5-

6 minutes de lecture

Evangeline eut l'intuition que tant qu'elle ne bougerait pas, le monstre face à elle n'attaquerait pas. Il jouait juste avec elle.

Elle n'avait aucun doutes qu'au moindre mouvement de sa part, le monstre bondirait et la tuerait. Sa vie ne tenait plus qu'à un fil, déjà bien effiloché.

Le monstre n'était pas un animal affamé cherchant à se nourrir. Il s'agissait juste d'un jeu, de tuer pour le plaisir.

Son statut de friandise avait remis en place les rouages de son cerveau. Evangeline restait immobile, mais elle pouvait à nouveau penser de façon cohérente.

Elle se sentit capable de survivre... Peut être grâce au fameux "Cogito, ergo sum".

Involontairement, les yeux de la jeune femme se posèrent sur les crocs de l'animal. Elle détourna le regard mal à l'aise devant leur taille inhabituelle.

La chose sembla sourire, étirant sa gueule de façon obscène, et une lueur d'intelligence passa dans son regard. Comme si elle était douée de pensée...

A force de fixer la créature sans ciller, les yeux d'Evangeline se mirent à la brûler, et à se fermer malgré eux. Ses paupières papillonnaient, et une espèce de torpeur l'envahit.

Elle eut l'impression qu'une chape de plomb lui tombait sur les épaules, et elle se sentait épuisée.

Elle pensa brièvement qu'elle allait finir par s'endormir debout.

Au prix d'un effort quasi-surhumain, elle se gifla pour la seconde fois de la nuit.

Le monstre qui s'était raidi en sentant son attention diminuer, se figea face à son geste. Evangeline crut lire de l'étonnement dans son regard. Un bref moment, elle se demanda si elle ne prêtait pas plus d'intelligence à la chose qu'elle n'en avait en réalité. Un genre d'anthropomorphisme.

La jeune femme inspira à fond, puis en prenant conscience qu'elle ne tiendrait pas toute la nuit, elle commença à chercher une issue avec une certaine fébrilité. Elle savait qu'il devait y avoir une issue, un moyen de s'en sortir. Ou tout du moins, elle voulait le croire.

Mais elle était certaine qu'un seul petit détail pourrait la sauver.

Un instant, Evangeline pensa hurler pour appeler à l'aide, mais elle abandonna immédiatement cette option. Sa chambre était légèrement à l'écart des autres : le temps que ses invitées se réveillent, ne comprennent qu'il y avait un problème, se lèvent et trouvent sa chambre... une éternité se serait passée. Elle aurait eu le temps de se faire dévorer plusieurs fois.

Malgré tout, si elle survivait jusque là quand même, son habitude de toujours s'enfermer - verrou tiré - dans sa chambre la desservait. Le temps que sa porte soit enfoncée, il serait trop tard.

Elle pensa ensuite se jeter sur la porte. La chambre n'était pas très grande, et elle n'était pas si éloignée que ça de la sortie. Cependant, le lit par dessus lequel elle était passée pour mettre un obstacle entre elle et le placard - aussi dérisoire fut-il - posait un premier problème. Le second problème était une fois de plus le verrou tiré. Le temps qu'elle n'atteigne la porte et ne réussisse à la déverrouiller, elle avait largement le temps de terminer dans l'estomac de la chose.

Une rapide évaluation du gabarit du monstre lui fit regretter la décision stupide de se retrancher derrière le lit. Vu sa taille démesurée, le meuble n'était pas un obstacle.

Une troisième option était la fenêtre dans son dos. Elle était bien entendu fermée, mais les volets étaient restés ouverts, tout simplement parce que la jeune femme aimait dormir avec la lueur rassurante des lampadaires.

C'était une vieille fenêtre, elle n'avait pas encore pris le temps de se renseigner pour poser des fenêtres plus modernes - et plus solides. La peinture s'écaillait, et avec un peu de chance, le châssis n'opposerait pas vraiment de résistance, si elle sautait à travers avec assez d'élan.

Sa chambre ne se trouvait qu'au premier étage, ce qui lui assurait de grandes chances de survie. Sans compter qu'elle était certaine qu'il y avait directement sous sa fenêtre des buissons assez épais qui amortiraient probablement sa chute.

La question primordiale qui se posait était alors de savoir quel serait son état à l'atterrissage ainsi que les conditions dudit atterrissage. Après tout, elle préférait nettement terminer la nuit avec une jambe cassée plutôt que de devenir le casse-croûte du croque-mitaine.

