3. Baseball et coup de batte

7 minutes de lecture

- 2 Décembre 2020, 9h07

San Francisco -

J’adore Noël. J’ai toujours aimé cette période. Toujours. C’est pourquoi je me retrouve à neuf heures du matin, à danser au milieu de la cuisine en préparant le petit déjeuner des Harrison, des chants de Noël en fond sonore.

  • Tu es bien matinale, me surprend une voix dans mon dos.
  • Maggie ! Euh, j’ai mis un réveil, je voulais être levée pour préparer le petit-déjeuner de Harper et Lennon, avouai-je.
  • Alexander a raison, tu n’es pas comme les autres, s’amuse-t-elle.

Je souris timidement, continuant de tartiner quelques toasts de confiture.

  • Je ne sais pas ce qu’ils préfèrent alors j’ai fait un peu de tout, j’espère que ça ne vous dérange pas que j’ai utilisé la cuisine ? m’inquiétai-je.
  • Mais non, voyons. Les enfants seront très heureux en plus, et arrête donc de me vouvoyer, me réprimande-t-elle.

Des bruits de pas nous parviennent et rapidement, les deux enfants surgissent dans la cuisine.

  • Ça sent trop bon ! s’exclame Lennon.

Harper se frotte encore les yeux, fatiguée et je les laisse rejoindre la salle à manger où j’ai dressé la table comme j’ai pu.

  • Wow ! C’est quoi tout ça ?

Les yeux de Lennon brillent de joie et je ne peux que me réjouir. Cette attention a eu l’effet escompté. Le frère et la soeur se jettent sur leur petit-déjeuner. Maggie et moi nous installons à leur côté pour partager ce délicieux moment. Fille unique - et bien que j’ai toujours eu Lina et Alban avec moi - je n’ai jamais eu de frère ou de soeur plus jeune à qui faire ce genre de plaisir.

La colère que traînait le plus âgé la veille semble évaporée pour le moment. Il sert avec application un verre de jus d’orange à sa cadette en se mordant la langue, concentré.

  • Alors, ça vous plaît ? demande Maggie en caressant les cheveux blonds foncés de Harper.
  • Oui, c’est trop bon ! Merci, Maggie, sourit Lennon.
  • Ce n’est pas moi, c’est Ange qui a tout préparé pour vous, déclare la vieille femme en levant son regard bienveillant sur moi.
  • Vraiment ? demande-t-il en arrêtant tout mouvement.

Je hoche la tête et ébouriffe ses cheveux comme j’ai vu son père le faire. Il rougit légèrement et je ris intérieurement, ce garçon, derrière son gros tempérament, est adorable.

  • Alors, qu’est-ce que vous voulez faire aujourd’hui ? demandai-je en croquant dans un biscuit à la cannelle.
  • J’ai baseball cette après-midi, déclare fièrement Lennon.
  • C’est Jaden qui l’y emmène, m’informe Maggie sous mon regard interrogateur.
  • Je vois. Donc il va falloir faire tes devoirs avant, le taquinai-je.
  • Oh non, pas les devoirs, râle le petit brun.

Je ris en voyant son visage se décomposer et lance un regard vers Harper, assise sur les genoux de Maggie, buvant son jus.

  • Et toi, Harper ? Qu’est-ce que tu fais le mercredi ? demandai-je.

Elle hausse les épaules.

  • On n’aura qu’à aller voir Lennon ? Tu veux ? proposai-je.
  • Quoi ? renchérit ce dernier.
  • On peut assister aux entraînements, non ?

Maggie hoche la tête à l’affirmative.

  • Donc l’affaire est réglée, c’est baseball pour tout le monde cette après-midi !

Les deux enfants semblent ravis de cette perspective et finissent par quitter la table pour rejoindre leur chambre respective.

Je débarrasse pendant que Maggie s’attelle à la préparation du déjeuner. Une fois le lave-vaisselle en route, je remonte dans ma propre chambre au fond du couloir, au deuxième et dernier étage de cette immense demeure.

Je termine de ranger mes vêtements dans mon armoire et dépose sur ma table de chevet un cadre photo nous représentant Alban, Lina et moi, enfants. Ce cliché, pris lors d’une croisière lorsqu’on avait une dizaine d’années, est ce que j’ai de plus précieux, il renferme notre lien, tous nos souvenirs, l’amour qui nous unit.

  • Ange ? m’appelle Harper, que je découvre à l’entrée de la chambre.
  • Oui, ma puce ?
  • Tu veux jouer avec moi ? me questionne-t-elle.
  • Bien sûr, j’arrive tout de suite, souris-je.

Elle prend ma main et nous rejoignons le salon où elle a sorti un jeu de société de Boucle d’or et les trois Ours. Nous installons le plateau lorsque Lennon descend avec son cartable. Il s’assoit à côté de moi en sortant sa trousse et ses feuilles de travail.

  • Dis donc, elle vous donne beaucoup de travail ta maîtresse, fis-je en le voyant sortir une vingtaine de feuilles polycopiées.
  • C’est pour la semaine, elle est absente jusqu’à lundi prochain, m’explique-t-il en tournant les pages de son cahier de texte décoré par un logo.
  • C’est quoi sur ton cahier ?
  • L’écusson des Giants de San Francisco. Tu connais pas ?
  • Juste de nom. C’est une équipe de baseball, c’est ça ?

