chapitre 13

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Cela faisait une semaine qu’Ogma était de plus en plus colérique mais Nashran tenait bon. Chaque jour, il menait la vie dure au reproducteur dans le seul espoir d’être libéré. A chaque absence, il tentait d’ouvrir la porte ou de trouver un nouveau moyen d’évasion pendant une partie du temps et consacrait la seconde à la destruction méthodique de tout ce qui pouvait plaire à Ogma dans ses quartiers allant jusqu’à mettre bon nombre d’équipements en pannes. Ogma avait beau tempêter et le menacer, rien ne parvenait à le calmer. Il le lui avait dit : la solution était simple, il suffisait de le libérer. Seulement voilà, Ogma ne comptait pas le faire.

Il le maintenait dans une situation de plus en plus problématique, usant et abusant des drogues pour faire naître l’envie et exigeant de plus en plus de choses pour accéder au moindre de ses besoins. Si ça continuait ainsi, il allait devoir se montrer poli et arrêter de tout détruire pour avoir le droit de manger ! Qu’il ose et il risque d’être surpris, pensait sarcastiquement Nashran qui savait déjà qu’il se laisserait dépérir plutôt que de céder à ce genre de chantage.

Ce jour-là, lorsque Ogma entra, il entendit très distinctement plusieurs voix colériques à l’extérieur mais rien d’assez clair. Il ne sut ni de qui il s’agissait, ni de quoi ils parlaient. Contrairement à d’habitude, Ogma n’avait pas la petite mallette contenant le nécessaire pour l’empoisonner. Il jeta un regard en travers de l’appartement, l’air mauvais, notant les destructions du jour. Pas une fois Nashran ne s’était retenu et il se faisait de plus en plus imaginatif. Malgré tout, retrouver le lit, droit à l’opposé de l’endroit où il aurait dû se tenir, c’était plus qu’il n’aurait pu imaginer.

- Une mauvaise journée peut-être ? demanda Nashran avec cette voix douce et mielleuse qu’il commençait à détester.
- Tu es privé de dessert.
- Oh non… pas le dessert… fit-il sur un ton volontairement triste avant de reprendre, bien plus enjoué : Mais attends ! Tu ne veux pas voir ce que j’ai imaginé aujourd’hui ? Tu es parti longtemps, mais je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer.

Il avança joyeusement jusqu’au lit avant d’ajouter sinistrement :

- Il faut dire que je préfère quand tu n’es pas là.

Et sans attendre, il poussa le lit, qui bascula pour tomber sur l’armoire qu’il avait réussi à décaler astucieusement. Le bruit provoqué fut un affreux fracas, suivi d’un long grincement, alors que l’armoire basculait à son tour. Ogma poussa un cri et fit un pas en avant, mais il était déjà trop tard. Elle tomba, le lit finit de la suivre et alors qu’elle éclatait au sol, le haut qu’il avait dévissé tomba à son tour et toutes les affaires installées dans l’armoire se mirent à rouler, entrainant avec elles des bobines de papiers sur lesquelles il avait inscrit trois mots. Libère moi maintenant.

- TADAM ! cria Nashran avec un brin de folie qui fit reculer Ogma.

Cette journée ne voulait donc pas s’arrêter. Cela faisait plusieurs jours qu’un bon nombre de réceptacles campaient littéralement devant sa porte. Jours et nuits. Les reproducteurs qui voulaient les utiliser venaient les voir ici, créant un trafic permanent et un brouhaha intense qui était heureusement totalement coupé par la porte. S’il n’y avait eu que ça, il aurait pu l’ignorer, mais les autres reproducteurs avaient commencé à venir le voir. Graan avait visiblement fait connaître leur revendication à tous et ils trouvaient que la demande était tout à fait anecdotique. Une heure de liberté, ce n’était rien et qu’il la refuse montrait à quel point il était abusif lui avait-on dit. Et visiblement la nouvelle était remontée jusqu’au reproducteur qui fabriquait les drogues qu’il aimait tant et qui avait grogné d’une voix affreusement basse : « Ce que je fais ne doit pas servir à ce que tu fais ». Bref, il s’était fait jeter.

Immobile dans ses quartiers, il observa Nashran un long moment. Il était magnifique avec un corps à se damner et c’était d’ailleurs exactement ce qu’il était en train de faire : le damner. Seulement voilà, profiter de ce corps et pouvoir y répandre sa précieuse semence, l’en barbouiller tout entier, ça n’avait pas de prix. Alors tant pis pour ces quelques moments pénibles.

