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L'année qu'avait connu Evangeline Stowe avait été riche en rebondissements. Après tout, elle n'était arrivée dans la petite ville d'Emerald que très récemment après une longue errance.

Elle avait rapidement trouvé du travail - rien de miraculeux, juste un poste de secrétaire à mi-temps - puis elle avait décidé de chercher un logement plus pérenne que les chambres d'hôtel auxquelles elle était habituée.

Un endroit qui serait bien à elle, un sanctuaire. Son refuge.

Lorsqu'au final elle avait trouvé, elle s'était déjà fait des amis et se sentait chez elle, à Emerald.

Ainsi après quelques mois de recherches infructueuses, Evangeline avait fini par trouver la maison de ses rêves. L'occasion était inespérée et la jeune femme n'aurait jamais pensé avoir tant de chance.

Pour la première fois depuis longtemps, elle avait retrouvé une certaine tranquillité et elle avait enfin posé ses valises.

Ana Parks et Evangeline Stowe avaient approximativement le même âge mais tout semblait les opposer.

Ana était l'archétype de la working girl. Cheveux noirs coupés au carré, toujours maquillée, et vêtue de tailleurs, elle était professionnelle jusqu'au bout de ses ongles parfaitement manucurés. Toujours au régime, elle était obsédée par son apparence, clamant en permanence que son image lui permettait de mieux vendre les maisons qu'elle avait en charge.

Evangeline était une jeune femme d'une trentaine d'années. Petite, un peu plus ronde que ce que la mode exigeait, elle était une femme discrète et timide. Ses cheveux d'un roux ardent et ses yeux clairs attiraient pourtant l'attention sur elle, à son grand dam. Elle aimait les vêtements confortables et ne se préoccupait pas vraiment de ce à quoi elle ressemblait.

Ana était aussi exubérante qu'Evangeline était renfermée. La brune ne serait jamais sortie de chez elle sans être parfaitement apprêtée alors que la rousse se moquait de son image. L'une vivait à cent à l'heure, l'oreille vissée à son portable. L'autre préférait la quiétude et aimait par dessus tout le calme des bibliothèques.

Malgré toutes leurs différences, l'entente avait été immédiate entre elles. Il leur avait fallu peu de temps pour devenir pratiquement inséparables.

Quand sa toute nouvelle amie Ana, qui était également son agent immobilier, lui avait remis les clés de sa maison, l'encre du chèque à peine sèche, elle avait décidé d'organiser une pendaison de crémaillère. Depuis toute petite, elle était persuadée que c'était l'événement à ne pas oublier pour faire d'une maison son foyer.

Lors de la première visite, Evangeline n'avait retenu qu'une chose : la maison était immense. Presque démesurée. Bien trop grande pour une personne seule, à dire vrai, mais elle avait eu un coup de cœur immédiat pour cette bâtisse qui ressemblait plus à un manoir qu'à un simple pavillon.

La demeure était relativement isolée. Elle était construite au centre d'un grand terrain, et les arbres plantés autour assuraient une intimité parfaite.

De l'autre côté de la rue, il y avait un terrain vague. Il n'y avait pas de voisins immédiats et ce détail avait séduit Evangeline au premier abord, plus que tout le reste.

Le prix demandé était dérisoire compte tenu de la superficie. Lorsqu'elle avait posé la question à Ana, la jeune femme avait grimacé avant de lui avouer que la vieille maison était restée inoccupée pendant près de cinquante ans.

Evangeline avait haussé les épaules, décidant que ça n'avait pas d'importance. L'occasion était trop belle pour la laisser échapper.

Le style de la maison était indescriptible. C'était un mélange de tout ce qui pouvait exister en matière de styles architecturaux. Le moderne côtoyait l'ancien, le néoclassicisme jouxtait le rococo. L'effet final était à la fois original et terriblement laid.

Ana avait plaisanté en lui disant que cette maison pourrait bien devenir un cas d'école à destination des futurs architectes pour leur enseigner ce qu'il ne fallait jamais faire.

Cependant, Evangeline était immédiatement tombée sous le charme de l'étrangeté de la maison.

Tout semblait de guingois, et pourtant, elle avait su immédiatement qu'elle ne trouverait jamais mieux à ses yeux.

A l'intérieur, la disposition des pièces semblait aléatoire. Les pièces étaient séparées par quelques marches qui montaient ou descendaient. La cuisine était distante de plusieurs pièces de la salle à manger. Les couloirs formaient des boucles ou donnaient sur des murs.

Ana avait suggéré en riant que les pièces avaient été ajoutées au hasard les unes après les autres, selon la fantaisies des précédents propriétaires.

Evangeline avait choisi la chambre qui se trouvait isolée des quatre autres pour se l'approprier. Elle avait adoré sa particularité : elle se trouvait au bout d'un long couloir. Trois marches y menaient. Elle était prête à parier que sur une annonce, Ana l'aurait nommée la chambre de Maître, de part sa position dominante.

La grande fenêtre donnait sur l'arrière de la maison. Au delà de la clôture, il y avait une ruelle déserte éclairée par un lampadaire à la lueur orange maladive.

Comme toutes les vieilles maisons, la bâtisse produisait à volonté craquements et grincements inquiétants à souhait. Des courants d'air faisaient claquer les lourdes portes en chêne. Pendant la visite, Ana avait sursauté plusieurs fois lorsque les portes claquaient, avant de grogner contre les courants d'air toujours présents dans les vieilles maisons. Evangeline avait souri et avait noté dans un coin de sa tête qu'elle devrait penser à fermer les portes ou à les caler si elle voulait éviter une crise cardiaque précoce.

Quelques heures après la remise des clés, l'information avait fait le tour de la petite ville. Dès qu'elle était entrée dans la boulangerie, le silence s'était fait.

