Chapitre 1 : L'éveil

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— Où suis-je ?

Je ne sentais, non, je ne ressentais rien. Ni corps, ni esprit… le vide. Cette pensée dénuée d'information qui ne savait où j'étais se confrontait à la recherche de qui j’étais, ce que j’étais. L’unique chose dont j’étais certain était cette noirceur qui oppressait ma vue. Un noir si sombre, si intense, il semblait créer une force qui entravait ma volonté. Ce n’était que néant, mais un néant solide, palpable, qui m’empêchait même de respirer. Je ne flottais pas, j’étais écrasé par ce sinistre poids. La mort, la naissance, rien de tout cela n’existait. C’est à ce moment que je le vis. Chaque ligne d’une blancheur... comme si une gomme tentait d’effacer ce voile noir : le cercle. Les ombres inversées d’un œuf, d’un fœtus, d’un cœur, d’un poisson, d’un lézard et enfin d’un ver ressortaient de l’obscurité, tournant en un cercle parfait.

— Est-ce le cercle de la vie ?

Au centre de cette géométrie, un cube immaculé semblait envouter mon regard. Je sentais un picotement parcourir… mon corps ? Ce cube m’appelait, il savait ce que j’étais, c’était ma réponse. Alors que ma vision se fixait au cœur du cube, de plus en plus profondément, ce dernier se mit à se mouvoir. Doucement, il se mit à tourner sur lui-même, puis sa forme changea jusqu’à former un simple cercle. Bientôt, de minuscules traits se fixèrent à l’intérieur de ce cercle, puis deux autres, plus grands, en son centre. C’était une horloge. C’est alors que les aiguilles se mirent à tourner, de plus en plus vite. Mon regard, désormais accroché à ce mouvement anarchique, souffrait de mille feux. Une douleur immense entra en moi, insoutenable, grésillante, si bien qu’avant de sombrer, une seule pensée m’échappa.

— Je dois réussir à sortir.

Puis tout devint noir.

J’ouvris les yeux face à un miroir. J’étais debout, à peine aveuglé par lumière artificielle qui éclairait la pièce dans laquelle je me trouvais. Mais j’étais bien trop occupé à m’interroger sur ce à quoi je ressemblais pour observer ce qui m’entourait. Je n’étais qu’une ombre, une silhouette brouillée avec deux trous blancs à la place des yeux.

— C’est moi ? soufflais-je en levant ma main. Mon reflet dans le miroir en fit de même, c’est alors qu’en me décalant légèrement, un symbole attira mon attention dans l'écho de la psyché. C’était une sorte de S tracé avec un liquide rouge. Cependant, lorsque je me retournai, le mur dans mon dos restait ostentatoirement dénué d’une moindre trace inhabituelle. Cette étrange découverte me fit sortir de ma léthargie et je me concentrai sur mon reflet. C’est comme si je n’étais qu’une esquisse. Tout restait encore à faire chez moi et j’avais l’étrange certitude que la seule manière de me compléter serait de trouver ce fameux cube. Je le sentais en moi, cet endroit était mystérieux et inévitablement relié au cercle de la vie. Ainsi, après un dernier regard à mon reflet et au symbole mystique, je fis face à la pièce.

