Le départ !

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Six heures quarante-cinq, je m’apprête à claquer la porte de chez moi. Je vis ici depuis la fin de mes études, c’est petit, tout petit même, cependant, je m’y sens bien. De toute façon, ce n’est pas avec mon salaire de misère que je peux prétendre à mieux ! Je ne suis pas quelqu’un de matériel et je n’entasse pas non plus. Ce studio me convient très bien.

Ma valise à la main, je dévale les escaliers. Trois étages sans ascenseur avec un sac qui pèse la mort, ceci dit, ça me fait économiser au moins trois cents balles sur le loyer. À Paris, les petits plus, ça se paye ! Le vent glacial me saisit et je remonte le col de mon manteau.

Installée dans mon Duster, je me mets en route alors qu’il fait nuit noire. Les filles auraient dû m’accompagner, une fois encore, il y a eu un changement de programme. Léo avait un rendez-vous important avec un fabricant de prothèses, un truc du genre et elle ne voulait pas que son associé s’en charge seul. Comme quoi, parfois, elle peut accepter d’avoir des responsabilités. Je crois qu’il n’y a que dans son boulot que la suceuse se montre adulte. Quand elle enfile sa blouse de kiné, elle est une tout autre personne. Appliquée, raisonnable, exigeante même, Léonie exerce son métier avec passion et dévotion. Bien loin de l’image qu’elle représente hors des murs de son cabinet. Bref, elle a un œil sur tout ce qu’il s’y passe et malgré le professionnalisme de Nancy, elle ne peut s’empêcher d’être présente pour les choses importantes et c’est tout à son honneur.

Si elle pouvait en faire de même dans sa vie perso !

Par effet de ricochet, Cléo en a bien entendu profiter pour grappiller encore quelques heures de plus auprès de sa famille. Elle est toujours excitée quand nous programmons un truc juste nous trois. Ceci dit, elle déchante aussi vite. Cléo, elle parle sans réfléchir. Enthousiaste de tout, c’est une amoureuse de la vie, une rêveuse. Et ce qui la fait vibrer le plus, c’est Morgan et leur petite Laura.

Trop sans doute !

La détacher des siens, c’est lui déchirer le cœur. Pourtant, je reste convaincue que s’éloigner quelques jours ne peut que lui être bénéfique. Une famille, ça a toujours été son but, cependant, comme toujours, elle est dans l’excès.

Moi, je suis la plus calme, la plus réfléchie, celle qui temporise leurs débordements. Nous sommes inséparables et si différentes les unes des autres, c’est sans doute ce qui fait que l’on se complète aussi bien. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y est jamais de tension, bien au contraire, ça nous arrive souvent. Nous ne nous comprenons pas toujours, je les ancre dans la réalité, quand elles me tirent vers l’imaginaire. Un juste milieu, c’est ce que nous essayons de créer au quotidien et je trouve que nous y parvenons pas trop mal.

J’avale les kilomètres au son de la playlist que je me suis constituée pour l’occasion. Un mélange de genre tous différent les uns des autres, à l’image de notre trio improbable. Plus de six cents bornes séparent Paris de la station des Arcs. Environ sept heures de trajet qui me permettent de me retrouver avec moi-même, de faire le bilan de ma vie, le point sur ma triste existante. Je n’ai eu aucune crainte ni appréhension à m’engager sur la route seule, j’en ai l’habitude et puis j’aime conduire. Mes parents vivent toujours dans le centre de la France et j’y vais entre deux et quatre fois par an. Bon, ces dernières années, c’est plutôt deux, je suis une fille indigne, je m’en rends compte.

Depuis que j’ai pris ce poste, je n’ai plus guère d’opportunité pour leur rendre visite sur un week-end et je consacre la plupart des vacances scolaires à terminer ma paperasse en retard. Ma maman, Maryse est institutrice, c’est d’elle que je tiens ma passion pour l’enseignement.

Ça me manque parfois !

J’ai accepté ce nouveau djob pour que les choses bougent, j’en avais marre de me battre pour une vulgaire boîte de crayons de couleurs usées jusqu’à l’os par le temps. L’ancien directeur nous faisait remplir des formulaires improbables pour la moindre demande. En prenant mes fonctions, il a fallu que je me rende à l’évidence, c’est l’administration qui exige toute cette paperasse, pas le vieux dégénéré qui officiait à ma place. La différence entre lui et moi ? C’est que je me charge de tous, je soulage les enseignants de ce poids.

