Chapitre 2 : Comme un poisson dans l'eau

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Cette tête de poisson géant bougeait dans tous les sens et contrastait fortement avec mon corps d’humain. Essayant de ne pas trop songer à cette transformation qui me rapprochait sans nul doute de mon but, je déviai de quelques centimètres mon regard, espérant retrouver l’étrange symbole. Il n’était plus là. Par acquis de conscience, je penchai ma tête, par ailleurs vraiment lourde, dans tous les sens et finis par découvrir un symbole. Cependant, placé à gauche de ma tête dans le reflet alors que l’autre était à ma droite, ce symbole était très différent. Toujours tracé de cette mystérieuse encre rouge, c’était cette fois un carré barré à l’horizontale qui était dessiné. S’agissait-il d’une rune ? Y avait-il un sens caché ? Ne trouvant aucune réponse à mes questionnements, je décidai de retenir ce symbole dans un coin de ma mémoire avant de détourner le regard vers quelque chose qui m’attirait depuis plusieurs minutes déjà. En effet, coincé entre le miroir et le mur, un coquillage de la taille de la paume de ma main et de la forme d’une coquille d’escargot se tenait. Si je réfléchissais bien, j’étais désormais un poisson. Ainsi, peut-être que les coquillages remplaçaient les bougies. Il me faudrait encore en trouver deux, considérant qu’un me serait donné dans l’autel, ou trois en cas contraire. Il était donc temps d’explorer. Plein d’une nouvelle détermination, je m’apprêtai à faire face à la pièce, mais à sa vue, je lâchai mon butin de stupeur. Il y avait toujours les mêmes objets, une table, un téléphone à cadran et un placard mais ils étaient… différents. Comme non soumis à la gravité, ils s’élevaient dans l’air. Ou bien flottaient comme dans l’eau. Bien sûr, c’était logique ! Mais je n’avais aucunement l’impression d’être dans l’eau avant cela. Enfouissant cette information plutôt déroutante, je me dirigeai vers le téléphone et décrochai le combiné. Rien ne sonna mais une douzaine de petites bulles en sortirent. Intrigué de ces billes d’air qui flottaient devant moi, j’en touchai une pour la faire éclater. Or, au lieu d’éclater sans laisser de trace, la bulle libéra une goutte d’encre qui tomba sur la table en formant un « L ». Je retentai alors l’expérience avec toutes les autres bulles dans l’ordre jusqu’à tomber sur une phrase : « laisse-le couler ». J’eus à peine le temps de me demander de qui ou quoi parlait cette phrase, qu’un bateau en papier tomba au gré des flots sous mes yeux. J’avais maintenant ma réponse. Méticuleusement, pour ne pas déchirer le papier mouillé, je dépliai l’origami pour redécouvrir la lettre sur laquelle était dessiné le cercle de la vie. Cependant, le pliage avait également révélé une clé. Ma vision se posa immédiatement sur le placard fermé à clé. Grâce à mon état de poisson, il m’était nettement plus facile d’accéder au meuble afin de délivrer le bocal vide. Les mains pleines, je mis le couteau et les allumettes dans le bocal et le coquillage dans l’autre main avant d’aller dans la pièce de gauche. Tous les tiroirs du meuble étaient éparpillés dans la pièce ainsi que le coffre qui contenait par ailleurs une nouvelle coquille. J’allais donc me diriger vers la porte suivante quand quelque chose rebondit sur ma tête. Mes yeux s’écarquillèrent d’incrédulité en contemplant cet objet tout droit sorti de l’inconnu. On aurait dit un cornichon géant aussi long que la moitié de mon avant-bras. Sa peau verdâtre était recouverte d’une trentaine de pustules, mais surtout, lorsque je le secouai, je sentis quelque chose bouger à l’intérieur. Piqué de curiosité, je cherchai par tous les moyens à l’ouvrir mais sa peau était protégée par une membrane incassable. Ainsi, la seule manière d’altérer le cornichon était d’éclater ses pustules. Cependant, dès lors qu’une explosait, elle se reformait immédiatement. Pris d’une frustration soudaine, je me mis à appuyer sur chacune des pustules jusqu’à en trouver une qui resta éclatée. Mais lorsque j’appuyai sur celle d’à côté, les deux se reformèrent, me prenant au dépourvu. Bien loin de mon énervement précédent, je compris qu’il fallait surement éclater ces pustules dans un certain ordre, et j’avais déjà trouvé la première. Problème, il y avait beaucoup trop de nodules à essayer. Alors, prenant ma patience à deux mains, je commençais ce travail acharné pour découvrir ce que cachait le fruit. De longues minutes à tourner et retourner le cornichon dans tous les sens, appuyer sur des pustules visqueuses, plus ou moins grandes, lâcher l’objet de surprise, quand tous les pores se reformaient, me permirent de former un schéma de sept pustules sans qu’elles ne reviennent à leur état d’origine. Malheureusement, ma motivation faiblissait et mon découragement naissait face à cette tâche qui n’en