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Elle fit un pas, puis un second vers le placard.

Elle parcourut de nouveau du regard sa chambre. Sa chambre dégageait une impression de normalité et de sérénité. Il n'y avait pas de place pour les monstres ici.

Elle s'approcha à nouveau du placard.

Il n'y avait rien. Le silence. La maison s'était tue, dans l'attente de ce qui allait se passer. Comme si elle retenait son souffle.

Encore un pas vers ce maudit placard. Evangeline jeta un bref regard vers son lit douillet, puis elle s'arrêta en soupirant.

Rien.

Elle se fit l'effet d'être l'héroïne d'un mauvais film d'horreur. De ces héroïnes qui vont vers leur mort certaine au lieu de fuir à toutes jambes. Evangeline chassa cette pensée peu rassurante, et elle avança d'un nouveau pas.

Elle y était. Elle n'avait plus qu'à tendre la main pour toucher le placard.

Le silence l'enveloppait. Lourd. Angoissant. Le bruit qui l'avait éveillée, les grognements, tout ça ne semblait qu'être un produit de son imagination.

Evangeline ferma les yeux et inspira profondément. Puis, elle rouvrit les yeux et tendit la main pour toucher la porcelaine glacée du bouton de la porte.

Elle ne tremblait plus. Elle se sentait comme détachée de l'action, comme si elle regardait un film.

Elle n'était plus celle qui allait ouvrir la porte. Elle contemplait juste la scène à travers ses propres yeux, un hurlement silencieux à la bouche.

Sa main amorça le mouvement de tourner le bouton de la porte, mais elle s'immobilisa, stupéfaite.

L'odeur était affreuse.

Elle plissa le nez, perplexe. C'était totalement irréel. A un tel point que toute peur en elle s'était envolée.

C'était une odeur fauve, un peu rance, comme celle que l'on peut sentir au zoo, quand il fait très chaud. Une odeur de déjections animales, une odeur de putréfaction sous-jacente... elle ne savait pas exactement comment la décrire.

Elle hésita longuement, la main sur la poignée, se mordillant la lèvre tandis qu'elle réfléchissait furieusement. Puis, elle se détendit légèrement. Un rat avait du se glisser dans le placard et y mourir. Un rat ou un autre animal.

L'odeur de décomposition avait dû commencé à se répandre. Elle l'avait probablement senti en entrant dans la chambre, mais elle n'y avait pas prêté attention.

Son inconscient avait transformé le tout en un cauchemar hyper-réaliste.

Elle s'apprêtait à ouvrir la porte du placard quand elle se figea de nouveau. Son raisonnement ne tenait pas.

Elle se souvenait avoir ouvert ce même placard plus tôt dans l'après-midi pour y stocker un carton qui traînait dans une des chambres d'amis. Et elle se souvenait parfaitement que le placard était vide : il n'y avait ni cadavre d'animal, ni odeur suspecte.

Evangeline avait les yeux fixés sur la porte du placard, indécise. Elle n'osait plus faire un geste.

Au moment où elle décida qu'elle avait très bien pu ne pas voir ce qui provoquait l'odeur étrange, au moment où elle allait enfin tourner la poignée qui s'était peu à peu réchauffée dans sa main, quelque chose ébranla la porte.

La secousse remonta jusqu'à son épaule.

Evangeline gémit, puis lâcha la poignée comme si elle s'était brûlée. Elle recula brusquement.

L'arrière de ses genoux entra sèchement en contact avec le bord du lit et elle tomba brutalement assise. Ses dents s'entrechoquèrent et elle se mordit sèchement la langue. Les larmes lui montèrent aux yeux et elle porta la main à sa bouche, fixant toujours le placard.

Prise d'une inspiration subite, elle passa par dessus le lit sans quitter le placard des yeux.

Elle se rendit compte qu'elle tenait à ce qu'il y ait un obstacle - si minime fut-il - entre ce qui tentait de défoncer la porte du placard de l'intérieur et elle.

Après un long silence, un nouveau coup ébranla la porte du placard. Evangeline était comme paralysée tandis qu'un frisson de terreur parcourait son échine.

Son esprit lui hurlait de fuir, de sortir de cette pièce, mais elle en était incapable.

Les chocs se mirent à se succéder à intervalles réguliers.

Fascinée, elle vit apparaître une fissure.

A chaque choc, la fissure s'étoilait, se divisait, se ramifiait, désignant un puzzle incompréhensible sur la porte.

Le bouton en porcelaine qu'elle aimait tant se détacha et tomba en tourbillonnant sur lui même. Il explosa en touchant le sol, créant des millions de petits fragments aussi coupants que des rasoirs.

Evangeline hoqueta et reporta son attention sur la porte.

Les coups continuaient, la faisant craquer et trembler de façon sinistre. Pourtant, miraculeusement, le fin panneau de bois tenait bon.

Puis, vint le coup fatal. La porte se disloqua littéralement. Le placard parut cracher des éclisses de bois, dont les plus gros avaient la taille de sa main.

L'un des morceaux, lui griffa la joue. C'est à peine si elle s'en rendit compte.

Avec un léger rire nerveux, elle pensa stupidement qu'elle aurait pu mourir là, décapitée par un morceau de porte de placard.

Elle porta toute son attention en un point. Elle était fascinée par le vide béant du placard.

Il y avait la bête.

Les couvertures et les cartons avaient disparu. A la place, il y avait le néant. Et de ce néant, elle était née.

Comme manquant de place, la bête sortit. Elle se dressa sur ses pattes arrières à la manière des ours.

Elle vit en premier lieu une grosse touffe de poils roux presque rouges. Les poils étaient sales et collaient entre eux par paquets.

Sans surprise, Evangeline se rendit comme que la bête bavait.

L'animal était dressé et avait déployé sa large carrure. Il émanait de cette chose une force colossale, brutale. C'était une vraie machine à tuer.

La chose avait les yeux rouge. Les mêmes yeux rouge rubis que ceux du chien de son enfance. Ses pupilles noires étaient réduites à deux traits. Et elle observait.

Le monstre se tenait légèrement voûté, comme pour minimiser sa formidable taille. Il avait une gueule proéminente presque simiesque.

Evangeline ne pouvait le comparer à rien de ce qu'elle connaissait. Ce n'était ni un loup, ni un singe, ni un ours, ni un fauve. C'était tout à la fois.

C'était un ensemble disparate, contre-nature et pourtant formant un tout harmonieux.

Il n'évoquait ni la lourdeur, ni la maladresse, mais plutôt un certain modèle de perfection. Il n'était pas beau comme pouvaient l'être certains animaux. Son existence suffisait à la rendre fantastique.

Il défiait toutes les lois du vivant : c'était une créature qui n'aurait jamais dû fouler cette terre.

Le monstre la fixait.

Evangeline l'étudiait.

La jeune femme comprit soudain avec un léger choc. Elle était le casse-croûte, le petit-en-cas, la friandise. Elle était le gibier, la proie.

Le monstre était le chasseur, le prédateur.

Malgré son esprit qui lui hurlait de fuir à toutes jambes, Evangeline ne bougeait pas.

La femme et l'animal s'observaient mutuellement.

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