À quel prix !

Celui où je n’ai plus de vie. Cependant, ce n’est pas comme si j’avais une existante trépidante avant, bien au contraire, et ça n’a jamais été le cas. Malgré tout, ça ne m’empêche pas de rêver à un peu d’exotisme, de changement, de rencontres inédites, de nouveaux horizons. J’adorais l’enseignement et parfois, ça me manque. Ceci dit, accepter ce poste me paraissait une suite logique, une évolution, là où ma vie personnelle est au point mort depuis déjà de longues années. J’ai bien eu quelques petites aventures de temps à autre, rien de transcendant, de magique ou quoi que ce soit qui puisse ressembler de près ou de loin à ce que vivent Cléo ou Léonie. Tout ça n’est pas fait pour moi, je le sais, j’en ai conscience, néanmoins, ça ne m’empêche pas d’y rêver. Je ne suis pas faite pour les coups d’un soir. Léo a pourtant tenté de me convaincre d’essayer, je n’ai jamais pu dépasser le stade du baiser. Me mettre à nue devant un parfait inconnu et lui offrir l’accès à ce que j’ai de plus intime, impossible, inenvisageable. Moi, ce que je veux, c’est une relation stable, celle où l’on apprend à se découvrir avant de se dévoiler dans son plus simple appareil. Le prince charmant, celui qui est prêt à tout, pour vous.

Comme Morgan…

Jalouse ? Un peut, j’avoue ! C’est tout ce que j’ai toujours désiré, sans vraiment le mentionner. Même si elles me connaissent par cœur et qu’elles ne sont pas dupes. Ça reste tout de même un sujet tabou entre nous. On n’évoque pas la vie amoureuse de Joy, qui est aussi désertique que le Sahara et encore, là, il y a quelques habitants, ce qui n’est pas le cas chez moi.

Un brin nostalgique, je me rends compte que j’ai déjà parcouru plus de la moitié du trajet sans y faire attention et qu’il est temps que je fasse une pause-café. Garée sur l’aire de repos, j’en profite pour effectuer le plein de mon véhicule, autant faire d’une pierre deux coups. Ma dose de caféine en main, je consulte mes messages et je ne suis pas étonnée d’en trouver des dizaines de Léo. Cette fille est indécrottable, cette manie du harcèlement ne lui passera donc jamais. Un jour, il va falloir que l’on en discute sérieusement. Encore heureux que je mette toujours mon téléphone sur silencieux quand je suis au volant, ça évite les mauvaises surprises.

J’hésite à lui répondre, aucune envie d’alimenter l’eau à son moulin. Ceci dit, elle serait bien capable de faire une déclaration à la gendarmerie prétextant que j’ai disparu.

Rappelez-moi pourquoi nous sommes amies !

Je suis la glace, elles sont le feu et puis, elles sont après mes parents, la seule constante de ma vie. Il serait grand temps que j’arrête de me morfondre. Je suis en route pour une semaine de vacances loin de mon quotidien et je n’ai pas envie de me lancer dans une déprime qui n’a pas lieu d’être. J’ai bien assez du reste de l’année pour ça !

« Sur la route, fous-moi la paix, mes photos ne seront pas différentes de celles du site, tu en as conscience ? Si tu continues de me harceler, j’te jure de t’abandonner à la gare ! »

« Tu n’oserais pas ! En plus Cléo sera avec moi ! »

Argument imparable, elle le sait ! Néanmoins, rien ne m’empêche de l’ignorer jusqu’à ce que je les récupère en fin d’après-midi. Cette fille est incroyable, son téléphone doit être greffé dans sa main, elle répond toujours du tac au tac même la nuit.

Jamais vu ça !

Forte de ma nouvelle résolution, je remets mon portable sur silencieux, je ferme toutes ondes négatives en me concentrant sur le positif. Je me prendrais la tête une fois de retour au quotidien. Cette semaine, je vais accepter la vie comme elle vient sans penser au lendemain, il est temps que je lâche un peu du lest !

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