finissait pas. Prêts à tout abandonner alors que je n’étais qu’au quart de mes recherches, je posai un de mes doigts au hasard et effectuai une légère pression sur une des excroissances quand un déclic se fit entendre et le fruit s’ouvrit en deux. Je soupirai de soulagement en constatant qu’il ne fallait donc pas éclater toutes les pustules, ce qui m’aurait pris des heures entières. Méticuleusement et les mains tremblantes d’excitation, je séparai les deux moitiés de l’objet pour découvrir un troisième coquillage. Je me rapprochais ainsi de plus en plus du but et le fait d’avoir une troisième coquille confirmait bien ma théorie selon laquelle ces dernières remplaçaient les bougies. Revigoré par cette nouvelle, je choisis tout de même d’aller visiter la dernière pièce avant d’aller à l’autel. En arrivant, je ne prêtai pas d’attention à l’horloge comtoise, qui me paraissait inchangée, mais dirigeai plutôt mon regard vers une bouteille qui flottait. Il y avait à l’intérieur le dernier coquillage, or, le goulot était bien trop petit pour le laisser passer. Heureusement, je remarquai une fissure que j’accentuai en tapant la bouteille contre le mur. Soudain, le verre céda et je pus récupérer la coquille d’une main tout en me penchant en arrière pour éviter les projections tranchantes de la bouteille. Je n'avais pas pris en compte que malgré l'eau qui ralentissait mes gestes, le choc serait aussi proche de mon visage et violent. Cependant, les bras chargés et le manque d’équilibre me firent chuter le long de l’horloge. C’est au moment où mon dos entra en contact avec le bois du coffre et qu’un objet piquant me blessa que je compris que cette horloge comtoise n’était peut-être pas restée totalement inchangée. Il y avait en effet un clou rouillé qui dépassait du bois. En tirant dessus, d’autres clous et des fragments de bois s’écoulèrent dans l’eau. Je continuai d’arracher ces morceaux, certain que le coffre à balancier renfermait un secret quand mon cœur cessa soudain de battre. Le dégout de ce que je voyais faisait monter en moi des hauts le cœur et des frissons me parcouraient. Un bras. Un bras sortait du trou que j’avais creusé. Tétanisé, je ne pouvais ni bouger, ni respirer. Encore plus lorsque, imperceptiblement, les doigts se mirent à remuer. Un son guttural sorti de ma gorge. D’un geste que je ne contrôlais pas, ma main posa le couteau que j’avais trouvé dans la paume de cette main inconnue. Alors que ses doigts se refermaient sur l’arme, son bras se recroquevilla à l’intérieur de l’horloge. Ayant à peine le temps de souffler de soulagement, le membre sorti de nouveau, tenant dans sa paume un objet suintant un liquide d’un rouge si foncé qu’il semblait noir. L’odeur qui s’en dégageait, fétide, écœurante, métallique, tuait mes sens. Alors que ses cavités battaient encore, de moins en moins vite, les artères et veines laissaient s’écouler une quantité épouvantable de sang noir. Aux vues de sa taille, c’était un cœur humain. Je ne pouvais me résoudre à le regarder mais je savais qu’il m’était indispensable de le prendre avec moi, c’était la prochaine étape du cercle de la vie. Ainsi, ravalant mon dégout, je récupérai en fermant les yeux ce funeste fardeau et nageai vers l’autel. Je me dépêchai de retirer le poisson du socle pour y déposer le cœur qui désormais, ne battait plus. Avant de mettre les coquillages sur les coupelles, les bougies ayant mystérieusement disparues, je remplis le bocal d’eau pour avoir un moyen de respirer si jamais je restais avec une tête de poisson dans un autre monde. Je ne pourrai tout de même pas avoir une tête de cœur ? Cela n’avait aucun sens. De plus, en tant que poisson, il me semblait normal d’être dans un monde rempli d’eau. Or, si ma prochaine transformation était le cœur, à quoi pourrait bien ressembler le futur monde dans lequel j'allais renaître ? Serai-je à l’intérieur d’un cœur ? Peut-être retrouverai-je ma première apparence, silhouette ressemblant à celle d’un humain. C’était avec beaucoup d’appréhension que je louchai sur cette étrange trappe qui s’ouvrait comme un œil. Soufflant un grand coup, je ne perdis pas plus de temps et plongeai dans le vide.

Cette fois, ce n’était pas un cube blanc qui m’attendait, mais un cube noir. Mais ce n’était pas un noir classique. Il paraissait absorber mon regard, comme un tourbillon qui fatalement nous submergeait. Ne luttant pas contre l’attraction, mon corps se rapprochait de lui-même de ce cube. Une peur terrible s’accrochait à moi, sans que je ne puisse en distinguer la raison. Arrivé proche du cube, j’effleurai à peine du doigt une arête sombre que mon corps fut propulsé.

Ouvrant les yeux face à un objet familier, une unique pensée me traversa.

— Au moins, je suis débarrassé de cette tête de poisson...

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