4. Miss Impulsivité

8 minutes de lecture

- 2 Décembre 2020, 19h33

San Francisco -

Harper s’est assoupie contre mon flanc et son frère est concentré sur le dessin animé qui passe à la télé. Les deux enfants sont douchés et en pyjama, j’ai téléphoné à Alexander pour m’assurer que ça ne le dérange pas que je garde Lennon avec moi les deux prochains jours et Maggie est en cuisine et m’a formellement interdit de l’aider avec le dîner. Jaden est reparti, il doit préparer sa valise pour rentrer chez lui, en Australie.

Je ne suis pas loin de m’assoupir également lorsqu’un courant d’air ainsi que des bruits extérieurs s’invitent dans la demeure. La porte d’entrée se referme en grinçant légèrement. Je tourne la tête intriguée quand la voix de Maggie me parvient.

  • Ma chérie, ça fait longtemps que tu n’es pas rentrée, tu pourrais répondre au téléphone ou au moins donner des nouvelles, quand même, la sermonne-t-elle.
  • Je sais, excuse-moi, Mag’. Je voulais pas t’inquiéter.

À l’entente de cette voix, Lennon se lève et part en courant vers la cuisine.

  • Crys ! s’exclame-t-il, réveillant Harper.
  • Crys est rentrée ? marmonne la fillette en s’accrochant à mon cou quand je me sors du canapé.

Dans la cuisine, le petit garçon encercle la taille d’une jeune femme dos à moi.

  • Bonsoir, soufflai-je pour attirer son attention.

Elle se retourne et me sonde du regard - comme l’a fait Alexander à mon arrivée - avant d’afficher un petit sourire narquois sur ses lèvres.

  • C’est toi la nouvelle bonne que mon père a déniché ? raille-t-elle.

J’ouvre de grands yeux alors qu’elle récupère Harper pour lui embrasser le front en la serrant contre elle. La fillette pose sa tête contre sa clavicule et me fixe de ses grands yeux clairs.

La dénommée Crys a des cheveux bruns comme son frère et des yeux bleu presque gris, quelques taches de rousseur parcourent son épiderme et ses mains parfaitement manucurées soutiennent Harper.

  • Pardon ? fis-je en plantant mon regard dans le sien.
  • Crys, tu ne vas pas recommencer, se lamente Maggie.
  • Quoi ? C’est la vérité, ils sont pas foutu d’élever leurs gosses alors ils engagent des gamines pour le faire ! se défend-t-elle sans se départir de son sourire.
  • Pas devant les petits, on en a déjà parlé, la reprend la gouvernante.

La jeune femme roule des yeux.

  • Elle est plus gentille que les autres, sis’, assure Lennon.
  • C’est vrai, bro’ ? s’amuse Crys en ébouriffant les cheveux de son cadet.

Il hoche frénétiquement la tête, ce qui me fait sourire.

  • Bon, très bien. Sorry, baby, se moque-t-elle en me tendant sa main. Crystal, et toi ?
  • Ange, répondis-je, méfiante.
  • Française ? relève-t-elle en fronçant les sourcils.

J’acquiesce en soutenant son regard. Ses yeux brillent de malice et d’arrogance.

  • Tu lâches ma main ou tu préfères qu’on aille danser devant la cheminée ?

Plongée dans l’océan agité qui anime ses iris, j’en ai oublié la présence de sa paume contre la mienne. Mon visage me brûle, je dois avoir les joues aussi rouges que son sweat. Je lâche sa main comme si elle allait prendre feu et détourne le regard. Un rire insolent passe ses lèvres.

  • Je vais dans ma chambre, j’ai besoin de prendre une douche. M’attendez pas pour manger, j’ai pas faim, souffle-t-elle en posant sa soeur par terre avant de récupérer un sac dans l’entrée et de disparaître dans les escaliers.

Bon sang. Qu’est-ce que c’était que ça ? Un ouragan vient de balayer ma nouvelle vie. En plus des deux enfants à gérer, me voilà avec sur le dos la grande soeur arrogante et moqueuse.

  • C’est la fille de Papa, Crys, sourit Lennon.

L’admiration qu’il a pour elle est visible sur tous ses traits, elle est un modèle pour lui, c’est évident. Je souris pour la forme, je ne lui ai parlé qu’une fois et pourtant, je ne la supporte déjà pas. Son attitude de petite pimbêche qui se croit au-dessus du monde ne me plaît pas du tout. Je n’ai plus qu’à espérer qu’elle reparte aussi vite qu’elle est arrivée. Un soupir passe mes lèvres lorsque je laisse traîner mon regard sur les escaliers.

***

21h02

J’embrasse le front du seul garçon de la fratrie et remonte bien la couette sur ses épaules. Je quitte la chambre en laissant la veilleuse allumée, comme il me l’a demandé. Harper est elle aussi couchée, à l’instar de Maggie qui s’est retirée dans sa demeure, un petit studio qu’a fait construire Alexander au fond de leur jardin.

Je monte un étage plus haut pour rejoindre ma chambre. De la lumière sort de l’une des autres pièces et il me faut peu de temps pour comprendre que cette partie de la maison est aussi occupée par Crystal.

Je suis enfin dans ma chambre et j’en profite, une fois en T-shirt et culotte, prête à me coucher, pour appeler Lina.

  • Agent Jimenez, j’écoute ? J’attends votre rapport de la mission, Delcourt, déclare-t-elle en décrochant, prenant une voix bourrue et rauque.

Un rire passe facilement mes lèvres face aux imbécilités de Lina.