Evangeline jeta un nouveau coup d'oeil à la chose, et son idée s'envola aussitôt.

Si elle survivait à l'atterrissage, sans s'égorger en cassant la vitre, sans finir avec une artère sectionnée, et qu'elle se retrouvait dans son jardin, blessée mais en vie, rien n'empêcherait le monstre de sauter à sa suite pour la dévorer en terrasse plutôt qu'en salle.

La jeune femme n'avait déjà que peu de chances de distancer l'animal au cent mètres, alors avec une jambe cassée, les probabilités de voir le soleil se levaient étaient plus proches du néant qu'autre chose.

Le monstre eut un nouveau rictus qui ressemblait tant à un sourire, comme s'il devinait ses pensées. Comme s'il se réjouissait de voir le désespoir la gagner au fur et à mesure que ses idées de fuite s'amenuisaient. Comme si le monstre l'imaginait déjà avalée, se délectant du goût qu'elle aurait...

Gagnée peu à peu par la panique, Evangeline laissa son esprit battre la campagne, imaginant les solutions les plus farfelues pour s'en sortir.

Ainsi, elle s'imagina engagée dans un corps à corps épique, dans une lutte à mort qu'elle remporterait bien évidemment.

Après avoir chèrement défendu sa vie, Evangeline aurait le dessus en empalant la chose sur un des morceaux de porte qui étaient passés près d'elle. Peut être même celui qui l'avait blessé au visage.

Elle se voyait esquiver un bond de la chose, ce qui lui laisserait le temps d'ouvrir la fenêtre et de se laisser glisser en douceur.

Ces petites scènes de victoire totalement surréalistes qui se terminaient toujours par sa victoire écrasante sur le monstre la rassuraient, lui permettaient de garder son calme. Mais son imagination débordante la plongeait également dans une espèce de transe éveillée. Elle se sentit à nouveau sombrer dans le sommeil.

Le monstre étrécit ses yeux rubis et frémis, prêt à se ramasser sur lui-même pour bondir sur sa proie.

Evangeline se mordit la lèvre, mais comme cela ne suffit pas à la faire réagir, elle se gifla une fois encore.

Le monstre se figea à nouveau, tête penchée comme pour comprendre les réactions étranges de l'humaine face à lui. Il semblait ne pas comprendre son obstination à lui résister, à vouloir survivre à tout prix.

A cet instant, Evangeline comprit qu'elle allait mourir quoi qu'il arrive. Une vague de découragement et de terreur déferla sur elle, la faisant presque suffoquer.

Elle eut l'impression de ne plus pouvoir penser de façon cohérente, comme si la folie la guettait. Comme si la folie était la solution pour ne plus souffrir.

La terreur grignotait les dernières parcelles de sa raison, comme une petite bête affamée. L'idée même que la terreur pouvait être un rongeur grignotant le peu de chose qui séparait les hommes de la folie la fit glousser un instant.

Condamnée d'avance, Evangeline se sentit prête à se jeter sur le monstre. Elle n'avait plus qu'une seule envie : que toute cette folie se termine enfin.

L'esprit humain est capable de résister à des pressions incroyables, l'instinct de survie étant plus fort que tout. Mais il y a toujours un moment où le point de rupture est atteint et où tout s'effondre.

La jeune femme ne s'était jamais demandé ce qui se passait quand un esprit humain se brisait à force de subir trop de pression. Elle n'y avait pas vraiment réfléchi, même aux heures les plus sombres de sa vie.

A cet instant précis pourtant, elle approchait dangereusement de son propre point de rupture. Elle se demanda un instant si son esprit allait tout simplement se débrancher, une sorte de "Qu'importe ce qu'il arrivera, je m'en lave les mains". Peut-être que la peur allait faire lâcher son coeur en premier et qu'elle serait morte avant même de comprendre ce qui allait lui arriver. Ou alors, elle deviendrait folle au point de ne plus avoir peur.

Evangeline prit conscience qu'alors qu'elle se rapprochait peu à peu de la folie, la chose l'observait attentivement.

Le monstre dut sentir qu'au final sa proie n'offrirait que très peu de résistance.

Il esquissa un mouvement.

La panique se déversa sur Evangeline, accélérant son rythme cardiaque, l'inondant d'adrénaline.

La jeune femme recula. D'un pas. Puis d'un second.

Le monstre avança d'un pas au même rythme, comme pour garder un espace constant entre eux.

Soudain, Evangeline stoppa, yeux écarquillés.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lili76 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0