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L'esprit embrumé, elle resta immobile quelques instants, aux aguets.

Bien réveillée maintenant, même si elle n'avait entendu aucun bruit, elle tourna la tête vers son radio réveil avec un soupir.

Les chiffres rouges affichaient 23h55. Presque minuit donc...

Elle bailla et se frotta les yeux, surprise de constater qu'elle s'était couchée à peine une demi heure plus tôt. Puis elle fronça les sourcils perplexe : quelque chose n'allait pas mais elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui clochait.

La jeune femme entendit un bruit étrange, mais elle n'y prêta pas vraiment attention. Après tout la maison craquait et gémissait de partout. Elle commençait tout juste à s'habituer.

Malgré tout, elle était préoccupée : elle sentait au fond d'elle que quelque chose ne tournait pas rond. Son esprit survolté ne cessait de chercher ce qu'elle loupait sans pour autant trouver.

C'était une sensation aussi désagréable que d'avoir une démangeaison dans un endroit inaccessible, impossible à soulager.

Soudainement complètement réveillée, Evangeline s'assit dans son lit, l'oreille aux aguets. Elle décida qu'elle était bien trop énervée pour se rendormir... Autant déterminer ce qui l'avait tiré du sommeil si elle voulait avoir une chance de retrouver le sommeil.

Après quelques instants, elle dut se rendre à l'évidence : il n'y avait rien. Pas un bruit. La maison était totalement silencieuse.

Evangeline secoua la tête en souriant légèrement. La maison lui semblait toujours tellement bruyante et là, en pleine nuit, avec trois invitées dormant dans les chambres voisines, le silence en devenait presque pesant.

Elle soupira et s'apprêta à se recoucher, maudissant son patron d'avoir amené sa conquête du moment. La charmante Barbara avait probablement réussi à lui provoquer un cauchemar avec sa petite crise lors de son arrivée.

Evangeline gloussa doucement et posa la tête sur son oreiller.

Le bruit se reproduisit.

Evangeline se figea. Elle ne pouvait ni identifier ni situer le bruit, cependant un frisson de terreur la parcourut.

L'idée qu'elle avait déjà entendu ce bruit - un autre temps, un autre lieu - la traversa.

Elle secoua la tête en se redressant agacée. Elle marmonna à mi-voix "Ce n'est qu'un cauchemar", mais elle ne parvint pas réellement à s'en convaincre.

L'étrange bruit se reproduisait maintenant à intervalles presque réguliers. Il était trop faible pour être identifié mais trop fort pour être simplement ignoré.

Un souvenir de sa petite enfance remonta soudain comme une bulle à la surface de sa conscience. Il s'agissait d'un souvenir qu'elle avait refoulé. Un souvenir qui la terrorisait.

Elle n'était qu'une enfant, presque un bébé encore.

Elle jouait sur la pelouse, probablement dans la cour de la maison familiale, près de la forêt qui bordait leur propriété.

Elle pouvait encore sentir la chaleur du soleil sur sa peau, la douceur de l'air. Le vent lui apportait une odeur d'herbe fraîchement coupée et agitait doucement ses boucles rousses.

Adulte, elle détesterait cette odeur, au point d'en être presque malade, mais la petite Evangeline encore innocente ne le savait pas encore.

La petite fille de l'époque était heureuse d'être à cet endroit. Ses parents étaient un peu plus loin, la surveillant d'un œil distrait en discutant tous les deux. Mais qu'importe : l'enfant sentait la présence de ses parents et ça lui suffisait amplement.

Soudain, sa mère se met à crier. Puis son père l'appelle, de la peur dans la voix.

Saisie, la petite fille se retourne. Elle a déjà entendu ses parents crier, mais jamais avec cette intonation, jamais avec cette terreur dans la voix.

L'enfant voit ses parents se précipiter vers elle, effrayés.

La peur de ses parents l'effraie plus que tout, et elle se met à pleurer, terrorisée. Ses parents s'immobilisent soudain et son père continue d'avancer avec des gestes lents suivi de près par sa mère qui est blême.

