous comprenez vite.

 — J'ai un ami qui possède ce don également, c'est pour ça, raconta l'espionne. Pensez-vous que je pourrais aussi bénéficier de cette vue le temps de ma présence ici ?

 — À quoi cela vous servirait ? Vous n'avez pas besoin de faire la garde, c'est notre boulot ça.

 — Je sais bien. Cela me rassurerait seulement de savoir qu'aucun autre débordement ne se prépare ici.

 — Je vous assure que ce n'est pas le cas, tout est sous contrôle.

 — Bien, j'ai terminé, déclara la cuisinière en éteignant le feu.

 — Déjà ? s'étonna son interlocuteur.

 — Pas besoin de bien plus pour préparer de succulents mets.

 — Il s'agit tout de même d'une recette bien rapide, suspecta Miglew.

 — C'est mon métier, je sais y faire. Et puis j'ai choisi ce plat pour pouvoir me rendre utile au plus de monde possible.

 La sentinelle plissa les yeux, puis aida Sati à sortir le chaudron de la hutte avant de convier ses collègues au repas.

 — Alors, demanda la cuistot, qui est notre fameux guetteur ?

 — Qu'est-ce que cela vous apporterez de le savoir ?

 — Il occupe le poste le plus fatiguant. Je voudrais lui faire l'honneur de se servir en premier.

 Miglew observa un instant les traits tirés de la bienfaitrice bénévole en silence avant de désigner un gaillard qui semblait un peu dans la lune.

 — Jo, ramène-toi ! Tu seras le premier à manger.

 — Vraiment ? Pourquoi moi ? C'est super sympa !

 Jo s'approcha de sa démarche nonchalante coutumière de la pitance.

 — En tout cas ça sent super bon ! s'extasia le guetteur. J'ai hâte.

 Sati lui tendit une écuelle remplit de tout ce qu'il faut, un sourire satisfait se dessinant sur ses lèvres. 

 — Oui, mais d'abord, interrompit Miglew en empêchant Jo de se servir de l'assiette, notre maître queux nous fera le plaisir de goûter avant nous.

 — Comment cela ? s'inquiéta Sati.

 — Je dois m'assurer que tu ne comptes pas nous empoisonner. On ne peut faire confiance à personne en ces temps-ci.

 Sati ne montra aucune hésitation et engloutit une cuillère de sa préparation. Elle dissimula une grimace ; ce n'était pas très bon.

 — Voyez ?

 Miglew attendit qu'aucun symptôme n'affecte la cuisinière avant de permettre à Jo de manger. Dès que Sati eut lâché la faïence, elle leva haut ses bras comme pour s'étirer, puis frappa dans ses mains à deux reprises. Alors que Jo engloutissait sa première portion, Unio répondit au signal. Une flèche se logea entre les deux oreilles de l'affamé.

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