44/ Renforts

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 Le second Esprit, s'élevant jusqu'à huit mètres vers le ciel, était placé assez loin des combats. Ses racines ne pouvaient supporter un tel poids, alors pour avancer, elles glissaient sur le sol, s'enfonçaient dedans, puis tiraient le tronc. Autant dire, un déplacement très peu rapide. Il était muni de trois appendices en formes de poings géants. Lorsqu'il atteignit enfin le champ de bataille, il martela un des rebelles qui n'avait pas pensé à lever la tête. Les autres, contrairement à Mastiff, savaient qu'il serait préférable de l'éviter. Plusieurs défenseurs se placèrent près de lui pour s'assurer une protection indéfectible.

 L'orbe ténébreuse lévitait entre les membres du conseil. Une voix s'en échappa, résonnant comme si elle provenait de nulle part et de partout à la fois.

 — Alors comme ça on fait appel à bibi ?

 — Nous implorons votre aide, affirma un serviteur en toge.

 — Ohoh ! Il se passe quoi ?

 — Nous sommes attaqués, et il est probable que nous perdions sans vous.

 — Ohoh ! Intéressant ! Vous avez quoi en échange ?

 — Pas grand-chose, malheureusement. Nous vous offrirons ce que vous voudrez une fois la bataille terminée.

 — Vous croyez arnaquer qui comme ça ? N'oubliez pas à qui vous avez affaire...

 — Oui, nous n'oublions pas. Jamais nous ne vous tromperions.

 — Très bien ! Alors disons que je prendrais... vos vies !

 — Quoi ? C'est absurde, sans nous, vous ne pouvez pas être amené ici !

 — Me sous-estimez pas ! Allez, acceptez l'offrande !

 Les conseillers se dévisagèrent un instant.

 — Nous ne le pouvons pas, vous nous en voyez désolés.

 — Quand on veut, on peut !

 — On ne veut pas !

 — Ouais c'est ça, assez joué.

 La bille d'ombre envoya des éclairs de fumée dans chacun des invocateurs. Leurs expressions se pétrifièrent de terreur, leurs globes oculaires se transformèrent en deux balles de brumes, leurs bouches crachaient une vapeur noire. Se nourrissant de la vigueur de leurs esprits, l'orbe acquit assez de puissance pour prendre une forme physique.

 — On verra après si je vous laisse en vie. C'est moi qui décide !

 Mastiff se releva. Sa tête lui tournait, et l'Esprit s'approchait toujours. Le colosse de bois lui envoya son fouet dessus. Le colosse musculeux se ressaisit et l'agrippa. Il ancra ses pieds dans la terre, compensant l'inertie du flagellum. Son torse en prit un coup, que sa force d'esprit lui permit d'ignorer. Mastiff le tenait fermement, tirant l'Esprit vers lui. Il le traîna sur quelques pas. Bien trop insuffisant, car le fouet l'envoya dans les airs. Le rebelle refusait de lâcher, et le flagellum le projeta rudement contre le sol, broyant ses os.

  Unio défonça le gond d'une des cages. Bien que suffisamment bien élaborées pour empêcher les prisonniers de s'en échapper, elles n'étaient pas ardues à ouvrir depuis l'extérieur, les zones fragiles étant repérables sans difficulté de ce côté. Il faut dire que les constructeurs n'avaient pas vraiment eu le temps de perfectionner leur système, devant répondre à une demande immédiate. Lo-Fan, le déserteur fatigué, sans réelle motivation, était moitié moins rapide qu'Unio, mais délivra tout de même quatre prisonniers.

 L'archer sans arc observa le champ de bataille. Il ne restait plus que lui. Tous les autres étaient morts. Quatorze guerriers, sans compter ni le général ni les conseillers, avançaient vers le dernier survivant de l'assaut, sous l'ombre des esprits imposants.

 — Pour la Réceptrice ! cria le rebelle chauve pour motiver les troupes.

 En effet, il disposait du renfort de douze soldats. Ce n'était pas l'idéal pour venir à bout des adversaires en face d'eux. Comme si cela ne suffisait pas, seulement huit s'étaient armés. Et tous n'étaient pas déterminés à combattre.

 — On devrait battre en retraite, suggéra un des nouveaux.

 — Ce n'est pas une option, refusa Unio. Les autres campements ne doivent pas être informés.

 — Nous n'avons qu'à les distancer !

 — Nous allons juste mourir face à eux, ajouta un prisonnier aux mains vides.

 — Oui ! Ils seront bientôt sur nous ! On a encore le temps...

 — Restez et battez-vous, dit fermement Unio, qui ne s'imposait pourtant jamais.

 Et alors que la défaite était déjà suffisamment tangible, une orbe d'encre aussi grosse qu'une pastèque jaillit, traversant l'espace telle une corneille supersonique. Elle s'allongea et recouvrit un révolutionnaire. Il disparut sous la tâche noire qui le dévora, ne laissant de lui qu'un souvenir flou. Elle engloutit sans perdre de temps un second rebelle dont l'arme n'eut aucun effet sur elle.

 Odal extirpa son épée de la jeune archère, puis regarda dans la clairière. Le chaos s'était déchaîné. Non, il n'allait certainement pas revenir avant que tout ne soit fini. Comme pour accorder son souhait, une voix lui parvint.

 — Qui êtes-vous ? lui dit-elle.

 Odal se retourna et reconnut son interlocutrice.

 — Réceptrice ! l'accueillit-il chaleureusement. Ravi de voir que vous êtes bien de notre côté ! Des rumeurs circulaient comme quoi...

 — Qui êtes-vous ? Et qui est cette fille ?

 — Je suis Odal, soldat du général Kros ! Et elle, une archère embusquée que j'ai dû éliminer. Notre campement est attaqué, auriez-vous la clémence de repousser avec nous l'envahisseur ?

 — Je suis désolée. Les rumeurs étaient vraies. Je suis l'envahisseur.

 — Par tous les Esprits ! Je suis perdu...

 — Vous avez encore l'opportunité de nous rejoindre.

 — J'en serai honoré.

 Quatre s'approcha de l'adolescente et lui posa la main dessus. Ses yeux couleur abricot s'ouvrirent, comme réanimée par son contact.

 — Réceptrice, souffla-t-elle faiblement.

 — C'est moi. Tout va bien aller.

 — Vous êtes... seule ?

 — Non. Je ne pouvais pas choisir délibérément de laisser mourir mes fidèles.

 Londock, Pikila et un troisième archer, talonnés par six nouveaux libérés, apparurent dans le champ de vision du soldat ayant retourné sa veste.

 — S'il en est ainsi, dit-il, vous devriez vous dépêcher ! Vos troupes se font décimer là-bas !

 Soignée pendant leur discussion, l'archère vit la déesse bondir dans le champ de bataille, suivie par ses guerriers.

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