  • Alors ? Les gosses sont cool ? me demande-t-elle.
  • Ils sont adorables, mais ils manquent cruellement d’affection, Lina. Leurs parents ne sont jamais là, j’ai dû gérer au moins trois crises de nerf depuis hier soir, confiai-je, peinée.
  • Eh, poulette, avec toi comme nounou, ils auront tout l’amour du monde, je n’en doute pas, assure-t-elle.
  • Merci, Lina. Je sais pas ce que je ferais sans toi.
  • Hum… À cette heure-ci, tu serais certainement dans la rue en train de partager un sandwich froid avec d’autres sdf, se moque-t-elle.
  • Te lance pas de fleurs, c’est quand même toi qui étais censée me louer une chambre d’hôtel, maugréai-je, de mauvaise foi.

Je reste encore quelques minutes au téléphone avec elle, puis salue Alban qui visiblement rentre d’une virée au bar.

Alors que je m’apprête à vraiment me coucher, un gros fracas et des cris me parviennent. Je me lève brusquement et saute sur mes pieds, à l’affut du moindre écho suspect. J’entends un nouveau bruit de coup et me précipite vers la chambre de Crystal en poussant sa porte entrebâillée.

J’ouvre de grands yeux en la découvrant appuyée contre son bureau, recouvert de débris et de bouts de verres, l’un de ses poings contre le mur, laissant couler un fin filet de sang. Je m’approche d’elle, le coeur battant et pose ma main sur son épaule. Mauvais idée, elle se retourne avec violence en balançant son coude vers moi. Je remercie les cours de défense que m’a imposé Alban il y a deux ans et qui sauvent aujourd’hui mon nez. Je tords son bras dans son dos en priant pour qu’elle se calme.

  • Non mais lâche-moi ! Pour qui tu te prends !? s’égosille-t-elle, la voix cassée.
  • Seulement si tu te calmes.
  • Je fais ce que je veux ! Lâche mon bras ou tu vas le regretter !
  • Je fais du Taekwondo, mentis-je incertaine.
  • Et moi de la boxe alors vire ta main de mon bras ! gronde-t-elle.

Je vois d’où Lennon tient son impulsivité, sa soeur aînée est bien plus violente que lui. Je finis par desserrer ma poigne sur son bras.

Mauvais choix. Très mauvais choix.

En moins d’une seconde, je me retrouve plaquée contre l’armoire, la poignée appuyant douloureusement dans mon dos. Le visage de Crystal s’arrête à quelques centimètres du mien, son bras tendu à côté, l’autre tenant fermement mon poignet. Je déglutis difficilement alors que son regard noir de haine s’ancre dans le mien.

Je sens son souffle contre ma peau, il fait frissonner mon épiderme. Elle a bu. Je ne la connais pas, mais pendant une seconde, ce n’est pas de la colère que je ressens pour elle mais de la peine. Après tout, je doute qu’elle ait eu une meilleure enfance que Lennon et Harper, avec des parents présents et aimants à souhait.

  • Refais ça encore une fois et je fais de ta vie un enfer, compris ? murmure-t-elle, ses lèvres à quelques millimètres de mon oreille.

Je retiens ma respiration en déglutissant difficilement. Après quelques secondes d’immobilité et de silence, sa bouche effleure mon cou et sa tête repose sur mon épaule, son emprise sur mon bras se relâchant. Je n’ose plus bouger, contrôlant seulement du mieux que je peux les frissons qu’elle a provoqué.

  • Crystal ? appelai-je, incertaine.

Sa respiration s’emballe et elle se détache de moi en reculant, se laissant glisser contre le montant de son lit jusqu’à rencontrer le sol. Ses membres tremblent et je m’accroupis pour être à sa hauteur.

  • Eh, Crystal…
  • La boîte… sur le rebord du lavabo, souffle-t-elle en m’indiquant la porte de sa salle de bain de la tête.

Je m’exécute et reviens avec les comprimés. Elle en avale deux et coince sa tête entre ses bras tendus devant elle en appui sur ses genoux repliés.

Je retourne dans la salle de bain et ouvre un placard, en sortant des compresses, une bande et du désinfectant. Lorsque je reviens, Crystal a relevé la tête, le regard perdu dans le vide.

  • Fais voir ta main, soufflai-je.
  • C’est bon, refuse-t-elle.
  • Arrête de jouer les durs et montre-moi ta main, ou je la prends de force et ça risque de pas être agréable, grognai-je.

Son insupportable sourire narquois refait surface alors qu’elle me tend sa main.

  • Pourquoi tu souris comme ça ? Y’a rien de drôle.
  • Si, toi, se moque-t-elle.
  • Je te demande pardon.
  • Tu te la joues vraiment petite bonne.

Les sourcils froncés, je m’efforce de ne pas montrer que ses mots me blessent et continue de presser la compresse contre sa main enflée et bleue.

Elle grimace lorsque je serre le bandage plus fort que je n’aurais dû.

  • Chochotte, la piquai-je.
  • Je sais pas ce que t’essaies de faire, Ange, mais ça ne me plaît pas du tout, me prévint-elle en dégageant sa main.
  • Et ? répliquai-je en me levant pour partir.

Je ne sais pas d’où me vient cette envie de la provoquer mais je préfèrerai ne pas rentrer dans son jeu, ce serait causer ma perte - ou du moins, certainement celle de mon nouveau job. Je m’arrête à l’entrée de la pièce.

  • Mets de la glace, ça calmera la douleur, conseillai-je avant de quitter définitivement cette fille et son insolence.

Je l’aide, elle m’agresse, je la soigne, elle me provoque, j’y réponds, elle m’insulte. Elle a vraiment une case en moins. Je me couche de mauvaise humeur, vexée par mes propres pensées. Pourquoi ai-je envie d’y retourner pour m’assurer qu’elle va bien ?

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