En moins de temps qu'il ne fallait pour acheter une simple baguette de pain, elle avait entendu tout un tas d'histoire sur la maison qu'elle venait d'acheter.

La rumeur parlait d'accidents étranges, d'agressions. Au fur et à mesure que les incidents se multipliaient, près d'un siècle plus tôt, la réputation de la maison se forgeait.

Le point d'orgue eut lieu quand les précédents propriétaires furent grièvement blessés.

Personne ne fut capable de donner de détails à Evangeline, et elle remercia les bonnes âmes d'Emerald de l'avoir mise en garde. Elle était prête à parier que d'ici la fin du mois, on lui raconterait plusieurs versions de l'histoire terrible - et forcément sanglante - de sa maison...

Elle peina à garder son sérieux quand le mot tant attendu fut prononcé. "On" disait la maison hantée.

Evangeline sourit, salua poliment les commères d'Emerald et quitta la boutique en secouant la tête, guère impressionnée.

Des histoires de ce genre, chaque ville en avait. Il y avait toujours une maison abandonnée, qui devenait hantée au fil des années.

Parfois, un crime ancien, ou juste un accident tragique suffisait à rendre nerveux les propriétaires successifs et le moindre bruit inexplicable était aussitôt attribué à un fantôme malveillant.

Par chance, Evangeline Stowe n'était pas quelqu'un du genre impressionnable. Elle s'estimait plutôt terre à terre, et n'avait aucune foi dans les rumeurs qui pouvaient courir.

Le soir de la pendaison de crémaillère, Evangeline avait préparé un léger dîner, et disposé des bougies un peu partout dans le salon pauvrement meublé. Elle avait ajouté des miroirs placé stratégiquement pour multiplier les petites flammes dansantes, créant ainsi un cadre enchanteur.

Ses nouveaux amis l'avaient chaudement félicité pour son acquisition et la soirée avait parfaitement débuté. Evangeline fut ravie de constater que ses invités ne prenaient pas au sérieux les racontars qui circulaient concernant les soit-disant fantômes qui hanteraient son domicile.

Lorsque son patron Greg Barret arriva accompagné de sa nouvelle conquête, une superbe blonde plantureuse nommée Barbara - un véritable cliché sur pattes - la soirée battait son plein depuis déjà quelque temps.

Evangeline nota l'air mal à l'aise de la jeune femme qui regardait autour d'elle d'un air craintif, mais décidée à s'amuser, elle n'y prit pas garde.

Elle se décida à ignorer l'amie de Greg après avoir entendu plusieurs fois les mots "fantômes" et "hantée" sortir de sa bouche trop maquillée. Heureusement, personne ne semblait faire cas de ses histoires, qu'elle racontait d'une voix tremblante et bien trop aiguë pour être agréable.

Lorsqu'un courant d'air traversa le salon éteignant brusquement une grande partie des bougies, la pièce se retrouva plongée dans la pénombre. Barbara glapit, et s'agrippa au bras de Greg qui se mit à rire amusé.

Il y eut quelques gloussements nerveux, d'autant plus lorsqu'une porte claqua à l'étage. Voyant que Evangeline ne bronchait pas, ses amis se détendirent, souriant de leur propre bêtise.

Un craquement un peu plus fort que les autres fit hurler Barbara, qui jura que la maison était hantée par un esprit malin.

Voyant que personne ne semblait la prendre au sérieux, elle laissa échapper quelques sanglots dramatiques avant de fuir en courant.

Greg soupira, s'excusa auprès d'Evangeline et prit le temps de saluer tout le monde avant de partir.

L'incident bien que minime avait suffi pour mettre fin à la fête et la plupart des invités prirent congé tout en remerciant leur hôtesse pour la soirée.

Habitant trop loin pour venir à pied, elle avait proposé à Ana et deux autres amies, Lisbeth et Marie, de rester dormir : elle avait la place nécessaire, et la maison avait été vendue meublée.

Lorsqu'elles ne furent plus que toutes les quatre, Evangeline éteignit les bougies restantes, vérifia que les portes étaient parfaitement verrouillées et conduisit ses invitées vers leurs chambres.

Arrivées devant le majestueux escalier à double révolution, Ana reprit son rôle d'agent immobiliser pour attirer l'attention sur la rareté de tels escaliers, sur le travail magnifique de sculpture de la rampe et sur l'état parfait des marches.

Lisbeth, une petite blonde menue, l'air aussi délicate qu'une poupée de porcelaine, déclara en riant que la maison était écrasante, et à son avis bien trop grande pour une personne seule.

Evangeline rétorqua en souriant que pour elle, elle était fabuleuse et juste parfaite. Au moins, elle aurait la place pour les accueillir toutes et pour s'y sentir à son aise...

En riant, les quatre jeunes femmes arrivèrent à l'étage et Evangeline les laissa choisir leurs chambres. Elle leur indiqua l'emplacement des deux salles de bain et leur souhaita une bonne nuit.

Evangeline rejoignit sa chambre en baillant, satisfaite de la journée. Il était agréable de reprendre une vie normale après tous les chamboulements que sa vie avait connu.

Elle verrouilla soigneusement sa porte, une habitude qu'elle avait prise des années auparavant. Il ne lui fallut que quelques instants pour se déshabiller, enfiler un pyjama confortable et se glisser entre les draps frais de son lit.

Elle soupira de bien être tout en regardant autour d'elle, prévoyant mentalement de refaire la peinture de la chambre et de la décorer pour qu'elle soit plus accueillante.

Sans qu'elle ne s'en rende compte, elle rejoignit rapidement le royaume des songes.

Evangeline ouvrit brusquement les yeux. Quelque chose l'avait tirée du sommeil.

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