Savoir...

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Fanchon ne peut pas rester comme ça, elle ne peut pas ! Elle attrape Louise par la manche et la traîne dans une course effrénée vers le grand arbre. Les enfants l'utilisent pour se lancer des défis… Ils en ont l'interdiction bien sûr, il y a eu des accidents ! Mais Dieu seul sait combien ont tenté l’ascension.

Elles courent, courent à perdre haleine. L'angoisse sur les talon, le cœur en avant…
C'est trop tard, au pied du grand chêne, Callou s'est rompu le cou, du sang sort de son nez, de ses oreilles et de sa bouche. Justin est prostré, il n'a même pas pensé à se sauver…
« Mon Dieu, c'est pourtant vrai ! -Fanchon se met à pleurer, Louise ne bronche pas- Louise, tu restes avec Justin, j'vas chercher Benoît... »

Échevelée et transpirant sous le soleil de juillet, Fanchon trouve Benoît à l'église, il est un des seuls qui n'soit pas aux champs, sa main est blessée. Il répare avec l'autre le muret d'une chapelle consacrée à Marie :
« Hé ben Fanchon ! T'as l'Diable à tes trousses. Te cours dans un sens, pis dans l'aut'e ! Te vas prendre un coup d'sang…
—Viens Benoît ! Viens ! Le Callou est tombé du chêne… Il est mort !
— Palsangué ! »

Benoît lâche sa tâche et sa pierre. Il court sur les talons de Fanchon, puis se séparent, lui pour la forêt, elle pour le champ.
Tout le village remonte d'un pas pressé le sentier de la forêt. Marinette est partie devant en hurlant… À mi-chemin, Benoît, Louise et Justin rejoignent la mère. Quand le gros du village arrive sur place, Marinette est couchée sur le corps sans vie de son fils. Benoît a les bras croisé, la mine sombre, il regarde Fanchon avec hostilité. Elle sait immédiatement que les beaux jours sont derrière eux. Benoît parle au Marineau qui prend des mines étonnées. Il désigne Louise à coup de menton.
Tout le monde repart vers le bourg. Benoît porte le corps. Marineau se faufile jusque Fanchon et lui murmure discrètement : « Emmène Louise et rent'e chez toi ! » Fanchon ne se le fait pas répéter. Passant devant la rivière, vivement, elle récupère Gabin malgré ses protestations.
À la ferme, elle interroge Louise :
« Qué qu't'as dit au Benoît, Louise ?
— Ben que Callou s'est cassé la tête…
— Et quoi d'autre ! Et qu'est-ce qu'il a dit ?
— Y m'a demandé comment qu'c'est arrivé…
— Et pis ?
— J'ai dit qu'ch'sais pas, j'étais pas avec, alors y m'a demandé pourquoi que toi et moi on avait couru au chêne, y nous a vu passer tantôt…
— Qué qu't'as dit alors ?
— Que j'l'avais vu dans ma tête et qu'on était allées pour changer quelque chose, mais qu'ça a rien changé…
— Ça a tout changé Louise ! Et c'est d'ma faute... »

Ça ne tarde pas.
Les hommes du village sont devant la porte de la veuve, dés le coucher du soleil, leur mine n'est pas avenante ! Marineau est avec eux, il est distant, il ne peut pas se compromettre. Mais il est là. Peut-être parviendra-t-i à calmer les esprits s'ils s'échauffent. Il ressent son devoir de parrain pour Louise…
Fanchon sort de la maison les bras croisés. Elle a peur, mais aussi, elle est prête à mordre :
« C'est quoi c't'e procès ? -Benoît attaque-
— T'as qué'que chos' à t'repprocher qu'tu parles de procès ?
— En cinq ans que le Jean est mort, j'a pas eu beaucoup de visite et vous avez des grossièretés écrites sur la figure !
— Où qu'est ta sorcière ?
— Ch'connais pas d'sorcière ! -Benoît s’excite, le groupe derrière lui, la mort de Callou, il faut un responsable-
— On sait pas d'où qué vient, elle a les ch'veux orange ! Et une malformation qu't'a jamais laissé voir ! J'le sais de mon piot, c'est Louise qui l'a dit quand il a voulu qu'elle aille à la rivière ! C'est un démon ! Elle savait que le Callou était mort ! Elle le savait ! P'tête que c'est elle qui l'a tuée !
— T'as du chagrin, on a tous du chagrin… Mais même si Louise a dit qu'elle savait et c'est p'têt vrai, elle était au village quand il est tombé ! Elle a rien pu lui faire ! Tu perds ton sens ? Elle a cinq ans ! T'as peur d'une 'tite fille ? Et vous aut'es, vous voulez quoi ? La brûler p'tête ? Mais r'gardez vous ! Prêts à faire du mal à une veuve et à ses deux enfants ! Vous croyez que l'bon Dieu vous le pardonnera ? »

Profitant du silence que la diatribe enflammée de Fanchon provoque, Didier Marineau intervient :
« Allez ! Ça suffit ! Elle a raison, la p'tite était au village autant, si vous en êtes là, autant vous en prend'e au Justin… »

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