- Tu es superbe quand tu es en colère, tu sais ?

Le visage de Nashran se tordit un peu plus, ses yeux brillaient de fureur et le rouge montait à ses joues. Magnifique.

- Si tu pouvais simplement m’aimer, ce serait beaucoup plus simple pour nous deux… Et ce n’est pas si compliqué en plus, je t’offre beaucoup.
- Tu me prends tout !
- Tu n’avais rien à prendre… Tu avais une liberté illusoire, tu serais allé là où on te l’aurait ordonné. J’ai juste eu le pouvoir de donner l’ordre. Et puis, la possibilité de donner ton cul à ceux qui t’entourent. C’est toujours le cas, seulement il n’y a plus que moi. Juste toi et moi. Il suffit de m’aimer.
- Jamais.

Ogma baissa les yeux un instant et puis sourit dans le vide en hochant de la tête.

- Oui, je suppose que ça aurait été trop facile… Mais bon, tu finiras par être content de ce qui t’arrive.
- Tu ne serais pas content à ma place Ogma. Tu serais furieux.
- A vrai dire non… Je savais que je ne déciderais de rien, alors n’importe quoi aurait pu me convenir. J’aurais été heureux. Je t’offre un endroit superbe. Je t’offre la possibilité de participer à quelque chose de grand : nous faisons naître la vie ! J’aurais été heureux, vraiment. Il s’avère que j’ai beaucoup plus de valeur que ce que je pensais, alors je suis en position de ne pas recevoir ce cadeau mais de l’offrir. Tu n’es pas très sympa de me le jeter comme ça en pleine figure.

Nashran soupira, comprenant qu’Ogma refusait de voir la réalité en face et qu’il continuerait à le refuser.

- Tu ne verras que moi. Il n’y aura que moi pour t’offrir à manger, pour t’offrir une distraction ou quoique ce soit de plaisant. Tu finiras par m’aimer pour ce que je t’offre. Tu finiras par le voir.
- Je ne suis pas aveugle…
- Ah ? murmura Ogma, incertain.
- Je vois les chaînes à mes poignets même si tu fais croire qu’elles n’y sont pas. Je vois le ruban autour de mon cou, tu ne m’offres rien. Je suis le cadeau que tu t’es fait égoïstement. Je vois la laideur en toi. Et puis je vois cette porte et ne t’y trompes pas. Elle finira par s’ouvrir pour moi. D’une manière ou d’une autre !

A la fin de sa tirade, Nashran criait sa furie. Ogma fit « non » du visage tout en s’éloignant tranquillement et en murmurant pour lui-même plus qu’autre chose « tu finiras par m’aimer ». Ce qui fit froid dans le dos du réceptacle, ce ne fut pas ce refus d’écouter ce qu’il avait à dire ou de prendre en considération ses mots. Non, ça, il s’y attendait. Ce qui le glaça ce fut d’être soudain certain qu’Ogma allait réussir. Il allait le pousser dans de tels retranchements qu’il finirait par aimer le voir arriver, aimer ses caresses, aimer sa tendresse et ses mots doux. Le reproducteur était prêt à l’amener au bout de ce processus, sans s’inquiéter qu’il ne s’auto-détruise dans l’histoire.

- Tu vas me tuer…
- Non, non, mon cœur. Je vais juste t’apprendre à m’aimer.

Et Nashran dans un sursaut de panique se jeta sur la porte avec tant de furie, en y abattant ses poings dont les jointures explosèrent sous les chocs avec tant de force, que le protocole se déclencha. Une légère alarme retentit dans l’appartement, l’une des plaques du plafond bougea et une arme en sortit. Le projectile, une cartouche contenant un puissant somnifère, fut injecté à Nashran sans qu’il ne voit rien venir. L’instant d’après, il tomba sur place comme une masse alors qu’une voix robotique s’élevait dans la pièce :

- Restez calme. Le réceptacle Nashran sera admis en zone de soin dans les plus brefs délais.

Ogma avança rapidement jusqu’à lui, délogeant la fléchette et se pinçant les lèvres sous la contrariété. Il ne s’était pas attendu à une telle crise de furie, non, se reprit-il. Nashran n’était pas furieux, il était terrorisé ce qui n’avait pas le moindre sens à ses yeux. Seulement, son réceptacle venait peut-être de trouver une échappatoire et il allait devoir manœuvrer astucieusement pour éviter qu’il ne réussisse à le fuir.

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