Il hoche la tête.

  • Tu ne vas pas à l’école du coup cette semaine.
  • Si, en répartition dans la classe des 4th Grade*, m’explique-t-il.
  • Si tes parents n’y voient aucun inconvénient, tu peux rester à la maison si tu veux, je les appellerai ce soir, déclarai-je.

C’est stupide que Lennon aille à l’école alors que sa maitresse est absente.

  • Trop bien ! Merci, Ange !
  • Pas de problème.

Je commence à jouer avec Harper qui s’impatiente pendant que Lennon se plonge dans une feuille de travail, mordillant le bout de son stylo bic, jouant avec le capuchon de l’autre main.

Après quelques minutes, je vois qu’il n’avance pas alors je me rapproche pour lire la consigne.

  • Tu as besoin d’aide ? le questionnai-je.
  • Non, c’est bon, grimace le brun.
  • Il ment.
  • Tais-toi, Harper ! s’énerve Lennon.
  • Il sait pas lire et il veut pas que Papa et Maman le sache, c’est Jaden et Maggie qui l’aident d’habitude, le dénonce sa soeur.
  • Mais n’importe quoi ! crie-t-il en devenant tout rouge.
  • Eh, calmez-vous. Enfin, Lennon, ce n’est pas grave de pas arriver à lire, le rassurai-je.
  • Mais si ! Dans ma classe, ils y arrivent tous et en plus, ils se moquent de moi quand la maîtresse me demande de lire.

Les larmes inondent les yeux du petit garçon sans couler pour autant. Mon coeur se serre, je sais ce que ça fait, j’ai eu le même problème que lui, ce qui a failli me faire redoubler.

  • Lennon, regarde-moi. Je savais pas lire non plus à ton âge. Et maintenant, je lis et parle deux langues : le français et l’anglais, déclarai-je.
  • Tu peux dire quelque chose en français ? me questionne-t-il en se mouchant.
  • Je m’appelle Ange et je garde deux petits monstres.

Je leur donne la traduction qui les fait rire.

***

Après le repas, Lennon se change et Jaden fait son apparition. Il nous salue chaleureusement et accepte volontier le café que lui propose Maggie.

J’aide Harper a enfiler son manteau et noue une écharpe autour de son cou.

  • Je suis prêt ! s’exclame Lennon en descendant.

Il porte un un pantalon beige et un haut bleu, ainsi qu’une casquette plus foncée. Une batte en bois dépasse de son sac de sport.

  • On y va, Loulou, sourit Jaden.
  • On vient avec vous, l’informai-je.

Jaden ne cache pas surprise et nous prenons la route du stade où ont lieu les entraînements. Envahi par notre bonne humeur, Jaden décide exceptionnellement de rester lui aussi.

Tout se passe très bien, Lennon est tout souriant, son entraîneur paraît fier de lui et Harper l’encourage en criant, assise sur mes genoux.

Il ne reste que quelques minutes de cours et Lennon va frapper sa dernière balle. La concentration se lie sur ses traits et m’attendrit. Jaden crie pour l’encourager ce qui fait sourire le jeune garçon.

Malheureusement, il manque son tir et ça ne semble pas lui plaire. En quelques secondes, je me retrouve à déposer Harper sur Jaden pour rejoindre les vestiaires où s’est enfermé le fils Harrison après avoir violemment frappé puis jeté sa batte contre un poteau en métal.

Je me glisse contre le mur à côté de lui, attendant qu’il retire sa tête de ses genoux.

  • Qu’est-ce que tu me veux ? grommelle-t-il.
  • Que tu m’expliques pourquoi cet élan de colère ? Tu avais réussi toutes les balles précédentes, c’était pas grave.
  • Tu comprends pas. Papa vient toujours à mes compétitions de baseball, si je suis nul et que je gagne pas, il m’aimera plus, sanglote l’enfant.

Un poids s’abat sur ma poitrine, comment ce petit garçon peut-il manquer de confiance en lui à ce point ? Et surtout comment fait-il pour supporter cette pression qu’il s’impose à cause de la sévérité des adultes qui l’entourent ?

Je passe mon bras autour de ses épaules. Après réflexion, Lennon me ressemble énormément, quand j’étais enfant, j’étais comme lui, à me mettre une pression monstre par peur qu’on ne m’aime pas. Pour rien. Et ça, on ne s’en rend compte que trop tard.

  • Ton père t’aimera toujours Lennon, et c’est pas une balle raté en baseball qui va le changer, ni le fait que tu n’arrives pas à lire. Tu n’as que sept ans, tu dois arrêter de t’obliger à être le meilleur partout. Ce n’est pas grave de ne pas être premier et tes parents ne t’en aimeront pas moins.
  • Maman ne m’aime pas…
  • Si, si, elle t’aime. Elle ne sait juste pas vous le montrer, tentai-je de le rassurer.

Il renifle contre mon blouson et je passe ma main dans ses cheveux pour le détendre. Je suis là depuis à peine une journée et j’ai déjà dû gérer plusieurs pleurs, une dispute et des élans de colère. Non, mon séjour ne sera définitivement pas de tout repos.

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