Autre que le miroir, il y avait à sa gauche un placard en hauteur et plus loin une petite table. Je me dirigeai vers celle-ci et vis qu’il y avait posé dessus un téléphone à cadran et une enveloppe. L’enveloppe était scellée de manière à ce qu’il m’était impossible de l’ouvrir sans un objet coupant et même en la passant à la lumière, il m’était impossible de la déchiffrer. Devant la pauvreté de ces découvertes, je ne perdis pas espoir et déplaçai la table sous le placard afin de monter dessus pour observer ce que contenait le meuble. Il était fermé à clé mais je pouvais distinguer un bocal à travers la vitre. Par ailleurs, un pot de fleur avait été déposé sur le placard et je découvris à l’intérieur du pot une bougie que je m’empressai de récupérer, elle pourrait toujours servir en cas de panne d’électricité. Ne voyant rien d’autre dans cette pièce carrée hormis cet affreux papier peint aux motifs peu harmonieux, je traversai la porte à gauche pour entrer dans une nouvelle pièce. Je fus bizarrement surpris quand je vis qu’il n’y avait dans cette place qu’un unique meuble de quatre tiroirs sur lequel était déposée une boite en bois. Un mécanisme fermait la boite mais il semblait heureusement assez simple à décoder. Il me suffisait en effet de tourner les deux demi-cercles aux extrémités pour dégager les rectangles bloquant le cercle incomplet du milieu et tourner le crochait qui fermait le coffre. Bingo ! Dans un cliquetis satisfaisant, les deux loquets s’ouvrirent en même temps et je trouvais une nouvelle bougie dans la boite. Les deux bougies en main, je me baissai pour voir si les tiroirs du meuble ne contenaient pas quelques merveilles et quelle fut ma joie quand je m’aperçu qu’aucun des tiroirs n’étaient fermés à clé et surtout, j’avais mis la main sur une troisième bougie, un couteau qui me permettrait d’ouvrir la lettre et… un poisson mort. Cette dernière découverte m’intriguait hautement mais ne pouvait pas avoir été placée là sans aucune intention. C’est pourquoi je déposai le poisson dans le petit tas d’artefacts que j’avais déjà récupéré. Légèrement tremblant, d’inquiétude ou de détermination, je ne le sais, je passai une nouvelle porte. Je me trouvais dans une pièce qui ne contenait qu’une imposante et ancienne horloge. Cassée, ses aiguilles étaient pointées sur le nombre douze et le coffre était fermé. Ainsi, je ne m’attardai pas dans cette zone et ouvrit une autre porte. Aucun meuble. Mais lorsque je vis ce qui traversait le mur, je cru rêver. Une fenêtre, une voie vers la liberté me permettant de m’échapper de ce lieu à l’apparence diabolique. Mais si je fuyais qu’adviendrai-je ? Une silhouette dénuée de traits ? Devrai-je dire adieu à mon passé, mon présent, mon avenir ? Je ne pouvais pas fuir mais décidai tout de même d’inspecter la fenêtre en quête d’indices. J’ouvrai les deux vitres sur un paysage magnifique. Un large lac et une rivière séparaient forêt et montagnes, un pont reliait un moulin et une chapelle, enfin, un manoir aux pierres blanches semblait avoir déposé au milieu de l’eau. Tout cela semblait trop beau pour être vrai et c’est avec une incroyable déception que je pris conscience de n’observer qu’une photocopie, un dessin glissé entre la fenêtre et le mur. Je criai de rage. Il n’y avait aucune issue à cet enfer qui ne faisait que me jouer des tours, aucune porte de sortie. D’une main tremblante de colère, je récupérai le couteau que j’avais trouvé et d’un geste plein de haine accompagné d’un cri douloureux, je tranchai cet épais papier trompeur. Je ne pouvais plus réfléchir, je tranchai, découpai, arrachai jusqu’à voir apparaitre derrière cette affiche non pas le mur mais un étrange autel. Ma colère disparue subitement, laissant place à l’incompréhension puis à un éclair de génie. L’autel était composé de quatre petites coupelles dans les quatre coins, d’un large socle en bas et tout en haut d’un cercle me rappelant étrangement un œil fermé. C’est en apercevant une bougie déjà disposée sur une petite coupelle dans un coin en bas à gauche que me pris l’envie de poser mes trois bougies dans les autres coins et sans raison particulière, le poisson sur le socle. Il ne se passa rien mais je n’en fus surpris. En effet, si j’avais bien compris la logique, il me manquait du feu pour allumer les bougies. Je me précipitai alors dans la première pièce que j’avais vu et à l’aide du couteau, j’ouvris l’enveloppe. Il y avait à l’intérieur le cercle de la vie que j’avais déjà vu dans mon néant avec comme inscription « éclaire moi ». En observant le cercle je reconnu le poisson. Était-ce la première étape de la vie ? Mon regard se détourna de l’enveloppe et se posa machinalement sur le téléphone à cadran. La lettre ne devait pas avoir été placée près du téléphone par hasard. D’une main hésitante, je saisi le combiné et rencontrai un silence seulement coupé par une respiration paraissant tout sauf humaine. Poussé par une conviction n’émanant pas de ma volonté, les yeux rivés sur l’enveloppe, je murmurai les deux mots écrits dans la lettre « éclaire moi ». A peine ai-je fini ma phrase qu’une boite d’allumette tomba juste sous mon nez. Je levai brusquement la tête mais le plafond demeurait dur et vide. Je n’eus pas le temps de m’interroger davantage que déjà la communication fut coupée. Alors, sans me poser de question je me dirigeai vers l’autel, le paquet d’allumettes à la main et sans respirer, j’allumai les bougies. Doucement, l’œil en haut s’ouvrit. Pendant quelques secondes, je cru qu’il donnait sur le néant et restai paralysé sur cette vision d’horreur avant de remarquer qu’il donnait sur une vaste étendue bleu foncé, ressemblant au ciel de nuit humain. Sans prendre le temps de réfléchir, je m’avançai et, voyant qu’il ne me faisait aucun mal, je passai ma main dans ce trou bleu avant de plonger entièrement.

Je m’attendais à ressentir la douleur mais rien ne me préparait à cette sensation. Je flottai dans l’espace. À l’horizon, il n’y avait que nuit et points blancs, des étoiles. Cependant cette liberté donnait la nausée. Je tournai la tête vers le haut et le vis. Le cube blanc. Plus je m’approchais, plus il grossissait. Mon corps convulsait presque de joie lorsque je ne fus plus qu’à quelques millimètres de le toucher, je pouvais presque le tenir entre mes doigts lorsque le moment fatidique arriva. Dès lors que mon épiderme grésillant entra en contact avec la surface lisse du cube, un éclair me parcouru et m’aveugla.

Lorsque j’ouvris les yeux, j’étais face à un miroir, je n’étais qu’une ombre sombre, une silhouette brouillée, sauf que maintenant, j’avais à la place d’une tête de forme humaine, une tête en forme de poisson.

J’allais devoir subir toutes les étapes du cercle de la vie.

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