Toujours sanglotant, la petite Evangeline regarde vers la forêt, et ses pleurs s'interrompent d'un coup, comme coupés par un interrupteur.

Un énorme chien se trouve face à elle. Il est immense, et incroyablement maigre. Ses côtes, visibles sous le pelage miteux, se soulèvent rapidement au rythme de sa respiration haletante.

Il a les yeux rouge, d'un rouge rubis brillant, et dans ses yeux, il n'y a que folie et meurtre.

L'animal bave avec abondance et montre les dents en grognant sourdement.

Sa queue fouette nerveusement ses flancs.

La petite fille ne crie pas. Elle écarquille les yeux démesurément et se retrouve fasciner à regarder l'animal. Elle est prisonnière de son regard dément.

D'un seul coup, tout s'accélère. La bête pousse un unique aboiement rauque et saute.

A l'instant précis où l'enfant voit l'animal bondir, elle se sent happée.

Sa mère venait juste de l'attraper à bras le corps avant de fuir.

Un nouveau souvenir envahit l'esprit d'Evangeline. Elle se rappela ce qui s'était passé après. Dans les bras de sa mère, elle voyait la scène par dessus l'épaule de cette dernière.

Elle qui pensait ne jamais savoir ce qui s'était passé ce jour là, elle se rendait compte que la solution avait toujours été en elle, emprisonnée au sein de son esprit.

Elle vit l'animal enragé sauter sur son père et le mordre. Un combat féroce s'était engagé entre l'homme et la bête. Son père se battait pour les protéger, elle et sa mère, et il a conscience qu'il s'agit d'un combat sans merci, d'un combat à mort.

Le sang coulait, contrastant violemment avec le vert profond de la pelouse.

Le chien - le monstre - se tenait au dessus de son père, claquant des dents au dessus de sa gorge, tandis que l'homme le retenait avec l'énergie du désespoir, ses muscles tétanisés tremblant sous l'effort.

L'homme était blessé. Mais il ne semblait pas sentir la douleur. Dans un sursaut désespéré, il attrapa la gueule écumante à pleines mains et tira de toutes ses forces.

La bête se cabra soudain de douleur, secouant la tête follement pour se dégager.

Ses mains glissèrent et il fut mordu. Rapidement, il attrapa la tête du chien sous chaque oreille et lui brisa la nuque.

Evangeline ne savait pas ce qui avait pu se passer après. Sa mère était entrée dans la maison et l'avait posée dans son parc avant de prendre le téléphone pour appeler les secours. Elle avait fermé la baie vitrée avec soin, essayant de voir ce qui se passait. Mais le coin de la maison cachait la scène.

La mère d'Evangeline criait hystériquement au téléphone que son mari était toujours dehors, qu'il était en danger.

La suite de ses souvenirs était floue : lorsque la police était arrivée, ils avaient trouvé son père grièvement blessé. Il n'y avait plus aucune trace de l'animal. Lors de l'arrivée de l'ambulance, son père était décédé.

Ils avaient emmené sa mère, en pleine crise de nerfs et la petite Evangeline avait été envoyée chez des cousins.

Evangeline avait occulté ce qui s'était réellement passé. Toute sa vie, elle avait cru que son père était décédé d'un accident. Sa mère ne lui en avait jamais parlé.

Evangeline sortit brusquement de sa transe éveillée, les mains crispée sur ses draps, haletante. Elle sentit la sueur couler sur son visage, alors que les images du passé tournaient en boucle dans sa tête.

Elle se força à lâcher les draps, et elle s'essuya le visage nerveusement.

Elle gémit légèrement lorsqu'elle prit conscience que le bruit qui l'avait réveillé, ce même bruit qui avait fait remonter ses souvenirs à la surface, ressemblait aux grognements de l'animal de son enfance. Un son de gorge, profond et assourdi.

Nerveusement la jeune femme fouilla la chambre des yeux, s'attendant presque à voir les yeux rouges de l'animal luire dans un coin, tapi dans l'obscurité.

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